Dakarmidi – C’est une guerre qui n’en finit pas. Les jeunes, décidés à briser les barreaux qui les empêchent de franchir la Chambre très prisée des notaires, se heurtent toujours à des barons qui ne veulent leur laisser aucune place. Ces derniers semblent avoir pris une longueur d’avance avec le nouveau projet de décret portant statut des notaires élaboré par le ministère de la Justice. EnQuête revient sur les ‘’failles’’ du projet et l’historique du litige dans le notariat.
Ils étaient pleins de rêves, après avoir réussi au seul concours d’accès à la profession de notaire organisé au Sénégal, en 2013, sous la houlette de l’ancienne ministre de la Justice, Aminata Touré. Depuis le départ de cette dernière du gouvernement, le vent du changement qui soufflait sur cette profession dite libérale semble anéanti. Durant tout le magistère de Sidiki Kaba, aucun concours n’a été organisé. Mieux, le désormais ministre des Affaires étrangères a laissé derrière lui une cohorte de jeunes, remplissant toutes les conditions pour être notaires, dans le plus grand désarroi. L’arrivée du professeur Ismaïla Madior Fall, au département de la Justice, avait ressuscité l’espoir. Neuf mois après sa nomination en septembre 2017, les résultats restent mitigés, les avis divergents. Malgré une volonté de faire bouger les choses, le nouveau ministre semble se heurter, selon certains candidats aux charges, au mur érigé par la Chambre des notaires, constituée d’hommes et de femmes à l’artillerie financière très lourde.
Les failles du projet de réforme
Au nombre de 22, le collectif des notaires issus du seul concours d’aptitude à la profession est loin d’être au bout de ses peines. Ses membres sont dans tous leurs états, suite à l’élaboration d’un nouveau projet de modification du statut des notaires. ‘’Au lieu de mettre en place les conditions pour rendre la profession plus accessible, les gens sont en train de tout faire, sous le diktat des barons du notariat, pour barricader davantage le métier. Le ministre de la Justice a montré sa bonne foi de faire évoluer les choses, mais apparemment, ses services ne lui font pas une présentation fidèle des enjeux de la situation actuelle’’, souffle un membre du collectif. Avec ses camarades, ils ont le sentiment d’avoir reçu un ‘’couteau dans le dos’’. En effet, alors qu’ils étaient en train de chercher un remède aux maux qui les accablent, ils tombent sous le coup d’un nouveau projet de décret qui risque d’ensevelir définitivement les rêves de nombre d’entre eux, être notaire titulaire de charge.
De quoi s’agit-il ? En fait, sous le prétexte brandi par la Chancellerie qu’il n’y a pas assez de charges disponibles pour chaque candidat à la charge, les 22 membres du collectif avaient décidé de se regrouper dans des sociétés civiles professionnelles SCP. Ils espéraient ainsi faciliter la tâche à la hiérarchie qui, au lieu de créer 22 charges au moins pour les 22 notaires ayant réussi au concours, ne seraient tenus que d’en créer 10 pour satisfaire ne serait-ce que les membres dudit collectif. Mais cette opportunité ne semble nullement intéresser la tutelle, si l’on se fie à certains témoignages.
Avec son projet de réforme, le ministère de la Justice vient boucher la seule fenêtre qui semblait encore entrouverte pour ces jeunes notaires membres du collectif et d’autres candidats dans leur situation. Comment ? Eh bien, avant ce projet, il n’y avait aucun texte qui interdisait aux candidats à des charges la faculté de se réunir en sociétés civiles professionnelles (SCP). L’un des objectifs de la réforme est de supprimer complètement cette possibilité. En son article 3 alinéa 3, le décret dispose : ‘’La société civile professionnelle ne peut être constituée qu’entre deux ou plusieurs notaires titulaires de charge. Elle est agréée par arrêté du ministre chargé de la Justice. En cas de dissolution de la société, une charge est attribuée à chaque notaire associé.’’
Une disposition à problèmes, si l’on en croit certains spécialistes sous anonymat. D’abord, puisqu’il n’y a pas assez de charges pour tout le monde, comme le disait le ministre, les experts estiment que la hiérarchie devait plutôt aller dans le sens de favoriser les regroupements. Certains candidats aux charges se disent convaincus que le ministre a été abusé. ‘’On a dû lui faire croire que le statut de notaire assistant nouvellement institué règle le problème des demandeurs de charges, particulièrement nous qui avons réussi au concours, alors qu’il n’en est rien. Ça ne nous intéresse pas. Nous avons réussi à un concours très sélectif. Nous demandons donc à être titulaires à part entière de charge. A défaut d’avoir chacun sa charge, nous voulons au moins exercer par groupe et nous avons fait des propositions concrètes au ministre dans ce sens.’’ Pour les membres du collectif, ce statut de notaire assistant n’offre pas les prérogatives dont disposent les ‘’notaires pleins’’ que sont les notaires salariés et associés. Bref, ils estiment que c’est de la poudre aux yeux qui ne fait que les enfoncer dans la précarité.
Menace sur les pionniers du notariat qui n’ont plus la capacité physique de tenir leurs charges
Outre le problème des ‘’notaires’’ ayant réussi au concours, le projet de réforme peut également entraîner des bouleversements incalculables, selon les spécialistes. En effet, selon toujours l’article 3, alinéa 3 in fine, ‘’en cas de dissolution de la société, une charge est attribuée à chaque notaire associé’’. Nos interlocuteurs redoutent ainsi la dislocation de grandes études établies à Dakar. La plupart d’entre elles, quand on les formait, c’était sur la base d’une seule charge, renseignent-ils. Qu’est-ce qui va se passer en cas de dissolution ? Le ministre serait-il obligé de créer de nouvelles charges pour chacun des associés ?…
Voilà un ensemble de difficultés que pourrait entraîner l’application de la nouvelle réforme si elle entre en vigueur. ‘’C’est un piège tendu aux pionniers du Notariat et au ministre’’, souligne un candidat. Il donne des exemples : ‘’Il y a des notaires émérites qui, avec l’âge, se sont associés à des notaires plus jeunes, parce que n’ayant plus la capacité physique de tenir leur office. Leurs associés, au moment de la constitution de ces SCP, ne disposaient pas de charge. Je peux citer Mes Daniel Sédar Senghor et Papa Ismaël Ka. Avec la nouvelle situation, si leurs associés décident de se séparer d’eux, puisqu’ils ne peuvent plus travailler, le ministre serait contraint de créer de nouvelles charges. C’est valable pour d’autres SCP’’. Ainsi, prévient-il, ces vieux qui ont contribué à la renommée du métier risquent de voir leurs études disparaître pour la bonne et simple raison qu’ils n’ont plus les capacités physiques de les tenir.
Au-delà de cet aspect, certains qui sont dans les régions pourraient user de subterfuges pour se rapprocher de Dakar. Ils pourraient s’associer à des amis qui sont dans la capitale pour ultérieurement provoquer la dissolution, en vue d’avoir les nouvelles charges créées à Dakar où il y a plus d’activités.
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ANNUALISATION DES CONCOURS
L’Etat multiplie les stagiaires sans les charges
Saluant la volonté du gouvernement d’organiser le concours chaque année, certains n’ont pas manqué d’exprimer leur inquiétudes sur la possibilité de se retrouver avec des dizaines de candidats sans des charges pour les satisfaire. Ils pensent également ‘’qu’en toute logique’’, le concours d’attribution de charges devrait aussi être annualisée.
Les réformes ont généralement vocation à faire avancer les choses, résoudre certains problèmes ; celle portant sur le statut des notaires pose plus d’écueils. C’est du moins la conviction de certains spécialistes. Premier écueil : le projet de décret impose l’organisation du concours chaque année, mais ne règlemente pas la sortie des stagiaires comme cela se fait chez les magistrats et avocats. ‘’Si le concours est organisé chaque année, il doit y avoir autant de sorties sauf pour la période transitoire. On ne peut faire faire aux gens des concours aussi importants et les laisser à eux-mêmes. Au moins, s’ils ne peuvent pas éliminer le concours d’attribution de charge, ils doivent également l’organiser chaque année.’’ Ensuite, nos interlocuteurs craignent que le ‘’népotisme’’ continue de régner dans le milieu avec les nombreux pouvoirs accordés à la Chambre composée de notaires déjà titulaires de charges.
Tout est fait, selon leurs dires, pour laisser à la Chambre des notaires le soin de faire la pluie et le beau temps. Son président a en effet une mainmise sur tout le processus de recrutement de nouveaux notaires. C’est lui qui dresse la liste finale des candidats au concours ; c’est sur sa proposition que le ministre de la Justice va désigner le jury devant lequel les candidats devront se soumettre ; c’est aussi par lui que doivent passer les demandes de charge… Mieux, des stagiaires peuvent même être radiés sur sa demande pour diverses raisons dont la méconnaissance des obligations du stage. Cela crée quelque part une psychose, car certains seraient tentés, selon les ‘’sachant’’, d’abuser de leurs pouvoirs vu que les stagiaires sont sous leur dépendance.
‘’Il faut savoir que ceux qui nous forment sont nos futurs concurrents. Le gouvernement ne peut leur laisser toute l’initiative. En plus, vous croyez qu’un notaire va privilégier un tiers sur son neveu ou son fils’’, met en garde ce candidat à la charge. Selon lui, ceux qui n’ont pas de bras long vont devoir se laisser piétiner au risque de ne jamais avoir de charge.
La quote-part ‘’injustifiable’’ des notaires titulaires de charge
En sus de toutes les difficultés susvisées, nos sources ne comprennent pas du tout la part belle réservée par le nouveau projet aux notaires titulaires de charge. Pour elles, c’est injustifiable. En effet, il ressort de l’article 42 que : ‘’Une part des charges à pourvoir, déterminée par le ministre de la Justice, est réservée aux notaires titulaires de charges et aux notaires salariés.’’ Nos interlocuteurs estiment que l’Etat devrait plutôt accorder la priorité à ceux qui n’ont pas de charge et non à ceux qui en disposent déjà. Selon eux, dans cette réforme, tout est fait pour que le métier de notaire continue d’être sous le contrôle d’un cercle restreint qui l’administre à sa guise. Ils demandent à l’Etat de traiter tout le monde sur le même pied d’égalité.
M. AMAR (Enquête)