Dakarmidi – Nous voilà donc au Sénégal à nouveau confronté à “une mort-catastrophe” comme Babacar Sine avait caractérisé la mort brutale du regretté Cheikh Anta Diop dans son éditorial publié dans le “Soleil”. Toutes les vies humaines sont d’égale dignité mais ne sont pas d’égal impact sur la marche de la société.
La vie et l’oeuvre de Bruno Diatta l’inscrivent dans le panthéon de ce groupe restreint de Sénégalais et Sénégalaises émérites qui seront toujours identifiés avec le Sénégal qu’ils ont aimé, tant et plus et servi jusqu’à leur dernier souffle.
Le Sénégal vient de perdre un de ses meilleurs fils.
Le Maestro-chorégraphe du cérémonial de la République depuis 40 ans, Chef du Protocole d’État le plus connu de notre jeune République, est en effet un virtuose et un Choréographe en chef de la préséance républicaine.
Pendant presque dix ans à la tête de la diplomatie de notre pays, j’ai eu la chance d’une proximité humaine et professionnelle avec Bruno Diatta, proximité et complicité façonnées par des milliers d’heures d’avion, des voyages dans une centaine de pays du monde et par le café savoureux et salutaire pris à 2 heures du matin lors des sessions interminables des organisations panafricaines ou internationales.
Parmi les meilleurs moments de mon passage dans ce grand ministère, compteront toujours pour moi les compliments appuyés de Bruno Diatta, surtout quand le Sénégal, sa raison de vivre et de se lever chaque matin pour aller travailler 14 heures ou 16 heures par jour, marquait des points sur l’échiquier africain ou international.
Je me souviendrai aussi de sa joie quand on lui a rapporté mon discours lors d’une réception offerte aux anciens ambassadeurs. “Cheikh j’ai beaucoup ri quand mon interlocuteur m’a dit que le Ministre d’État Gadio “interdit” aux ambassadeurs d’aller à la retraite, et que le compromis est qu’ils soient juste “en retrait”, toujours prêt à servir, à encore servir et toujours servir. C’est bien dit!”
Bruno a prouvé son adhésion totale à cette vision du service de l’état et de l’amour inconditionnel de la nation. Il n’a jamais pris la retraite. Plus important, il n’a jamais été “en retrait” même s’il avait commencé à positionner la relève. Or donc Bruno est allé plus loin en pratiquant le serment de l’engagement ultime: “on a toute la mort pour dormir et nous reposer!”
Cher grand frère, tu m’avais promis que tu allais écrire tes “mémoires”! As tu pu le faire? De Senghor, à Diouf, Wade et Macky, la République t’a confié ses secrets les plus intimes, les meilleurs comme les pires, sa mémoire et ses saoubresauts, ses dits et ses non-dits. Que les non-dits restent des non-dits mais que les “dits” soient dits pour épargner à notre patrie le surplace et les éternels recommencements.
Un colloque international réunissant la crème de la diplomatie sénégalaise, africaine et internationale devrait se tenir assez vite pour réunir tous les témoignages disponibles sur Bruno et concocter une publication, une sorte de “mélanges” en hommage à celui qui a incarné pendant longtemps ce que notre pays avait de plus beau à offrir au monde sur l’échiquier international: la rigueur, la méthode, le sérieux, le sourire, le charme, “l’élégance et le bon gout sénégalais”.
Talleyand est salué par beaucoup comme le plus grand diplomate des siècles passés. Rien que sa finesse et son adaptabilité qui l’ont fait servir et adouber par le Roi, par ceux qui ont renversé le Roi, par ceux qui ont renversé ceux qui avaient renversé le Roi, par Napaléon, etc. ont prouvé, comme Bruno l’a fait, que c’est “le pays d’abord!, le Sénégal d’abord!”
Bruno sera salué comme le “Talleyrand africain”, qui sans états d’âme, a servi les 4 Présidents des 58 ans d’indépendance du Sénégal.
Son ami, le “Bruno Diatta ivoirien”, le fin diplomate George Ouégnin qui doit être un homme ébranlé par sa disparition, a quelque peu suivi ses traces en servant Houphouet et son plus grand opposant Gbagbo.
Peut-on alors supplier la classe politique sénégalaise, à couteaux tirés sur toutes les questions, aux antipodes des valeurs prônées par Bruno, de reconnaitre enfin que ce sont ces valeurs-là, incarnées par des patriotes-républicains comme Bruno Diatta, qui bâtissent une République debout et qui concourent à son rayonnement! Les divergences sont nécessaires et indispensables, les convergences “autour de” aussi!
Avec le délitement tragique des valeurs républicaines et des comportements républicains dans notre pays, Bruno devient un contemporain essentiel pour tous ceux qui veulent un Sénégal reconcilié et démocratique, à la recherche constante de consensus forts et de gestion concertée.
Vivement donc des funérailles nationales pour Bruno Diatta! De telles funérailles ne doivent pas être l’apanage exclusif des Chefs d’état mais peuvent aussi parfois honorer les plus grands des plus grands serviteurs de l’état. Un peu à l’image des funérailles récentes du sénateur américain John McCain qui ont ému le monde.
La rencontre Diouf / Wade / Macky autour du cercueil de Bruno Diatta, enrobé du drapeau national, doit être un grand moment d’introspection pour eux–mêmes, pour la nation et peut-être, nous le souhaitons vivement, un déclic pour une nouvelle conversation nationale menant à un début de réconciliation et de déminage du champ politique chauffé à blanc par des perspectives électorales pressantes.
Nos condoléances attristées vont d’abord à notre soeur Thérèse, la discrète Mme Diatta qui a “prêté” son mari à la République pendant plusieurs décennies, à leurs enfants, parents et proches, aux Présidents Diouf / Wade / Sall, au peuple sénégalais tout entier, à tous ses amis africains et à la communauté diplomatique internationale.
Grand frère Bruno, désormais “Ambassadeur en retrait”: Respect et Affection. Bon repos! Tu l’as mérité!
Cheikh Tidiane GADIO
La rédaction