Dakarmidi – Après Balla Gaye et Bassirou Faye pour ne citer que les cas les plus récents, Mouhamadou Fallou Sène vient d’allonger la longue liste des étudiants tués dans les campus au Sénégal, alors qu’ils ne réclamaient que le paiement de leurs bourses. Des témoins de ces drames reviennent sur les péripéties de ces bavures très souvent passés par pertes et profits. Ils parlent également du caractère « vital » de la bourse pour l’étudiant sénégalais, généralement issu de familles défavorisées.
« Demain, à qui le tour ? » Telle est la question que se pose Ahmadou Bamba Sène, la voix mélancolique. Président de l’amicale des étudiants de la faculté de Droit, M. Sène ne décolère pas contre les autorités. Il s’interroge : « Je me demande ce que nous avons fait pour mériter un tel sort ? Si cela ne dépendait que de nous, on n’allait jamais descendre dans la rue pour réclamer des bourses. Ce sont elles (les autorités) qui nous affament, qui nous poussent jusque dans nos derniers retranchements pour nous ôter la vie, à l’intérieur même de notre campus. Il faut parler à ces autorités. L’étudiant mérite plus de respect. Il faut arrêter ces bavures. Trop c’est trop !’’ peste le natif de Gandiaye dans la région de Kaolack. Lui connaît bien l’utilité de la bourse pour les étudiants qui, selon lui, souffrent le martyre dans les campus. ‘’Imaginez, dit-il, quelqu’un qui vient de Fongolomy, issu d’une famille modeste.
Il n’a que cette bourse pour essayer de survivre, faire des résultats à l’université et aider ses parents. Ce régime a déjà fait beaucoup de mal en diminuant de manière drastique le nombre de boursiers avec ses réformes. Nous essayons, par la solidarité, de nous entraider pour joindre les deux bouts. Mais si les quelques bénéficiaires n’arrivent pas à avoir leurs bourses, comment pourraient-ils subvenir à leurs besoins et venir en aide à leurs camarades ? Les gens ne descendent pas dans la rue de gaieté de cœur. C’est pour des besoins de subsistance’’. Très en colère, l’homme rappelle ses origines modestes. Fils d’un père qui n’est pas un agent de l’administration et d’une mère ménagère, il considère la bourse comme étant vitale. ‘’Si on ne mange pas, on est mort. On ne peut pas mener à bien nos études. Voilà pourquoi les gens descendent dans la rue. Ils n’ont qu’à payer les bourses à temps pour éviter ces manifestations et drames’’, lâche le syndicaliste, furax.
Thierno Thioune : « Un étudiant sans bourse, c’est comme un salarié sans son salaire »
Désormais professeur à la Faculté des Sciences économiques et de Gestion, Thierno Thioune a vécu, lui aussi, les ‘’intifada’’ sur l’Avenue Cheikh Anta Diop. C’était dans les années 2 000. Sous ses yeux, Balla Gaye est tombé le 31 janvier 2001. Une journée ‘’inoubliable’’, selon lui. ‘’Balla n’était pas au front. Il était juste passé au mauvais endroit, au mauvais moment. Moi j’en faisais partie. J’ai même été blessé, évacué au poste de santé du campus. Par la suite, j’ai été convoqué et entendu à la Division des investigations criminelles que je n’oublierai jamais’’. Pourtant, renchérit le désormais professeur, ‘’la bourse, ce n’est pas de la charité. Ce sont nos contributions, nos impôts. C’est une allocation pour les études. C’est comme le salaire. Car, elle permet à son bénéficiaire de subvenir à ses besoins pédagogiques et de subsistance. Un étudiant sans sa bourse, c’est comme un salarié sans son salaire. Naturellement, si on tarde à les payer, ils vont se retrouver dans des difficultés’’. Selon lui, ceux qui ressentent le plus les retards de paiement, ce sont les fils de ‘’baadoolo’’ (personnes démunies) qui n’ont pas d’autres ressources supplémentaires. Originaire de Tamba, il reconnaît que la bourse a été d’un grand apport pour lui. ‘’Comme elle l’a été pour le président Sall’’, a-t-il-ajouté.
Après Balla Gaye, c’était au tour de Bassirou Faye de succomber suite à une bavure policière. Ahmadou Sall était là le 14 août 2014, quand le natif de Diourbel se faisait abattre dans l’enceinte de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar. Il était déjà parmi les leaders syndicaux. La veille, rappelle le juriste, ils avaient rencontré le ministre de l’Enseignement supérieur, le même Mary Teuw Niane, après 30 jours de grève à cause des retards dans le paiement des allocations d’études. ‘’Il ne voulait même pas nous recevoir. Nous l’y avons obligé. Par la suite, il nous a certifié que les bourses allaient être payées le lendemain (le jour de la mort de Bassirou Faye). Nous n’avons pas eu le temps d’informer nos bases. Et même si nous l’avions fait, cela n’auraient servi à rien. Car les autorités ne tiennent jamais leurs promesses’’, se remémore-t-il.
Après avoir pleuré la mort de « Bass », l’étudiant croyait que justice allait être faite, et que plus jamais ses camarades n’allaient connaître un tel drame. Mais c’était sans compter sur l’incurie de certains éléments des forces de l’ordre. Ils ont encore remis ça ce mardi. Ainsi après Dakar les 31 janvier 2001 et 14 août 2014 pour ne citer que ces cas, c’est Saint-Louis qui vient de connaître son 15 mai avec la mort de Mouhamadou Fallou Sène. Une journée qui restera à coups sûrs dans les annales macabres de la communauté universitaire sénégalaise.
Les non-dits d’une gestion opaque des bourses
En 2012, le nouveau régime sous le sceau de la transparence et de la vertu avait commandité un audit pour nettoyer le système. 35 000 cas frauduleux, se félicitait Mary Teuw Niane, avaient ainsi été décelés. Quatre ans plus tard, le problème reste entier.
Du côté du Syndicat autonome des enseignants du supérieur, l’indignation est le sentiment le mieux partagé. Mais au-delà des récriminations, de la contestation et de la cessation de travail, le Secrétaire général Malick Fall appelle à une rétrospection. ‘’Nous ne devons pas rester là à nous renvoyer la balle. Après ce énième drame, nous devons tous nous asseoir autour d’une table, regarder comment régler une bonne fois pour toutes cette lancinante question du paiement des allocations d’études’’. Le professeur de Biologie animale reste convaincu qu’il existe beaucoup de non-dits dans le paiement des bourses aux étudiants. ‘’Il faut faire un audit de ce secteur. D’après le Ministère des Finances, le virement a été fait depuis 15 jours. Personnellement, je n’y crois pas. Ils nous ont habitués à ce genre de discours. Par exemple, pour ce qui est des ressources allouées aux étudiants, le ministère dit qu’elles sont évaluées à 52 milliards F CFA. Dans son bureau, je lui ai demandé de nous le prouver. Même s’il y avait (100 000 boursiers à raison de 36 000 francs chacun, cela ferait 43 milliards. Je me demande donc d’où ils tirent ce montant. Il faut faire un audit pour éclairer la lanterne des Sénégalais.’’
Il faut rappeler qu’au début de sa mandature, Macky Sall et son gouvernement avaient juré de faire la lumière sur la gestion des bourses des étudiants. Suite à un audit qu’ils avaient mené à l’époque, 35 000 bénéficiaires indus ont été extirpés du système, selon le ministère de l’Enseignement supérieur. Les résultats de cette enquête avaient été publiés en août 2014. A cette époque, il avait été décompté 62 484 bénéficiaires d’allocations dans les différents établissements d’enseignement supérieur pour un montant global de 30 347 354 000 F CFA. Suffisant pour que le gouvernement s’en vante : ‘’La mise en œuvre de la nouvelle politique des bourses a permis le nettoyage du fichier de la Direction des Bourses où figurait un grand nombre de non ayants droit, nombre d’autant plus grand, compte non tenu des nouvelles attributions. Ce sont plus 35 000 non ayants droit qui ont ainsi été retirés de la base de données des bourses. Parmi ceux-ci un grand nombre de boursiers du troisième cycle’’.
Quatre ans après, professeurs, étudiants, contribuables demandent ce que sont devenus ces chiffres. Et qui sont les véritables attributaires des 52 milliards d’allocations. Ce, d’autant plus que, selon le président de l’Amicale de la Faculté de Droit, le nombre de bénéficiaires par an a drastiquement baissé. ‘’Auparavant, à la Faculté de Droit que je connais, il nous arrivait d’avoir jusqu’à 2 000 nouveaux allocataires. Maintenant, bourses et aides comprises, on peine à atteindre la barre des 1 000. Ce régime nous a déjà tués’’, fulmine Ahmadou Bamba Sène.
Faut-il supprimer le monopole d’Ecobank ?
Sur un autre, le SG du Saes trouve ‘’inadmissible’’ que le Recteur de l’Ugb ait daigné violer les franchises universitaires juste pour empêcher les étudiants de prendre leur petit-déjeuner gratuitement. D’autant plus que c’est parce qu’ils n’ont pas reçu leurs bourses. ‘’Aujourd’hui, constate-t-il pour le regretter, il faut retenir que tout cela est arrivé pour une affaire de 750 000 F CFA. En effet, si on laissait 10 000 étudiants manger gratuitement, cela ne coûterait à l’Etat que 750 000 F car le ticket de petit-déjeuner est à 75 francs’’.
Par ailleurs, le Secrétaire général du SAES s’interroge sur le monopole d’Ecobank dans le paiement des bourses. Selon lui, il aurait été plus judicieux de choisir un pool de banques pour amoindrir la concentration des étudiants. Ecobank seul peut avoir du mal à prendre en charge tous les étudiants. Aussi, quand il y a retard au niveau des virements, est-elle en mesure de faire les préfinancements requis. Il faut revoir tout ça’’, suggère l’enseignant. Vu les nombreuses interpellations qui les accablent, nous avons essayé d’entrer en contact avec la banque, mais elle s’est bunkérisée.
Pour rappel, c’est en juillet 2008 que l’Etat du Sénégal a signé avec la Banque panafricaine une convention d’externalisation pour le paiement des allocations d’études.
Par Mor Amar
La rédaction