Eco a été choisi comme nom de la monnaie unique de la CEDEAO. Certes, cette initiative est un symbole politique fort, mais il est plus sage, quand cela concerne la vie de centaine de millions de personnes, de faire doucement pour réussir la création de cette monnaie unique. Nous avons entendu d’éminents économistes nous dire que le Franc CFA est l’une des principales raisons que les économies des pays concernés peinent à décoller. Nous allons analyser d’une manière objective pour voir si cette thèse est valide, car il y a trop d’émotions face au sujet du Franc CFA, quand l’objectivité devrait plutôt primer.
Faisons d’abord l’état des lieux. En Europe, il y a 19 pays qui n’ont pas leur propre monnaie et qui utilisent l’euro comme monnaie commune. Il y a aussi 8 pays de l’Afrique de l’Ouest, 6 de l’Afrique centrale, 6 des Caraïbes orientales et les collectivités françaises d’outre-mer de Polynésie française, de Nouvelle-Calédonie et de Wallis-et-Futuna.
Certains pays n’utilisent que leur monnaie sur leur territoire tandis que d’autres utilisent leur monnaie avec une ou d’autres monnaies. Il y a des pays qui n’ont pas du tout de monnaie et qui utilisent une monnaie comme l’euro ou le dollar, et on peut citer Monténégro et Kosovo qui utilisent l’euro et El Salvador qui utilise le dollar américain.
Parmi les territoires dépendants, il y a des pays qui utilisent une monnaie d’un pays tiers différente de la monnaie de leur État souverain. C’est le cas du territoire britannique de l’océan indien, les îles Turks et Caicos et les îles Vierges britanniques qui sont tous des territoires britanniques d’outre-mer qui utilisent plutôt le dollar américain. Voilà en résumé, l’état des lieux monétaire des pays du monde.
Analysons aussi les avantages et inconvénients d’une monnaie commune comme le CFA ou l’Eco. Quand des pays ont une monnaie commune, cela élimine les coûts de conversions de monnaies, vu que cela a un coût aussi bien pour les particuliers que pour les entreprises. Une monnaie commune permettra de supprimer ces coûts.
Quand des pays ont une monnaie commune, cela facilite la comparaison des prix des biens et services entre ces pays. Si tous les pays de l’Afrique de l’Ouest avaient des monnaies différentes, il faudrait toujours calculer le prix d’un bien et le comparer à son pays d’origine pour s’assurer de la transparence des prix. Cela permet aussi d’attirer et d’augmenter les investissements étrangers aussi, car il y a toujours la possibilité que d’autre pays viennent joindre la zone et augmenter les consommateurs. La chose la plus importante est l’élimination de l’incertitude du taux de change.
Quand vous importez, il est impossible de savoir dans quel sens le taux de change évoluera. Certains pays peuvent jouer avec la surévaluation ou dévaluation de leur monnaie et cela peut aller contre le pays exportateur et leur coûter beaucoup plus cher. Cette incertitude freine les échanges entre pays qui ne sont pas au sein de la même zone.
Parmi les inconvénients, il faut noter ce qu’on appelle une politique unique. Les taux d’intérêt sont fixés de telle sorte que tous les pays de la zone ont le même taux. Cela peut affecter un pays qui souffre d’un ralentissement de son activité économique pendant que les autres pays sont en plein essor. La Banque centrale pourrait augmenter les taux d’intérêt, mais cela plongerait le pays qui souffre d’un ralentissement de son activité économique pour le plonger dans une récession.
Il y a aussi les chocs économiques externes, si parmi les pays de la zone, il y en a qui dépendent du pétrole, une baisse des prix du pétrole pourrait les affecter plus qu’un pays dont l’économie dépend d’une autre ressource naturelle. Dans ce cas, il sera quasi impossible de jouer avec le taux d’intérêt de la Banque centrale, car cela affecterait les pays de manière différente. Il ne faut pas oublier les coûts de transition, c’est-à-dire émettre de nouveaux billets et pièces et retirer les anciens, adapter les distributeurs automatiques parmi tant d’autres coûts.
Une zone monétaire est supposée faciliter les échanges entre les pays, mais on constate que la zone CFA n’a pas encore atteint ses objectifs, car on constate que les échanges au sein de l’UEMOA sont très faibles (environ 11 %). Les produits pétroliers sont au premier rang des échanges commerciaux intra-UEMOA et représentent près de 41 %.
Parmi les principaux fournisseurs, on retrouve les deux économies les plus fortes de la zone, la Côte d’Ivoire avec près de 37 % et le Sénégal avec près de 21 %. Pourquoi les échanges sont faibles alors que nous partageons une monnaie commune et qu’il n’y ait pas de barrières tarifaires ?
Par contre, l’inflation a été très maîtrisée et n’a dépassé la barre des 3 % qu’occasionnellement. L’inflation peut être causée par la demande, et cela arrive quand il y a un excès de demande par rapport à l’offre, ce qui va pousser les prix à augmenter pour rétablir l’équilibre.
Il y a aussi la possibilité d’inflation quand le prix des matières premières augmente, on assiste dans ce cas à une inflation importée. Il y a aussi l’inflation causée par un excès de monnaie en circulation par rapport à la richesse réelle dans le pays. Conséquemment, la valeur de la monnaie déprécie et les prix des biens augmentent pour compenser.
La France garantit la convertibilité du change du Franc CFA, ce qui empêche la crise de balance des paiements. Cette dernière arrive quand les entrées de capitaux dans un pays arrêtent à cause d’un déficit extérieur causée par une dette extérieure importante.
L’euro a connu cette crise, avec le Portugal, la Grèce, l’Italie et l’Espagne, mais le dollar ne l’a jamais connu, ce qui rend cette monnaie très distinctive. Les Etats-Unis sont très endettés et ont un déficit extérieur aussi, mais cela n’a jamais créé une crise de balance des paiements. Il est important de rappeler que la récession aux Etats-Unis avait été causée par l’explosion des bulles et non l’arrêt des entrées de capitaux.
Ce qu’il faut comprendre, c’est quand on veut maintenir notre monnaie à parité avec une ou plusieurs monnaies, on doit acheter ou vendre notre monnaie contre des devises selon les fluctuations de l’offre et la demande. Si notre monnaie est très demandée, la Banque centrale achète des devises en vendant notre monnaie nationale pour éviter qu’elle apprécie par rapport aux autres monnaies. Inversement, si notre monnaie n’est pas demandée sur le marché monétaire, elle se dégrade à cause de l’excès de notre monnaie. La Banque centrale devra donc vendre des devises et acheter notre monnaie.
En 2017, il faut noter que le taux de croissance du PIB a été de 3, 7 % dans le monde, 2,8 % en Afrique subsaharienne et 6,7 % dans la zone UEMOA. L’activité économique, qui progresse d’année en année depuis les six dernières années, est supérieure au taux des pays exportateurs de pétrole.
Le taux d’inflation a été aussi très faible dans notre zone UEMOA, affichant ainsi un taux de 0,8 % comparé au taux de l’Afrique subsaharienne, qui était de 11 %. La montée du prix du pétrole a positivement affecté les comptes extérieurs des pays exportateurs de pétrole et malgré cela, le ratio dette publique sur PIB était de 44,1 % dans la zone UEMOA contre 49,5 % pour la zone CEMAC et 45,9 % dans l’Afrique subsaharienne.
L’objectivité doit toujours primer sur les émotions. Du point de vue symbolique, nous savons que la plupart des Africains veulent leur propre monnaie plutôt que le franc CFA, cependant, il est impératif que nous soyons prêts pour accueillir notre propre monnaie. Il ne faut pas juste dire non au franc CFA, car les billets ne sont pas imprimés en Afrique.
Rappelons qu’en Afrique, il n’y a que 6 pays confirmés qui fabriquent leur propre monnaie, par faute de technologie nécessaire. Pensez-vous honnêtement que cela fasse une grande différence ? Même si nous avons notre propre monnaie, nous n’allons pas l’imprimer en Afrique. Il faut aussi noter que ceux qui disent que c’est le symbole de la France, qu’ils sachent aussi que la plupart des infrastructures en Afrique datent de la période coloniale et nous les utilisons toujours, donc qu’on arrête d’inciter à la haine envers la France.
Quand on veut être un pays souverain, il faut l’être de manière complète et non-juste sur la monnaie. Combien de fois des pays africains font appel à la France pour préserver la sécurité ou pour l’aide publique au développement ? Pleins de fois. Il faut aussi compter qu’il y a plus de 30 comptes et se focaliser sur le seul compte auprès du Trésor Français est injuste.
La France, en tant que ce partenaire économique des pays africains, veut aussi profiter du partenariat pour booster son secteur secondaire et elle préfère que nous restions dans le franc CFA. Maintenant, il s’agit de savoir que la France ne nous taxe pas pour utiliser la monnaie et on a accès aux fonds du trésor quand on le souhaite. Vu que la France garantie notre monnaie, il faut qu’elle soit représentée pour s’assurer que les règles sont respectées, mais ce sont nos dirigeants africains qui décident. Et enfin, la France n’utilise pas ces réserves pour rembourser sa dette.
Personnellement, je ne pense pas que la monnaie détermine à part entière l’économie que nous avons. Avoir une monnaie est une chose faisable, mais avoir une monnaie qui est forte et qui pourra aider nos économies à décoller est autre chose. Que chaque Africain concerné prenne ses responsabilités et fasse ses recherches pour mieux comprendre comment cette monnaie marche et décider si sortir du franc CFA ou rester dans le franc CFA est présentement la meilleure chose.
Mohamed Dia