Dakarmidi – Le contrat est rompu. Deux mois après la fin des travaux du Comité de concertation sur la modernisation de la justice, Isaac Yankhoba Ndiaye et les membres du comité peinent toujours à décrocher une audience avec le président de la République pour lui présenter officiellement leur rapport. N’en pouvant plus d’attendre, le président de l’Union des magistrats sénégalais sort de son mutisme, livre et commente, dans cette interview accordée conjointement à ‘’EnQuête’’ et au ‘’Témoin’’, la quintessence de leurs recommandations pour une justice extirpée du joug de l’Exécutif. Sans langue de bois !
Depuis quelque temps, on ne vous entend pas. Pourquoi ce long silence, comme si vous aviez perdu tout espoir de voir l’Exécutif satisfaire vos revendications ?
Silence n’est pas synonyme de désespoir, encore moins d’abandon. Je vous rappelle juste que depuis notre installation au mois de septembre 2017, nous avons tenu des journées d’études sur tout le territoire national ainsi qu’un colloque sur l’indépendance de la justice les 28 et 29 décembre 2017. Les propositions de réformes issues de ces réflexions ont été transmises à l’autorité. Par la suite, les pouvoirs publics ont mis sur pied un comité de concertation présidé par le professeur Isaac Yankhoba Ndiaye. A la fin des travaux du comité, le ministre nous avait donné l’assurance que la cérémonie de remise officielle du rapport au chef de l’Etat allait être organisée dans les semaines qui suivent. Depuis lors, nous attendions donc la tenue de cette cérémonie afin d’entendre, de vive voix, le président de la République se prononcer sur la question.
Vous attendiez… Pourquoi l’imparfait ? Est-ce à dire que vous n’êtes plus dans une posture d’attente ?
Vu les circonstances, je pense qu’il n’est plus nécessaire d’attendre pour donner la position de l’Ums. D’abord, parce que cela fait plus de deux mois que le comité a achevé son travail. Jusqu’à présent, la date de la remise du rapport au chef de l’Etat n’a pas été fixée. J’estime que le délai raisonnable d’attente est largement dépassé. Ensuite, le ministre de la Justice, qui avait invité les membres du comité à ne pas divulguer le contenu du rapport, s’est prononcé publiquement à deux reprises sur les propositions issues des travaux du comité.
Pouvez-vous revenir sur les recommandations fortes qui ont été faites?
Avant de parler des recommandations proprement dites, je voudrais revenir sur un aspect qui paraît fondamental : c’est le diagnostic. Car, au fond, les recommandations ne sont que les réponses que le comité a cru devoir apporter au mal diagnostiqué. A cet égard, je vous rappelle qu’à l’issue des différentes journées de réflexion évoquées plus haut, l’Ums avait fait un diagnostic qui faisait ressortir deux choses : l’ineffectivité des garanties de l’indépendance de la justice que sont le principe d’inamovibilité et le Csm. Le premier étant vidé de sa substance par le recours fréquent aux notions de nécessités de service et d’intérim. Il en résulte une précarisation de la situation des juges qui fait que plus de 90 % des juges sont en situation d’intérim, donc susceptibles d’être déplacés à tout moment.
Quant au Csm, il a été jugé inapte à garantir une gestion autonome et transparente de la carrière des magistrats, eu égard à sa composition, à son mode de fonctionnement et à ses attributions.
La dépendance du parquet vis-à-vis du ministère de la Justice qui rend possibles les immixtions du Garde des Sceaux dans le traitement des affaires judiciaires. Du fait de cette dépendance, un citoyen peut être poursuivi, mis sous mandat de dépôt et maintenu pendant plusieurs mois en détention par la seule volonté du ministre de la Justice, donc de l’Exécutif.
Au regard de ce constat sur lequel il n’y a pas eu la moindre réserve, on ne peut parler d’indépendance de la justice dans notre pays. Certes, le Sénégal regorge de magistrats indépendants et d’une intégrité à toute épreuve, mais le mode d’organisation et de fonctionnement de notre justice n’est pas conforme aux standards internationaux qui garantissent une justice indépendante et impartiale.
Affirmer cela, ce n’est point discréditer l’institution judiciaire ; c’est plutôt jeter les bases d’un véritable débat de fond sur le fonctionnement et l’avenir de notre justice. Notre conviction est que c’est dans l’expression libre des idées et des opinions qu’on fera avancer la cause de la justice. En tant que Sénégalais, nous aimons tous notre pays et notre justice. Mais si nous voulons aller de l’avant, il nous faut cultiver le devoir d’objectivité en désignant clairement les maux de notre institution.
Justement, qu’est-ce que le comité a proposé pour ‘’aller de l’avant’’ comme vous dites ?
Je rappelle que le comité devait se pencher sur trois thèmes : le statut de la magistrature, le Csm et la carte judiciaire. Concernant le statut de la magistrature et le Conseil supérieur, le comité s’est inscrit dans la même logique que l’Ums et a retenu les options fondamentales suivantes : mettre fin à la mainmise de l’Exécutif sur la carrière des magistrats en érigeant un Csm véritablement autonome. Pour cela, les propositions suivantes ont été retenues : pour la composition du Csm, l’Exécutif cesse d’en être membre. Toutefois, le président de la République peut, à sa demande ou sur invitation, assister à une séance du Csm. Quand il assiste à une séance du Csm, le président peut discuter des questions relatives au fonctionnement du Csm ou du service public de la justice, mais il ne délibère pas sur les questions liées aux nominations. Les chefs de cour en sont membres de droit.
En sus de la sortie de l’Exécutif, il a aussi été demandé le relèvement significatif du nombre des magistrats membres élus, qu’il y ait un représentant du ministère de la Justice en charge de la gestion des services et personnels judiciaires parmi les membres de droit, l’ouverture du Csm à d’autres professions et profils (un universitaire, un avocat, un notaire, un huissier de justice et un expert agréé, tous désignés par leurs pairs ainsi qu’une personnalité indépendante nommée par le président de la République), la présidence du Csm par le Premier président de la Cour suprême.
En ce qui concerne les attributions du Csm, le pouvoir de proposition devrait être exercé désormais par le Csm. Pour éviter, qu’en raison d’un changement brusque, que le Csm, dans sa nouvelle composition, ne soit débordé par la charge de travail, il a été retenu que le Csm devrait, pour le moment, faire les propositions pour pourvoir aux emplois les plus importants, notamment les magistrats de la Cour suprême, les chefs de cours d’appel, les chefs de juridictions (parquet comme siège), les magistrats devant être admis au grade hors hiérarchie. Le ministre de la Justice devrait, provisoirement, garder la possibilité de faire les propositions de nomination pour les autres magistrats, à savoir les magistrats (juges et substituts) des tribunaux de grande instance (Tgi) et des tribunaux d’instance (Ti), les présidents des tribunaux d’instance et les délégués auprès des tribunaux d’instance.
Néanmoins, la nomination de ces magistrats est subordonnée à l’avis conforme du Csm.
Pour ce qui est du fonctionnement du Csm, il a été recommandé l’instauration de la transparence à travers les dispositions suivantes : la imitation de la durée d’exercice aux postes de responsabilité, l’application des critères objectifs suivant la compétence, les responsabilités antérieurement exercées, l’expérience, l’ancienneté et l’intégrité, l’appel à candidatures suivi d’une évaluation objective sur la base des critères ci-dessus définis. Rendre effectif le principe d’inamovibilité et mettre fin à la précarisation de la situation des magistrats.
Par ailleurs, pour rendre effectif le principe d’inamovibilité et mettre fin à la précarisation de la situation des magistrats, il a été recommandé : l’encadrement des notions d’intérim et de nécessités de service. Le recours à cette notion (nécessités de service) ne devrait désormais être possible que dans des cas limitativement énumérés et sur lesquels le Csm devrait exercer son pouvoir de contrôle. Le comité a également proposé la nomination de tous les juges d’instruction par décret, sur proposition du Csm et non par arrêté, comme c’est le cas actuellement…
Qu’en est-il de la revendication de l’Ums portant sur l’âge de la retraite ?
Cette loi est non seulement discriminatoire, mais elle place, en outre, les magistrats dans une situation de dépendance absolue vis-à-vis de l’Exécutif. Ce qui est contraire à toute idée d’indépendance. Nous ne le répéterons jamais assez : toute situation de dépendance doit être bannie, car elle constitue un danger pour le justiciable. En effet, fragiliser le juge, c’est mettre en péril les libertés.
En troisième lieu, le comité a fait des recommandations pour la réduction de la dépendance du parquet vis-à-vis du ministre de la Justice. A ce propos, à l’instar de ce que l’Ums avait proposé, le comité a admis la nécessité de garder le lien entre le parquet et le ministère de la Justice. Mais les pouvoirs du Garde des Sceaux devraient se limiter à l’élaboration de circulaires générales. Il ne devrait plus y avoir d’instructions individuelles données à tel ou tel procureur. Les propositions du comité sont les suivantes : l’interdiction des injonctions individuelles faites au parquet. Pour les magistrats qui ne sont pas chefs de parquet, les propositions sont faites par le ministre sous réserve de l’avis conforme du Csm.
Dans une de ses sorties, le ministre de la Justice a évoqué la crainte de voir survenir le ‘’gouvernement des juges’’. Qu’en pensez-vous ?
Ça m’étonnerait que le ministre de la Justice, qui est tout de même un professeur de droit, puisse tenir de tels propos. Mais, en tout état de cause, je considère que dans notre système judiciaire, c’est totalement incongru de parler de ‘’risque de gouvernement des juges’’.
L’expression ‘’gouvernement des juges’’ désigne la situation dans laquelle les juges outrepassent leurs prérogatives et, au lieu de se limiter à la mission d’interprétation de la loi, se mettent littéralement à ‘’gouverner’’ en exerçant des prérogatives dévolues au pouvoir Exécutif ou Législatif. Ce risque n’existe que dans les pays où certaines grandes décisions à enjeu national ou à caractère économique ne peuvent être prises sans l’aval préalable des juges.
Par exemple, on a parlé de ‘’gouvernement des juges’’ lorsque, lors de la crise de 1929, la Cour suprême des Etats-Unis s’est opposée à certaines réformes proposées par le président Franklin Roosevelt.
Vous savez, dans certains pays comme le Maroc, on est allé jusqu’à couper le cordon ombilical reliant le ministère de la Justice au ministère public et on a institué un organe qui gère tout le service public de la justice, notamment le recrutement du personnel, l’allocation et la gestion du budget, la formation des magistrats, etc.
Chez nous, on est dans un tout autre schéma. Ce que réclame l’Ums, c’est la version minimaliste de l’indépendance de la justice, à savoir trois choses principalement : la mise en œuvre effective du principe d’inamovibilité qui, je vous le rappelle, est une garantie constitutionnelle ; que la carrière des magistrats, qui n’est tout de même pas une question d’ordre économique, soit gérée par les magistrats ; que l’on réduise la dépendance du parquet vis-à-vis du ministre de la Justice par le biais de la suppression des instructions individuelles. Je vous fais observer que le ministre lui-même a dit, à plusieurs reprises, qu’il s’interdit toute injonction individuelle. Par conséquent, il ne devrait pas y avoir d’obstacles à l’adoption de cette réforme.
Franchement, en quoi la satisfaction de ces demandes, dont nul ne conteste le bien-fondé ou la faisabilité, comporterait-elle le risque d’aboutir à un ‘’gouvernement des juges’’ ? Disons-nous la vérité : ce que redoute l’Exécutif, c’est moins l’instauration d’un supposé ‘’gouvernement des juges’’ que la perte du contrôle qu’il exerce sur le pouvoir Judiciaire. Or, les dirigeants doivent savoir que le contrôle qu’ils veulent exercer sur la justice est un couteau à double tranchant. Quand la justice est fragilisée, c’est tout le monde qui est en danger. La liberté et la sécurité de chacun d’entre nous se trouvent dans l’indépendance de la justice, pas dans son asservissement à un quelconque pouvoir, et surtout pas à l’Exécutif.
Vous n’êtes donc pas de ceux qui pensent que l’Exécutif devrait continuer à siéger au sein du Csm ?
Par souci de cohérence, on ne peut se plaindre de l’emprise de l’Exécutif sur la carrière des magistrats et continuer à lui demander qu’il veuille bien diriger l’organe qui gère nos carrières. Ensuite, il faut savoir que l’indépendance de la justice passe, forcément, par l’érection d’un organe de gestion de la carrière qui soit autonome et où les décisions sont prises en toute liberté par les membres du Csm. Or, il est totalement illusoire de penser qu’un Csm peut être dirigé par l’Exécutif sans que celui-ci ne puisse influencer les décisions, d’une manière ou d’une autre. L’expérience vécue au sein du comité de concertation a prouvé que lorsque l’Exécutif n’est pas présent, les gens s’expriment en toute liberté. Je suis persuadé que si les travaux du comité avaient été menés en présence du président de la République ou du ministre de la Justice, on n’aurait pas abouti à un tel résultat. La présence, au sein du Csm, du président de la République et du ministre, est un facteur d’inhibition.
L’autre risque évoqué, à savoir le règne du corporatisme, ne me semble pas davantage justifié. Car, en réalité, c’est le mode de fonctionnement actuel du Csm, caractérisé par l’absence de critères objectifs préalablement fixés, qui permet à une seule autorité ou à un groupe de personnes de faire prévaloir sa volonté. Mais si, en application des recommandations de l’Ums et du comité, on arrive à instaurer un système de transparence avec une publication des postes vacants, un appel à candidatures et l’application de critères objectifs préalablement définis et connus de tous, il n’y a aucun risque que s’instaure un corporatisme.
En outre, il faut rappeler que le Csm devrait être élargi à des personnalités extérieures en plus de l’augmentation du nombre de membres élus. Avec un tel système, l’aléa et le favoritisme ne pourront plus prévaloir dans les décisions du Csm. Je pense que nous devons nous assumer et nous dire que nous pouvons relever le défi. La prudence légitime perceptible chez certains ne doit pas aller jusqu’au manque de confiance en soi. Les magistrats ne sont tout de même pas frappés d’incapacité, pour qu’on soit obligé de les mettre, en permanence, sous la tutelle de l’Exécutif.
Encore une fois, la conduite des travaux de ce comité a prouvé, à suffisance, que les acteurs de la justice, laissés à eux-mêmes, peuvent travailler dans le bon sens.
On a beaucoup parlé de ce qui ne va pas. Mais, parait-il, il y a un léger mieux dans le fonctionnement du Csm. Le confirmez-vous ?
Oui, incontestablement. La formule retenue, qui consiste à se réunir dans le bureau du ministre pendant au moins deux, voire trois heures de temps, est de loin préférable à la pratique de la consultation à domicile. Il faut reconnaître que sur ce point, le ministre a fait preuve d’une réelle ouverture d’esprit. N’empêche, il ne faut pas perdre de vue le fait que même avec cette formule, on garde toujours la même logique d’hégémonie de l’Exécutif sur le processus de nomination. C’est toujours le ministre qui fait les propositions selon ses propres critères. Autrement, il s’agit d‘un simple réaménagement d’un système qui fonctionne sur la même logique. Or, il nous faut changer de paradigme et instituer un organe dans lequel les membres du Csm auront de réels pouvoirs.
C’est, précisément, le sens des réformes proposées tant par l’Ums que par le comité. D’ailleurs, le Garde des Sceaux a souligné qu’il s’agit juste d’une phase de transition, en attendant la réforme du Csm.
Le ministre de la Justice a récemment annoncé que le président de la République n’est pas obligé d’appliquer les recommandations du comité. Votre commentaire ?
Cela relève de l’évidence que le chef de l’Etat n’est pas obligé d’appliquer des recommandations. En droit, il a raison de le dire. Cependant, le problème ne se pose pas en termes de légalité, mais de responsabilité. Portalis disait que ‘’la justice est la première dette de la souveraineté’’. Lors de la dernière rentrée solennelle des Cours et tribunaux, il s’est publiquement engagé à aller le plus loin possible dans le renforcement de notre système judiciaire. Je présume que s’il l’a dit, c’est parce qu’il avait compris que la situation actuelle de la justice doit être revue. A présent que les travaux qu’il a commandités ont confirmé la position des acteurs de la justice tant sur la nécessité que la nature des réformes à engager, je pense qu’il faut en tirer les conséquences et joindre l’acte à la parole. Nous croyons comprendre que le président de la République est dans de bonnes dispositions pour procéder aux réformes nécessaires. Il y a certains qui sont hostiles à l’idée de réformes qui lui tiennent un autre discours. Mais il doit comprendre qu’actuellement, ces réformes sont une urgence absolue. Pas seulement pour les magistrats et les acteurs de la justice, mais pour l’intérêt supérieur de la justice.
Nous vivons dans une société organisée où chacun assume des responsabilités. Nous autres acteurs de la justice, notre responsabilité est de tirer la sonnette d’alarme, d’identifier les problèmes et, dans la mesure du possible, de proposer des pistes de solution. Il est de la responsabilité des pouvoirs publics, et en particulier de celle du président de la République qui est le garant du bon fonctionnement des institutions, de mettre en œuvre les réformes qui nous permettront d’aller de l’avant. Nous espérons qu’il le fera.
Au cas où les recommandations ne seraient pas appliquées, quelle serait la posture de l’Ums ?
Notre objectif est clair : aboutir aux réformes qui sont le seul moyen de redonner sa crédibilité et son autorité à la justice de notre pays. Il s’agit d’une demande citoyenne, louable et légitime. Et pour y arriver, nous ferons tout ce que nous permet notre statut. Je vous rappelle que la réforme du Csm est une très vieille doléance des magistrats. Déjà en 1991, le Premier président de la Cour suprême du Sénégal, M. Assane Bassirou Diouf, le rappelait en ces termes dans son discours prononcé lors de la rentrée solennelle des Cours et tribunaux : ‘’Puisqu’on ne voit que des députés pour administrer le pouvoir Législatif, puisqu’on ne voit que des ministres à la tête des principales activités nationales dévolues à l’Exécutif, il nous paraît de plus en plus contraire à la raison que la justice soit confiée et recommandée à un pouvoir extérieur à elle, tandis qu’on continue à l’affubler de l’appellation de pouvoir Judiciaire.’’
Par ailleurs, permettez-moi de faire une mise au point : notre démarche ne procède pas d’une logique corporatiste, mais d’une posture citoyenne. L’indépendance de la justice n’est pas au service des magistrats, mais des citoyens. Par conséquent, se mobiliser pour mettre fin à cette situation ne doit pas être l’affaire des seuls magistrats, même si je dois reconnaître qu’en tant qu’acteurs principaux de la justice, nous sommes interpellés au premier chef.
Le gouvernement, estiment certains, pourrait être tenté de retarder leur application et d’en user ultérieurement pour faire des promesses électorales. Cette hypothèse est-elle envisageable ?
Ecoutez, actuellement, toutes les conditions sont réunies pour que l’on passe immédiatement aux réformes. D’abord, le ministre de la Justice a laissé entendre, à plusieurs reprises, que le président de la République est favorable aux réformes. Ensuite, il y a eu des réflexions approfondies menées par ceux que l’on peut considérer comme étant les meilleurs experts en la matière, c’est-à dire les représentants de tous les acteurs de la justice. Enfin, à l’exception d’une ou de deux d’entre elles, les propositions formulées n’ont aucune incidence financière et sont donc facilement réalisables.
D’ailleurs, certaines de ces réformes, comme la transparence, ne nécessitent même pas un changement de texte. En France, la transparence a été appliquée de 1993 à 1996, sur la base d’un consensus des acteurs de la justice. Ce n’est qu’en 2016 que la loi sur la transparence a été votée. Chez nous aussi, il ne dépend que de la seule volonté des pouvoirs publics pour instaurer ce système de transparence. Si, en dépit du fait que toutes les conditions sont réunies, ces réformes ne sont pas mises en œuvre tout de suite, quelle crédibilité pourrait-on accorder à des promesses électorales qui seraient faites dans un an ? Nous, ce qu’on attend du président de la République, c’est qu’il pose des actes en mettant en œuvre les réformes souhaitées et non qu’il s’engage à nouveau.
J’ai bon espoir qu’il fera le nécessaire, surtout quand je pense qu’il a fait appel à un professeur émérite comme Isaac Yankhoba Ndiaye pour présider le comité. Je n’ose pas imaginer que ce professeur, qui a conduit les travaux de main de maître, avec autant d’engagement et de professionnalisme, aura travaillé pour rien.
Nous allons vers une élection présidentielle. Peut-on s’attendre à ce que la justice joue son rôle d’arbitre et de dernier rempart, en cas de contestations et de violences électorales ?
Les élections constituent un moment-clé de la vie d’une démocratie. Le peuple sénégalais a déjà montré, à plusieurs reprises, qu’il sait se montrer à la hauteur d’un tel défi. Mais il est important de préciser qu’en démocratie comme dans d’autres domaines, il faut toujours veiller à préserver les acquis. Le rôle de la justice est déterminant à tous les stades du processus électoral : de l’inscription sur les listes électorales à la proclamation des résultats, en passant par la supervision des opérations électorales et le recensement des votes.
Pour réussir sa mission, la justice a besoin de deux choses : de l’expertise et de l’autorité. Au Sénégal, la justice a suffisamment d’expertise, même si, avec le renouvellement permanent des effectifs, il est nécessaire d’envisager des sessions de renforcement de capacités. Quant à l’autorité, elle dépend, pour une large part, de la perception que les acteurs ont de l’institution judiciaire et de la manière dont le processus électoral est mené.
Aussi, me paraît-il essentiel de travailler à instaurer un climat de confiance tant entre les acteurs politiques eux-mêmes qu’entre les citoyens et la justice. Et je pense justement que la mise en œuvre des réformes participerait, dans une large mesure, à restaurer cet indispensable climat de confiance entre les citoyens et le pouvoir Judiciaire.
En ce qui nous concerne, nous comptons jouer pleinement notre rôle. L’Ums envisage d’organiser, dans les semaines et mois à venir, des sessions de renforcement de capacités et de sensibilisation des acteurs du processus électoral.
Source: Enquête