Dakarmidi – Le processus électoral en direction de la prochaine présidentielle est lancé par la fixation de la date au dimanche 24 février 2019 (décret n° 2018-253 du 22 janvier 2018). Il en est de même du démarrage, attendu ce mois, de la révision exceptionnelle des listes électorales.
Cela intervient dans un contexte marqué par la persistance d’un climat de méfiance et de suspicion entre les acteurs politiques. Sans nul doute, les graves dysfonctionnements notés lors des dernières élections et qui déteignent sur ce climat, ont aussi exacerbé les divergences et cristallisé les positions de telle sorte que le dialogue politique devant conduire aux consensus indispensables sur les règles de la compétition a été mal amorcé.
Malgré les incessants appels au dialogue lancés par le Président de la République, le changement à la tête du Ministère de Intérieur, la décision du Gouvernement de commettre une Mission d’Audit du Fichier Electoral, l’Opposition significative refuse de participer aux travaux du cadre de concertation sur le processus électoral installé le 12 décembre 2018 à la suite d’une rencontre entre le nouveau Ministre de l’Intérieur et les acteurs du processus.
Force est de reconnaître que les préalables et conditions d’un dialogue inclusif, sincère et constructif n’étaient pas tous remplis. Ce constat a été déjà fait par la société civile (COSCE et PACTE) qui a préféré adopter une posture d’observateur QUI lui a permis de mener la médiation. En conséquence, les concertations qui viennent d’être bouclées après plusieurs blocages n’ont pu sur bien des points conduire à des accords.
Il est vrai qu’elles ont permis de procéder à une évaluation objective de la refonte partielle des listes électorales aussi bien par des organismes de gestion des élections (OGE) que par des différents pôles politiques. Qui plus est, le rapport sur les élections législatives publié par la CENA confirme les constats faits par les acteurs. Pouvait-il en être autrement ? Dans le même sillage, la définition des termes de référence consensuels de l’audit du fichier électoral en cours constitue aussi une avancée majeure.
Cependant, la plupart des points inscrits à l’ordre du jour n’ont pas fait l’objet de consensus, notamment ceux relatifs aux conditions de participation à la présidentielle (nationalité du candidat, bulletin unique, caution, parrainage…). D’autres points, bien qu’étant abordés, n’ont pu être épuisés du fait de leur complexité et des différences de points de vue. Il s’agit de l’Autorité chargée des élections, du renforcement des organes de contrôle et supervision, de la rationalisation du système partisan, du financement des partis politiques ainsi que la définition du statut de l’Opposition et de son Chef.
Cette situation était, somme toute, prévisible puisque l’environnement n’était pas propice et la méthodologie s’est révélée peu appropriée à la conduite de telles concertations. C’est la raison pour laquelle, dans ma dernière contribution[1], je suggérais la mise en place d’une commission cellulaire d’évaluation et de réforme du système électoral et de la modernisation du système partisan, comprenant des experts qui auraient à présenter des rapports et études sur les différents thèmes retenus.
Malheureusement, l’administration n’a pas voulu rompre avec les méthodes classiques comme s’il s’agissait d’une revue du code électoral. C’est tout le sens des enseignements d’IDEA International[2] qui en listant les inconvénients du modèle mixte indique que « le style bureaucratique peut se révéler inadapté aux besoins de la gestion électorale ».
Que faire ?
Lorsque les concertations sont mal engagées, que le processus électoral souffre d’une mauvaise planification, que les OGE ne perçoivent pas l’importance de l’évaluation externe et que le droit fondamental de suffrage n’est plus respecté, il est urgent d’agir.
Lorsque des acteurs politiques doutent de la neutralité de l’administration électorale ou de la crédibilité de l’organe de supervision et contrôle, le rétablissement du lien de confiance est incontournable.
Lorsque l’Opposition refuse de fermer la page sombre des législatives, que les hommes politiques ne suivent même plus l’appel au dialogue des régulateurs sociaux et que la méditation entreprise par la société civile n’aboutit pas, c’est le processus qui bloque.
Lorsque l’on veut définir le statut de l’opposition et de son Chef à son insu et que des partis politiques qui ne participent jamais aux élections sous bannière propre luttent pour leur propre survie, la représentativité n’est pas prouvée.
Lorsqu’on confond le temps de la compétition et le temps de la définition des règles du jeu, que des candidats potentiels deviennent inéligibles et que le jeu du pouvoir prend le dessus sur tout, le jeu politique est faussé.
Alors, le Sénégal court un danger parce que la paix sociale et la stabilité politique sont menacées. Il devient donc impératif que toutes les forces vives, les patriotes se dressent pour empêcher que notre pays connaisse une vague de contestations électorales qui risquent de le faire basculer vers le chaos.
C’est maintenant qu’il faut imposer à notre classe politique de s’entendre sur les règles de la compétition.
C’est maintenant, plus jamais, que la société civile devra défendre les droits des citoyens, poursuivre les démarches de facilitation du dialogue politique et œuvrer au renforcement de la citoyenneté.
C’est maintenant que le Chef de l’État devrait prendre des mesures fortes pour rassurer tous les acteurs et donner des gages d’une compétition ouverte dans laquelle est garanti l’exercice sans entrave du droit de suffrage des citoyens ;
C’est maintenant que les acteurs politiques doivent démontrer leur sens des responsabilités et leur esprit de dépassement en se projetant vers l’avenir.
C’est maintenant que les conditions d’un processus électoral inclusif, transparent et apaisé, assurant la légitimité de l’autorité politique, doivent être réunies. Il n’est pas certain que le peuple sénégalais accepte et tolère une régression démocratique, une nouvelle violation de son droit fondamental ou d’éprouver des contraintes à exprimer son libre choix.
La Mission d’Audit du Fichier Electoral, financée par la République Fédérale d’Allemagne va présenter son rapport provisoire au cours de la semaine. En tout état de cause, elle donne encore l’opportunité d’impliquer tous les acteurs à travers la mise en place d’un comité de suivi des recommandations. Sous ce rapport, il serait judicieux que le Président de la République rencontre l’Opposition et crée une commission cellulaire rattachée à ce comité de suivi en vue de relancer les concertations autour des questions non encore épuisées, en particulier celles résultant de la dernière révision constitutionnelle et d’aboutir à des consensus majeurs sur notre système démocratique.
Lundi, 12 février 2018
Ndiaga SYLLA, Expert électoral
Coordonnateur
Département Démocratie et Elections/GRADEC