À 59 ans, le magnat sud-africain Patrice Motsepe, peu connu dans le monde du football, doit pourtant devenir, vendredi, le nouveau patron de la Confédération africaine, après avoir su rallier ses trois concurrents. Portrait.
Enfant d’un township, milliardaire et désormais à la tête de la CAF (Confédération africaine de football). Patrice Motsepe s’apprête à prendre les rênes du football africain à l’issue de l’assemblée générale élective de la Confédération, vendredi 12 mars, à Rabat (Maroc). Son arrivée à ce poste constitue une surprise, l’entrepreneur s’étant toujours dit trop occupé pour prétendre à ces fonctions.
Celui qui a fait de l’unité son credo a pourtant réussi à convaincre ses concurrents de lui laisser la voie libre. Les trois autres candidats au poste, l’Ivoirien Jacques Anouma, le Sénégalais Augustin Senghor et le Mauritanien Ahmed Yahya, se sont ainsi retirés à son profit lors d’une cérémonie célébrant l’unité africaine à Nouakchott (Mauritanie), en marge de la finale de la CAN-U20.
« Si nous travaillons ensemble avec l’expérience, le talent et la passion, le football en Afrique connaîtra une réussite et une croissance qu’il n’a jamais vécues par le passé. Pour cela, il a besoin de nous tous », a alors déclaré Patrice Motsepe, après avoir remercié chacun de ses anciens rivaux pour leur contribution au programme établi en commun. « Quand je vois la passion de ces hommes, je me dis qu’un avenir brillant nous attend. »
Un enfant du township devenu milliardaire
À 59 ans, l’homme d’affaires se prépare à écrire un nouveau chapitre de sa success story. Car l’entrepreneur, bien qu’adepte de la discrétion, est incontestablement un modèle de réussite dans son pays.
Patrice Motsepe a grandi dans le township de Soweto, près de Johannesburg. Dans ce ghetto réservé aux non-Blancs, sa famille relativement aisée tient un « spaza shop », à la fois épicerie et débit de boisson en Afrique du Sud. Les sept enfants suivent des études dans des établissements catholiques privés et Patrice Motsepe peut se permettre de chercher sa voie, passant d’abord une licence d’art avant de s’intéresser au droit minier et au droit des affaires.
En 1988, il intègre le cabinet d’avocats Bowman Gilfillan et, en 1993, peu après l’abolition de l’apartheid, il en devient le premier associé noir. Le début d’une ascension sociale fulgurante. Dans les années qui suivent, il fonde Future Mining et African Rainbow Minerals Gold, deux sociétés spécialisées dans l’extraction minière qui constitueront les bases de sa fortune.
Patrice Motsepe devient le premier Noir milliardaire d’Afrique du sud. Aujourd’hui, selon le dernier classement Forbes, il est la dixième fortune du continent. Ses 2,6 milliards de dollars font de lui le troisième homme le plus riche du pays.
Des liens familiaux avec le pouvoir
Sans faire de politique, Patrice Motsepe n’est pas pour autant éloigné des cercles du pouvoir. Sa sœur aînée, Tshepo Motsepe, est l’épouse du chef de l’État, Cyril Ramaphosa. Une autre de ses sœurs, Bridgette Motsepe, est la seule femme à la tête d’une industrie minière en Afrique du Sud, et est mariée à Jeff Radebe, un des cadres du Congrès national africain (ANC, le parti au pouvoir), plusieurs fois ministre.
L’homme est aussi philanthrope. Il est le premier Africain à promettre, en 2013, de faire don de la moitié de sa fortune à des œuvres de charité dans le sillage de la campagne The Giving Pledge, initiée par Warren Buffett et Bill Gates. Récemment, sa fondation a promis de verser un milliard de rands (soit un peu plus de 50 millions d’euros) pour lutter contre la pandémie de Covid-19 en Afrique du Sud.
En 2004, sa fortune lui ouvre aussi les portes du monde du football. Il devient le président du FC Mamelodi Sundowns, le club le plus titré d’Afrique du Sud qui, sous sa tutelle, enrichit encore son palmarès de sept titres supplémentaires de champion. La formation de Pretoria remporte également la Ligue des champions africaine en 2016 face à Zamalek puis la Supercoupe d’Afrique.
Trois concurrents plus expérimentés que lui
Malgré ces succès, la candidature de Patrice Motsepe à la CAF en novembre dernier crée la surprise. Car il reste peu connu dans le monde du football par rapport à ses concurrents pour le poste. Le Sénégalais Augustin Senghor, l’Ivoirien Jacques Anouma et le Mauritanien Ahmed Yahya sont tous d’anciens ou actuels présidents des fédérations de leurs pays, une quasi-obligation en temps normal pour briguer le poste de président de la CAF.
Ce manque de notoriété ne l’empêche pas de rester discret. Patrice Motsepe ne se charge même pas de l’annonce de sa candidature : souffrant du Covid-19, il laisse ce soin au président de la Fédération sud-africaine de football (Safa). Puis il n’accorde aucune interview pour préciser ses ambitions pour le football africain et attend le 25 février pour dévoiler son programme.
Un texte en dix points consensuels qui vise « l »unité de l’Afrique » et promet que le football africain deviendra « le meilleur du monde ».
Une « marionnette » de la Fifa ?
Le consensus s’est propagé. Lors d’une rencontre à Rabat le week-end du 27 février, les fédérations marocaine et égyptienne invitent les trois candidats ouest-africains à se ranger derrière le Sud-Africain en échange de postes : Jacques Anouma, Augustin Senghor et Ahmed Yahya deviendront respectivement conseiller, deuxième et premier vice-présidents.
Le « pacte de Rabat » se concrétise la semaine suivante à Nouakchott. Une opération que beaucoup considèrent comme une ingérence de la Fédération internationale de football (Fifa).
Selon une source de l’AFP décrite comme proche du dossier, « Motsepe a la préférence de la Fifa, qui veut quelqu’un de nouveau, pas impliqué dans l’ancienne direction, pour attirer les nouveaux sponsors, les investisseurs et donner une plus belle image de la CAF après tout ce qui s’est passé ».
Une image en effet entachée ces dernières années par des scandales financiers. Le président sortant, le Malgache Ahmad Ahmad, a été suspendu cinq ans par la Fifa en novembre pour soupçons de corruption. Une peine réduite à deux ans.
Du côté de la Fifa, on a longtemps nié toute participation à la succession d’Ahmad Ahmad, bien que le président de l’instance internationale, Gianni Infantino, ait passé deux semaines en Afrique en février. Pourtant, lors de la « cérémonie de l’unité africaine », ce dernier fait la déclaration suivante : « Je suis ravi que la Fifa ait pu contribuer, même si ce n’est que peu, à ce moment crucial pour le football sur ce grand continent. »
Dès lors, faut-il voir en Patrice Motsepe un simple prête-nom qui vaquera à ses affaires courantes pendant que la Fifa gérera la Confédération africaine ?
« La Fifa ne cherche pas le profil idéal pour le foot africain mais seulement une marionnette », assure à l’AFP Bacary Cissé, patron au Sénégal du journal sportif Record. En 2017, la Fifa « avait déjà fait élire Ahmad pour faire partir Issa Hayatou », après 29 ans de règne.
Pour le journaliste, « la Fifa veut parachuter Motsepe dans le foot africain, mais son profil ne colle pas. Il n’est même pas président de fédération. Il n’a même pas le temps de s’occuper de son club ! »