Dakarmidi – Entrisme ou messianisme politique? Sous le magistère du président Macky Sall, les démissions et radiations de hauts fonctionnaires suivies de déclarations d’ambitions présidentielles marquent une rupture fondamentale. La classe politique traditionnelle est divisée sur la question de ces éléments perturbateurs et dénonce ou adoube, selon les allégeances, ces nouveaux types de « politiciens ».
Qu’ont en commun Ousmane Sonko, Ibrahima Hamidou Dème, et le capitaine Mamadou Dièye ? D’être tous sortants de l’université Gaston Berger de Saint-Louis. Anecdotique ! D’être, à l’exception du premier qui a été radié, de hauts fonctionnaires démissionnaires de leurs postes. Le hasard ! De vouloir tous, pour des raisons personnelles et une posture éthique, se lancer dans le champ politique. Intéressant ! Trop de coïncidences n’est-ce pas ? Si l’on exclut le fait qu’ils ont tous comme cœur de cible, la même personne de l’actuel président de la République. Les fonctionnaires ne semblent pas avoir Macky Sall à la bonne.
Avant et après qu’enseignants et médecins ont porté le mercure du front social au-delà de la température normale en cette période préélectorale, ce sont les hauts fonctionnaires qui s’y mettent. Le mécontentement dans l’administration n’est pas nouveau et a même eu une manifestation plus générale et plus violente avec le cas des policiers radiés par Abdou Diouf en 1987. Mais en milieu de mandat du président Macky Sall, un enchaînement d’insatisfactions patentes, dans des services sensibles de l’administration (Impôts et domaines, Justice, Armée) dont de hauts cadres ont pris la résolution ferme de combattre politiquement son régime, a été noté.
La première secousse tellurique, bien que non dirigée contre les politiciens, qui a fait vaciller la toute-République est l’œuvre livresque du Colonel Abdoul Aziz Ndaw. Comble de l’ironie, ‘‘Pour l’honneur de la gendarmerie sénégalaise’’ Harmattan, juillet 2014, met à nu les magouilles dans la maréchaussée. La sortie, le week-end dernier, de l’officier de l’Armée, capitaine Mamadou Dièye, dans les colonnes du journal ‘‘Le Quotidien’’, dénonçant, sans plus, ‘‘les choses peu catholiques’’ dans l’Armée et annonçant par la même son désir de prendre part à la prochaine présidentielle, laisse penser que la perception de la politique par les hauts cadres de l’administration soumis au devoir de réserve a changé
Pape Saër Guèye salue les « nouveaux messies » : « S’ils venaient au Pds, je leur céderais ma place »
Cette convergence dans le jeu politique est diversement appréciée par les acteurs classiques du landerneau. Au Parti démocratique sénégalais (Pds), fortement empreint de l’Adn contestataire des 200 cadres qui ont signé le manifeste du parti à sa fondation en 1974, ces nouveaux types de politiciens sont plutôt les bienvenus. ‘‘Je me félicite que les cadres comprennent qu’ils ont le devoir de gérer la cité. Cela ne peut que leur incomber davantage. Les ruptures brutales qui positionnent des magistrats, des officiers de l’armée…, sont favorisées par un malaise et une gestion qui déstructurent les fondements de l’Administration républicaine du Sénégal.
C’est une conséquence de la mauvaise gestion, du management de Macky Sall. Il est allé trop loin avec les corps de l’administration. C’est une révolte républicaine, et on radie. Alors que sous Senghor, on punissait par des affectations’’, déclare le Secrétaire national des Sénégalais de l’extérieur Pds, Pape Saër Guèye. Une posture qui s’explique par le fait que le patron du parti, Abdoulaye Wade, avait institutionnalisé la ‘‘carte bleue’’ dès les premiers jours de la création du Pds. Un mécanisme qui permettait aux hauts fonctionnaires sympathisants du ‘‘Vieux’’ d’intégrer les rangs des ‘’Libéraux’’ afin de les protéger de la répression de l’Etat socialiste.
Pour M. Guèye, cette ambition nouvelle, émanant de jeunes cadres, traduit un certain désir d’égalitarisme et doit être soutenu. ‘‘Ces fonctionnaires se disent que si ceux-là (les politiciens) peuvent diriger, pourquoi pas nous ? C’est de bonne guerre. Je n’ai aucun problème, je les accueille les bras ouverts. En tout cas, s’ils venaient au Pds, je serais prêt à leur céder ma place et cheminer avec eux. Ce qui se passe actuellement au Sénégal procède de mon point de vue d’un mouvement à encourager, une dynamique citoyenne qui consiste à diversifier les profils de ceux qui dirigent dans le bon sens’’, se félicite-t-il.
Abdourahmane Ndiaye en démolisseur
Dans le camp du parti au pouvoir, ce n’est pas encore le branle-bas de combat, mais les critiques sont acerbes. Le conseiller spécial du Président Macky Sall et secrétaire administratif national de l’APR, Abdourahmane Ndiaye, estime que la violation du droit de réserve, prêtée à tort ou à raison à ces cadres, démissionnaires ou radiés, relève d’une évidence républicaine dont veulent s’affranchir les contrevenants. ‘‘On est dans l’obligation de savoir qu’un haut fonctionnaire des impôts a prêté serment et qu’un militaire, officier de surcroît, peut mettre en danger la sécurité de la nation entière en ne tenant pas sa langue’’, a-t-il dit hier au téléphone d’EnQuête. Le conseiller du Président se désole de l’enchaînement des déclarations d’ambition présidentielle des ‘‘néophytes’’ et l’attribue au fait que la trajectoire politique de Macky Sall n’a pas été assez décortiquée. Ce paramètre crucial dans la compréhension de l’avènement du président Sall que ses pourfendeurs ne saisissent toujours pas joue en défaveur de la nouvelle adversité. ‘‘L’analyse profonde du parcours politique de Macky Sall n’est pas correctement faite par ces ambitieux, ni même par beaucoup de nos politiciens. Il y a des niches cachées, et Macky est l’homme politique le plus méconnu du landerneau’’, explique M. Ndiaye.
Par ailleurs, la lame de fond envoyée par les fonctionnaires laisse certains observateurs avertis très dubitatifs dont un a dénigré violemment la posture de fonctionnaires démissionnaires qui ont jeté leur masque pour plonger dans la mare politique. Pour le capitaine Dièye qui veut s’engager en politique, après avoir rédigé une lettre de démission de l’armée, le politologue Babacar Justin Ndiaye, dans sa chronique hebdomadaire du lundi sur Dakaractu, (le journal en ligne même où ce jeune officier s’apprêtait à se faire interviewer vendredi dernier), s’interroge sur les motivations de ce ‘‘capitaine-justicier ou capitaine-provocateur en mission commandée, en vue de créer les conditions d’un imaginaire complot civil-militaire qui mouillerait deux candidats à l’élection présidentielle’’. Pour lui, ses rencontres préalables à Paris avec deux ex premiers ministres opposants (Idy et Abdoul Mbaye) le rendent, tout au moins suspect de clair-obscur et ses ambitions présidentielles relèvent de la démesure. ‘‘Un capitaine de l’arme blindée qui sort de la tourelle de son char, saute à terre et annonce sa volonté de battre Macky Sall, en 2019, en coiffant sûrement au poteau les opposants les plus en vue dans tout le pays…Ouf ! Convenez avec moi que, sur ce coup précis, l’officier excité plonge profondément dans les entrailles du délire ! Délire délirant et délire dangereux’’, s’est-il exprimé.
Moussa Sarr (Ld) : ‘‘Nous n’avons rien à apprendre d’eux (…) Ils ont tout à apprendre de nous’’
Le porte-parole de la Ligue démocratique (Ld), Moussa Sarr, défend une position de principe sur les ambitions politiques. Les hauts fonctionnaires ont bel et bien le droit de s’engager en politique, mais « doivent d’abord respecter les exigences qui relèvent de leurs différents corps de métier ». « Nous avons le droit de protéger la nation sénégalaise. Il ne doit pas être permis de s’engager en politique n’importe comment. Si nous ne sauvegardons pas la nation sénégalaise, nous allons permettre à des Sénégalais de mettre sur la place publique des secrets d’Etat. Pour moi, ce qui fait la nation, l’Etat, c’est la sauvegarde de ses secrets », a-t-il lâché hier au bout du fil. Pis, selon le porte-parole de ce parti proche du pouvoir, l’individualisation des doléances et ressentiments politiciens qui visent le président Macky Sall intuitu personae ne doit pas être une raison de « tuer » la raison d’Etat. « Je ne peux pas refuser qu’un Sénégalais s’engage en politique mais je ne peux admettre qu’un Sénégalais qui détienne des secrets, tout simplement parce qu’il en veut à Macky Sall, se mette à dévoiler les secrets. S’il le fait, ce n’est pas contre Macky Sall, mais le mal sera fait à toute la nation…ce qui fait un homme d’Etat est sa capacité à garder les secrets qu’il détient de ce même Etat, quelle que soit sa nouvelle situation. En toute circonstance, un haut fonctionnaire de l’Etat, quoi qu’il advienne, doit sauvegarder ses secrets. Cela doit transcender les régimes politiques et les individus ».
Moussa Sarr brocarde même ce manque de modestie de ces nouveaux adversaires qui ont encore beaucoup de choses à acquérir dans leur cursus politicien. « Qu’ils soient hauts fonctionnaires de l’armée, de la magistrature, ou des impôts et domaines, nous n’avons rien à apprendre d’eux. Je le dis au nom de la classe politique de ce pays, nous n’avons rien à apprendre d’eux. Nous nous sommes battus pour la liberté et la démocratie ; eux n’étaient pas dans ça. C’est eux qui ont tout à apprendre de nous car nous les avons devancés sur le terrain politique, avons réalisé deux alternances. S’ils profitent du pluralisme médiatique, c’est parce que des gens se sont battus pour qu’ils puissent en jouir ».
Par Ousmane Laye Diop
La rédaction