Dakarmidi – La nouvelle version de sa limousine assure au constructeur allemand une nouvelle carte dans sa manche pour remporter la bataille de la voiture autonome. Mais encore faut-il que les textes de loi autorisent les conducteurs à utiliser ces fonctionnalités sur route.
A quarante mètres sous les flots et 25 kilomètres des côtes françaises un convoi de dix limousines sombres franchit une des plus étranges frontières au monde. Mid Point (ou Point médian), soit la ligne de démarcation entre la France et le Royaume-Uni, est signalé sur les plaques de bétons du tunnel de service par les nombreux graffitis déposés par les employés d’Eurotunnel partant en retraite.
Traversée du Tunnel sous la Manche en convoi d’Audi A8. De part et d’autre du tunnel, l’utilisation du mode automatique de niveau 3 embarqué dans les véhicules est encore interdit.
Les 4,8 mètres de diamètre du tube de béton, de bitume et d’acier qui mène aux blanches falaises de Douvres servent ce jour de cadre improbable à une opération de communication. Il s’agit de lancer la commercialisation de la quatrième version de l’Audi A8 (une voiture dont l’image, comme tant d’autres, à récemment souffert), premier véhicule de série équipé de fonctionnalité de conduite autonome de niveau 3.
Niveau 3 ? Comprenez « eyes on hands off », les yeux sur la route mais les mains libres. La berline de luxe allemande est pour ce faire équipée d’un bouton situé sur le tableau de bord qui permet de basculer en mode automatique.
Premier LIDAR embarqué sur une voiture de série
Une fois ce mode enclenché, le véhicule prend seul en charge les commandes de démarrage, d’accélération, de direction et de freinage. Un signal sonore avertit le conducteur quand il doit reprendre le volant. Si Tesla assure être prochainement en mesure de proposer une fonction similaire via une mise à jour logicielle de ses modèles, Audi s’enorgueillit d’être le premier sur ce segment, et ce grâce à un matériel embarqué bien spécifique.
Visualisation des capteurs embarqués sur l’Audi A8 (Source : Audi).
Un scanner laser, dit aussi LIDAR, permet à la voiture de ‘voir’ à 200 mètres en avant du véhicule, afin de détecter la forme de la route et les éventuels obstacles. 24 capteurs actifs en continu complètent le dispositif sensoriel. Le véhicule est également bardé 6 processeurs Nvidia Tegra K1 pour l’analyse des données recueillies. Le tout, lié aux commandes mécaniques du véhicule compose le contrôleur central d’assistance à la conduite (zFAS).
6 niveaux sont utilisés comme norme par l’industrie automobile pour qualifier le degré d’autonomie des véhicules. Ces niveaux sont définis de manière « consensuelle et volontaire » par la SAE(Society of Automotive Engineers), organisation internationale comptant plus de 128.000 ingénieurs et experts techniques issus de l’industrie aérospatiale, automobile et des véhicules commerciaux. Le document de référence se nomme J3016.
Le délicat passage au niveau 3
Au niveau 0, toutes les commandes du véhicule sont manuelles. Il n’y a pas d’assistance à la conduite, et encore moins d’autonomie. Le niveau 1 embarque le régulateur de vitesse adaptatif, et le niveau 2 combine le régulateur avec une autre capacité, comme la gestion automatique de la distance.
Les six niveaux d’automatisation de la conduite définit par le SAE. (Source : SAE)
Le niveau 3 est d’une toute autre complexité. « C’est véritablement le premier niveau d’autonomie » assure Faycal Elasri, porte-parole d’Audi France. « Il n’y a plus besoin de regarder la route. Le conducteur a 9 secondes pour reprendre la main si besoin ». Concrètement, il peut déléguer la supervision à la voiture. Comprenez que quand le véhicule est en mode autonome, la responsabilité du conducteur en cas d’accident est dégagée.
Le niveau 4 propose une conduite autonome presque totale, au point que la présence du conducteur ne soit pas nécessaire dans certains cas. Le conducteur à 40 secondes pour reprendre la main en cas de nécessité. Enfin, le niveau 5 assure une autonomie totale. Le volant n’est pas nécessaire, et le conducteur se transforme de fait en passager.
Changer les textes pour avancer
Le passage du niveau 2 au niveau 3 est critique car la responsabilité en cas d’accident serait déportée si le mode autonome est activé dans le véhicule vers le constructeur ou le développeur de la technologie embarquée. Les véhicules Tesla sont équipés d’une technologie de conduite automatique de niveau 2. C’est à ce titre que la société à été dédouanée de sa responsabilité dans les accidents qu’ont subit ses véhicules avec le mode Autopilot enclenché. Si Volvo a déjà déclaré qu’il prendrait à sa charge la responsabilité en cas d’accident sur des véhicules de niveau 3, c’est au niveau des textes de lois qu’il faut encore préciser les choses.
« Ces fonctions ne sont pas actuellement homologuées pour circuler par les autorités des pays ou sont vendus ces véhicules » dit Faycal Elasri.
La norme SAE J3016 trace une ligne nette entre les niveaux 2 et 3 d’automatisation. D’un côté, c’est le conducteur qui est responsable. De l’autre, c’est le constructeur du véhicule. Pour l’heure, la réglementation européenne ne s’applique qu’à la première catégorie de véhicules. (Source : TRL).
La législation sur la conduite est basée sur la convention de Vienne, un texte rédigé par l’ONU en 1968. « Il faut modifier la convention de Vienne pour que les véhicules de niveau 3 soient homologués et puissent circuler » dit Faycal Elasri, porte-parole d’Audi France. Un changement fondamental qui serait ensuite traduit dans les différentes législations nationales et communautaires. En France, Audi espère une modification législative pour… 2019. A l’heure actuelle, il est strictement interdit de lâcher le volant. Après cette étape législative seulement, les véhicules autonomes de niveau 3 seront autorisés à circuler sur les routes avec le mode autonome actif.
Conduite autonome, mais pas partout
Et encore pas toutes les routes. Le cas d’usage de niveau 3 pensé par Audi pour son modèle A8 relève uniquement de la gestion des embouteillages. La fonction Audi Traffic Jam permet d’enclencher le pilotage automatique à condition que le véhicule évolue à moins de 60 kilomètres heures, sur des routes équipées d’un terre plein et d’au moins deux voies de circulation.
Vue intérieure d’Audi A8 empruntant le Tunnel sous la Manche. (Source : Audi)
Audi assure que cette technologie sera déclinée dès 2018 sur son modèle A7 et l’année suivante sur les A6 de la marque. A condition d’en payer le prix bien sûr. Le ticket d’entrée sur le marché allemand de l’A8 est de 90 600 euros, sans que l’on sache encore quel sera le surcoût de l’option « conduite autonome ».
Autre incidence de l’arrivée des véhicules de niveau 3 sur les routes, une refonte du modèle d’assurance automobile. Les voitures autonomes devraient faire diminuer les accidents de la route, et le montant des primes d’assurance. Mais justement qui devra payer ces primes ? Le possesseur de la voiture, le constructeur, le développeur des solutions logicielles ? Tout cela reste à inventer.