Dakarmidi – Candidat déclaré à la prochaine élection présidentielle de 2019, Moustapha Guirassy dévoile, dans cet entretien avec « EnQuête », un pan de son offre politique. Cela, après avoir passé au crible la gestion ‘’chaotique’’ du pays par le régime et le fonctionnement de l’Assemblée nationale qui a, selon lui, perdu toute sa dignité.
Vous avez récemment déclaré votre candidature à la présidentielle de 2019. Quelles en sont les raisons ?
C’est une question de responsabilité par rapport au peuple sénégalais. Le Sénégal a mal. Il est sur une pente dangereuse à tout point de vue. Nous sommes en train de casser le socle des valeurs qui ont toujours donné cet avantage distinctif à notre pays. Aujourd’hui, nous perdons en souveraineté économique et culturelle. Malgré les taux de croissance qui sont affichés, le Sénégalais ne s’y retrouve pas. Je veux parler de l’étudiant qui est dans un système éducatif complètement démantelé, qui ne produit pas. Si un jeune Sénégalais, qui doit porter la nation de demain, est dans un système qui n’est pas du tout porteur, il faut se rendre à l’évidence. Dans 20 ans, la génération qui sera là pour continuer à accompagner le pays, n’aura pas été bien formé en termes de valeur et de contenu.
Le secteur privé national, qui devait être aussi présent pour accompagner le développement des localités, des individus et des organisations, n’est pas trop impliqué dans la construction du pays. On voit à côté que c’est d’autres puissances étrangères qui sont là, outillées et renforcées par l’Etat. Face à cela, il faut prendre ses responsabilités.
Que proposez-vous en termes de projet de société ?
Notre projet alternatif repose sur la restauration des valeurs et de l’Etat de droit. A partir de là, construire un nouveau Sénégal qui devrait mettre en avant cette sacralité de l’être humain. Nous avons un capital spirituel qui a permis à d’autres nations de se différencier. Je pense à la Chine et à l’Inde. Ce capital spirituel, nous l’avons, c’est notre couche d’ozone et de protection qui fait que nous avons l’être humain au cœur de tout. Quand on part de ce principe, les politiques publiques qui seront mises en œuvre devraient partir de cette sacralité. Dans un pays comme l’Angleterre, tout est gratuit dans un secteur comme la santé : les médicaments, les soins et autres.
Même lorsqu’on emprunte un taxi ou un autre moyen de transport, on est remboursé lorsqu’on présente un ticket. On part simplement de la sacralité de l’être humain pour justement aller très loin dans la gratuité de ces soins. Ça, c’est un aspect extrêmement important, tout comme les besoins sociaux de base comme l’eau. On ne peut pas s’amuser avec cela. C’est dans l’arbitrage qu’il faut revoir une périphérie qui est complètement oubliée. Il faut plus d’équité territoriale. Il faut renforcer la politique d’industrialisation liée à cette question de l’équité territoriale. Dans chaque région, il faut pouvoir y mettre un moteur économique autour duquel on peut penser son développement. Que le développement soit harmonieux et qu’on puisse mettre en avant les atouts de chaque région. C’est de la seule sorte que nous pouvons changer la donne et régler de façon durable la question de l’emploi.
Pour changer la donne, il faut d’abord être candidat. Pensez-vous être en mesure de franchir l’obstacle que représente le parrainage ?
L’obstacle qui a été dressé par le président Macky Sall, candidat à sa propre succession, sera aisément franchi. Ce n’est pas cela la difficulté. Je crains juste les conflits post-électoraux. Je crains que cet obstacle qui a été dressé devant nous ne soit pas suffisamment bien encadré. C’est juste cela mon problème. Mais les 65 000 signatures, un peu moins d’ailleurs, ne sont pas un obstacle infranchissable pour un candidat, en tout cas comme moi. Nous avons ce qu’il faut, en termes de réseau et d’encrage dans ce pays pour franchir ce cap. Je voudrais rappeler que l’adversaire numéro 1 du président, ce n’est pas moi ou un autre candidat, c’est le peuple sénégalais. Je pense qu’il en est conscient. Aujourd’hui, les Sénégalais lui ont tourné le dos. Avec un peu d’organisation et d’efforts, le changement aura lieu.
Justement, comment voyez-vous l’organisation au sein de l’opposition ?
L’opposition a intérêt à se réorganiser, à renforcer la concertation, à tenir de plus en plus des discours et des attitudes plus responsables. Il y a une nécessité à ce niveau. Mais je pense qu’il y a des pourparlers qui sont en cours et nous arriverons sûrement à ce résultat. Nous n’aurons pas le choix. Il est important, pour l’opposition, d’être aussi dans une logique d’offre politique. Il ne faut pas qu’elle continue à tenir ce discours qui a toujours fait mal au Sénégal, c’est-à-dire tout sauf Macky Sall. Ce n’est pas du tout responsable. Aujourd’hui, les Sénégalais sont dans une attente d’offres politiques différenciées. C’est à ce niveau que, personnellement, je voudrais me situer, parler de quelque chose de nouveau, des réformes institutionnelles à porter au plan politique et économique. Il faut aussi parler du pétrole, des transitions numériques, de la digitalisation, de la transformation de ce pays. Il faut également parler du système éducatif, de la politique d’industrialisation, des valeurs qui sous-tendent notre politique de souveraineté. Tout cela, c’est des ruptures à apporter dans ce que nous sommes en train de faire pour mettre un peu plus à l’aise les Sénégalais.
Votre parti vient de naitre. Etes-vous prêt à engager la bataille de 2019 ?
Oui, je suis beaucoup plus prêt et présente plus d’avantages que les anciens partis. Aujourd’hui, les Sénégalais qui éprouvent beaucoup de difficultés ont tourné le dos au président Macky Sall. Les grands partis politiques aussi ont un problème de fonctionnement et d’offres politiques. Ils ont énormément de difficultés à renouveler leurs discours. C’est par rapport à tout cela que nous pensons qu’une formation politique comme la nôtre présente des avantages certains dans sa capacité d’innover et de se renouveler.
La caution pour la présidentielle de 2019 va être probablement fixée à 30 millions. Les frais de campagne seront aussi exorbitants. Comment allez-vous financer tout ça ?
Avec l’apport des Sénégalais et de la diaspora. Ici même dans le pays, nous avons pas mal de bonnes volontés qui ont décidé de soutenir notre candidature, de nous appuyer financièrement, matériellement et de s’impliquer fortement. Bien sûr, trente millions, ce n’est pas la mer à boire. Nous pouvons déjà, au niveau personnel, faire des efforts. Mais le plus important c’est le financement de la campagne. Or, pour cela, beaucoup de Sénégalais sont prêts pour nous soutenir. Des pas importants sont en train d’être faits.
Par contre, j’estime que ce n’est pas tout simplement bien ce que les Sénégalais sont en train de vivre. Quand on parle de démocratie et de transparence, on ne peut pas laisser en roue libre cette question du financement. Il faut absolument légiférer. Je m’attendais, lorsqu’on parlait de la loi sur le parrainage, qu’on mette l’accent sur cela. On ne peut pas accepter que Macky Sall mette 25 milliards sur la table pour financer sa campagne, au moment où quelqu’un d’autre, qui peut mieux servir le pays, parce qu’il n’a pas ces moyens, il se voit simplement éliminé. Jusqu’ici, il n’a pas dit au peuple comment ce financement a été obtenu. Il faudrait vérifier si les militants de l’Apr ont tous payé leur carte. Il faudrait comprendre comment lui-même a pu obtenir ces 25 milliards qu’il va mettre sur la table pour financer sa campagne. Je pense que les Sénégalais devraient être élucidés sur cette question. Une démocratie qui se respecte ne peut plus accepter cela. Ensuite, il faudrait mettre la lumière sur l’utilisation des deniers publics pour lui permettre d’avoir des parrainages, de récupérer des cartes d’identité. Je pense qu’une élection doit être libre. On ne peut pas accepter l’élimination de candidats sur la base de deniers publics utilisés simplement par un candidat. Cette question de financement des partis politiques et de la campagne électorale doit absolument être éclairée et tranchée sur le débat public.
Vous avez été au Parti démocratique sénégalais et ministre sous Wade. Comment comptez-vous puiser dans l’électorat de votre ancien parti politique ?
Cela se fait très naturellement. De ceux qui viennent grossir nos rangs, beaucoup viennent du Parti démocratique sénégalais. Parce que nous sommes tous des enfants de Wade. Nous avons du respect et de la reconnaissance pour tout ce que Wade a fait pour le pays et pour nous tous. Aujourd’hui, la candidature que certains veulent mettre en avant, celle de Karim Wade en l’occurrence, semble hypothétique avec les écueils qui se dressent devant lui. J’invite tout simplement nos amis et nos frères libéraux à comprendre que nous sommes aussi des enfants de Wade et qu’aujourd’hui, même si nous avons pris notre voie, la source reste toujours lui. Pour ne pas attendre le dernier moment pour nous retrouver tous dans une situation délicate et difficile, je leur tends ma main pour dire que nous sommes fortement intéressés par leurs soutiens.
Vous vous proposez en un candidat de rechange du Pds ?
Pas en un candidat de rechange. Mais juste un candidat, un politique qui a une offre nouvelle, différenciée dont la source d’inspiration est aussi Me Wade. Je ne peux pas être le candidat d’un parti auquel je n’appartiens pas. Mais je demande ce soutien aux militants de façon générale pour que, dans les combinaisons et coalitions, je sois un candidat qu’ils soutiendraient.
Le Pds est quand même un parti qui est miné par des querelles de leadership. Comment est-ce que vous appréciez cette situation ?
Je trouve ça regrettable. Le Pds est un grand parti. J’ai mal quand je le vois en situation d’immobilisme. A quelques mois des élections, le choix de son candidat n’est toujours pas clarifié. C’est quand même notre grande famille politique. J’ai du respect pour les responsables politiques qu’ils sont. J’invite le fondateur et les hauts responsables de ce parti à éviter d’accentuer l’immobilisme du Pds en ne clarifiant pas cette question. Là-dessus, je pense qu’il y a urgence à régler ce problème. Je souhaite, de tout cœur, que le Pds puisse trancher rapidement cette question et trouver en son sein son candidat.
On a récemment vu Souleymane Ndéné Ndiaye, Pape Samba Mboup et Serigne Mbacké Ndiaye lancer une initiative dénommée Rassemblement pour la pérennisation du libéralisme pour soutenir Macky Sall. Quel commentaire cela vous inspire ?
J’ai juste mal de vivre tout cela. Parce que j’ai un problème de lisibilité. Jusqu’où on peut aller, jusqu’où on doit s’arrêter, jusqu’où on peut s’associer à quelqu’un ? Je ne comprends tout simplement pas. Peut-être qu’il faudrait que je me rapproche d’eux pour comprendre le rationnel derrière. Mais, honnêtement, je m’interroge sur l’idéologie, les principes des uns et des autres, sur les lignes de démarcation. Aujourd’hui, quand je considère le président Macky Sall, au plan économique, de l’éthique, de la gouvernance et des rapports d’élégance et de courtoisie entre lui et sa famille politique, ça me pose problème. Pour tout cela, j’ai énormément de difficultés à comprendre la position de certains, surtout à quelques mois des élections. Maintenant, nous sommes en politique, je n’ai pas de jugement à porter sur les gens. Je ne soulève que des questions.
Parlons à présent de la 13e législature qui vient de boucler une année d’exercice. Quel bilan en tirez-vous ?
C’est un bilan négatif, dans la mesure où ce qui fait la substance d’un parlement et qui justifie tout l’encadrement des lois, la protection accordée à un député, est biaisé. Tout cela, c’est pour permettre au député de s’exprimer librement et de défendre correctement les intérêts du peuple. Malheureusement, on s’est rendu compte que cette liberté, on ne l’avait pas du côté de la majorité comme de l’opposition. On a une majorité qui s’est distinguée par un suivisme, une infantilisation extraordinaire et, à côté aussi, une opposition qui n’a pas pu s’exprimer correctement parce que, parfois, le règlement intérieur n’est pas du tout respecté. A la limite, nous avons perdu la dignité du Parlement.
Pourquoi vous le dites ?
Je fais référence à l’affaire Khalifa Sall. Je fais aussi référence à une loi comme celle sur le parrainage, à l’atmosphère globale que nous avons vécue au sein de cet hémicycle. Cela m’inquiète beaucoup cette instrumentalisation d’un côté, du Judiciaire et, de l’autre côté, le Parlement. A la limite, ce sont ces deux piliers de la République qui sont aujourd’hui à terre.
L’Assemblée nationale a toujours fonctionné de la sorte, que ce soit sous Diouf ou sous Wade. Que faudra-t-il changer, selon vous ?
Il y a des réformes institutionnelles importantes à faire. Je pense qu’avant tout, il faut revoir le mode de scrutin des élections législatives. Aujourd’hui, le ‘’Raw gaddu (système où celui qui a le plus de voix rafle la mise)’’ est en train de tuer la démocratie au sein du Parlement. Lorsque la majorité a 1 % de plus que l’opposition, elle rafle tous les sièges. Finalement, on se retrouve avec des déséquilibres. On se souvient des scores de Bby qui, avec 49 % des voix, s’est retrouvée avec plus de 100 députés, un peu moins de 30 pour toute la classe politique de l’opposition. Cela ne traduit pas fidèlement la réalité des rapports de force. Bien sûr, on peut parler d’une majorité, mais qui n’est pas celle qui a été exprimée par le suffrage universel. Il y a donc une réforme à faire à ce niveau.
La deuxième, c’est une question de valeurs et de dignité du Parlement. Il doit se prendre en charge et s’assumer. Le député doit comprendre qu’il est un élu du peuple et se libérer du joug et de la pression de l’Exécutif. C’est une question de rapport entre le député et sa propre conscience, le député et sa mission. A ce niveau, il y a un travail à faire, d’élévation de la conscience politique du député. C’est une question tout simplement de responsabilité. Maintenant, il y a des choses à redire par rapport à l’Exécutif, c’est-à-dire le présidentialisme.
Est-ce qu’il n’y a pas également des choses à redire par rapport à la fonction du député, dans la mesure où rarement on note des propositions de loi ou des enquêtes parlementaires ?
C’est l’atmosphère, le mauvais fonctionnement du l’hémicycle et cette forte politisation du Parlement qui amènent, en fait, ces blocages. Cette situation fait que l’intérêt supérieur de la nation n’est pas toujours mis en avant. Ce que l’on valorise au sein du Parlement, c’est plus le clientélisme, le rapport partisan que les rapports avec la vérité et le pays. En plus de cela, les députés n’ont aucune possibilité de s’exprimer. Déjà, techniquement, ils n’ont même pas d’assistance parlementaire. Donc, faire un effort allant dans le sens d’une proposition de loi suppose déjà cette assistance parlementaire, la compréhension des enjeux. Ça, c’est un premier niveau technique. Le deuxième niveau, c’est le réceptacle, l’écoute, la considération qu’on a pour ce député. Or, c’est cette considération qui est complètement bafouée et anéantie.
La seule dimension du député qui est aujourd’hui valorisée, c’est à l’aune de l’Exécutif. C’est comment il est apprécié par le chef de parti en même temps président de la République. Le présidentialisme et le cumul des fonctions, chef de parti en même temps président de la République, font que les députés, majorité comme opposition, sont aujourd’hui dans une situation extrêmement difficile. On s’attend à ce qu’il y ait un minimum de respect des lois et du règlement intérieur. De l’autre côté aussi, il faut que l’Exécutif comprenne le rôle du Parlement. Malheureusement, on passe complètement à côté. Nous avons atteint des niveaux d’infantilisation et d’instrumentalisation de cette législature jamais égalés. Je me souviens du 23 juin 2011, j’étais du côté de la majorité, il y avait quand même des parlementaires qui étaient dissidents et qui exerçaient une pression sur l’Exécutif pour ne pas faire passer le projet de loi sur le ticket présidentiel. Je me souviens aussi, pour le cas même du président Macky Sall, lorsqu’il s’est agi de réduire son mandat en tant que président de l’Assemblée nationale, il y avait des députés libéraux qui avaient pris position pour lui. Mais, aujourd’hui, c’est à 100 %. Je ne vois pas un seul député oser lever le petit doigt pour s’opposer aux orientations données par l’Exécutif. Ça me pose problème.
Comment appréciez-vous l’affaire Cheikh Bamba Guèye avec le groupe parlementaire Bby qui se dit prêt à lever son immunité parlementaire, si jamais l’Assemblée est saisie ?
Je suis en train de préparer un texte que je dois soumettre aux autres députés membres de l’opposition pour marquer notre solidarité à Cheikh Bamba Dièye et dénoncer cette infantilisation du Parlement, et surtout cette posture qui consiste à piétiner la dignité du Parlement. C’est le cas de l’affaire de Khalifa Sall, du parrainage et celui de Cheikh Bamba Dièye aujourd’hui. Nous sommes déçus par ce comportement-là, et l’attitude des députés de Benno Bokk Yaakaar nous déçoit. La levée d’immunité parlementaire transcende les questions partisanes.
On ne devait pas s’amuser avec cela. Dans d’autres pays, j’ai vu comment des députés ont pu faire bloc, pour préserver l’immunité de leur collègue. Quand on s’amuse encore une fois avec l’immunité parlementaire, au nom des questions partisanes, il y a là un risque d’infantilisation et d’effondrement de notre démocratie. Cheikh Bamba Dièye a parlé d’une justice instrumentalisée. Une Assemblée ou un Exécutif très peu responsable, qui va dans le même sens. On se demande où va le pays ? Nous sommes vraiment dépités, déçus et très inquiets. J’en appelle à la responsabilité du Parlement. Je transcende les questions partisanes pour inviter les uns et les autres à mettre en avant la dignité du Parlement et la liberté d’expression. Un député qui ne peut pas s’exprimer comme Cheikh Bamba l’a fait, c’est simplement inquiétant pour notre démocratie.
Par Assane Mbaye
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