Dakarmidi – Le monde du business adore jouer et rejouer la bataille d’Hernani où se confrontent les anciens et les modernes. Les « industrieux » contre les « techs », les « brick and mortar » contre les « connectés » … Thomas Serval, lui, les réconcilie comme il l’a raconté le 6 novembre lors d’un séminaire organisé par l’Ecole de Paris du Management. Le président de l’entreprise Kolibree, qui dépend du groupe Baracoda également présidé par Thomas Serval, va en effet mêler et entremêler dans un même produit des bijoux high-tech et du savoir-faire quasi-ancestral : la brosse à dents connectée. Cet objet séculaire et déjà numérique va le mener de Las Vegas à Beauvais dans l’Oise.
Tout commence au Consumer Electronic Show 2014 (CES) de La Vegas. Avec leur brosse à dents Kolibree, Thomas Serval le normalien et son associé Loïc Cessot, l’ingénieur Arts et Métiers ne vont pas passer inaperçus dans le monde encore confidentiel des objets connectés. L’idée principale de Thomas Serval revient comme un leitmotiv : « On peut créer une application smartphone pour chaque problème ». Il suffit donc de regarder autour de soi et de laisser émerger les idées. Comme Archimède poussait son célèbre cri Eurêka en plongeant un objet dans l’eau, Thomas Serval trouvera son idée dans sa salle de bain en voyant ses enfants se brosser les dents. « Comment avoir la certitude qu’ils se les ont correctement nettoyées ? ». Sa brosse à dents connectée permet d’analyser la qualité du brossage. L’idée étant de brosser non pas plus fort, mais plus intelligemment, grâce aux conseils dispensés par l’application mobile.
En 2013, il n’y avait rien de nouveau dans le monde de l’hygiène
Bien-sûr, le business model contient un pari technique et technologique. Tout d’abord, il fallait réussir à localiser la brosse à dent dans la bouche. En effet, « les capteurs ne marchaient pa » dans la phase de conception du produit. C’est grâce aux nouvelles technologies très performantes que Kolibree est parvenu à obtenir une précision de l’ordre de 88% des capteurs de la brosse. Lorsque le projet a été lancé en 2013, le monde des objets connectés était déjà en pleine croissance mais il n’y avait rien de nouveau dans le monde de l’hygiène dentaire. Dans ce domaine plus aucune innovation n’était intervenue depuis la brosse à dents électrique des années 50.
Une fois les programmations réalisées, les connexions établies, les interactivités opérées, il reste un problème de taille : la brosse à dents. Et plus trivialement … ses poils. Les fondateurs de Kolibree prennent alors la mesure des conséquences majeures de la désindustrialisation en Europe : la perte des savoir-faire dans certains secteurs industriels. Où trouver un « empoileur », c’est à dire un industriel capable de dresser les poils de la brosse à dents ? Cette technologie n’existait plus que dans une seule usine en France : la Brosserie Française à Beauvais, et c’est cette entreprise qui a appris à la start-up le secret de la fabrication des brosses à dents. Les principaux concurrents du marché de la brosse à dents, Colgate et Oral B, avaient quant à eux complètement internalisé la technologie de l’empoilage. « La fabrication est la première source de barrières à l’entrée d’un nouveau marché industriel » reconnaît Thomas Serval.
Alors évidemment, ses projections font rêver. D’abord, son application ne se limite pas aux enfants mais concerne aussi les adultes. Et une cible aussi large pourrait aussi intéresser le monde de l’assurance, appelé un jour à être le financeur de l’internet des objets connectés. Il s’agit, en effet, de concevoir qu’à plus long terme une telle innovation pourrait influencer la façon dont fonctionne le système de santé. Les données collectées permettraient alors de passer d’un modèle de soins curatifs à un modèle préventif. Et si l’on considère le marché de la santé bucco dentaire, 120 milliards d’euros aux USA, 12 milliards d’euros en France on s’aperçoit que le potentiel est énorme ! Thomas Serval considère à cet égard que l’utilisation d’une brosse à dent connectée permettrait d’éviter 50% des maladies bucco-dentaires. En perspective des affaires à croquer à pleines dents.
Louis LECCIA et Alexandre DEL VALLE, Ipag Business School
L’Ipag business school, membre de la Conférence des grandes écoles délivre un diplôme bac + 5, grade de master. Cette école de managements compte 2 000 étudiants en programme grande école. Son laboratoire de recherche est classé troisième parmi les business schools françaises au classement de Shanghai 2017.