Dakarmidi – Comme si vous étiez dans la « Var Room » de Sénégal-Colombie au moment du vrai-faux penalty sur Sadio Mané…
Vous êtes plus d’un à ne pas avoir tout compris à la VAR (assistance vidéo à l’arbitrage) depuis le début de la Coupe du monde. J’en ai même rencontré beaucoup qui ont fait leur « coming out » et ne veulent plus entendre parler de vidéo.
Peut-être parce qu’ils pensaient naïvement que l’arbitrage au foot, c’était du noir/blanc, du vrai/faux, et que la vidéo règlerait tout aisément. Peut-être aussi parce que la VAR n’est pas suffisamment expliquée et explicitée.
Voilà l’occasion idéale de vous y mettre.
Voici en effet le récit technique de tout ce qui s’est passé entre l’arbitre M. Milorad Mazic (Serbie) sur le terrain de la Cosmos Arena de Samara et la VAR à Moscou, dirigée par le Néerlandais Danny Makkelie, sélectionné uniquement pour être VAR lors de cette édition de la Coupe du monde.
Avant-match :
M. Mazic n’est pas un habitué de la VAR. Même s’il l’a utilisée en finale de la Coupe des Confédérations 2017 lors d’Allemagne-Chili. Mais il n’a pu en bénéficier, par exemple, pour la finale de la Ligue des Champions Real Madrid-Liverpool où l’épisode Ramos/Salah a fait parler durant les trois semaines entre cette finale et le début du Mondial.
Avant le match, il a prévenu son compère néerlandais : il ne veut pas être dérangé par des observations de la VAR qui seraient du 50%. Du sûr et certain, ou rien du tout. Sinon, M. Mazic ira voir l’écran lui-même. Telle est la conception d’une majorité d’arbitres à la Coupe du monde. Ils continuent de diriger leur match et la VAR n’est qu’une assistance au cas où… Or, justement, vient la 16ème minute…
Le vrai-faux penalty :
A la 16ème minute du match Sénégal-Colombie, Mané file seul au but. Retour spectaculaire de Davinson Sanchez et voilà Sadio Mané à terre. M. Mazic n’hésite pas un instant et siffle un clair penalty pour le Sénégal. Il interroge quand même son habituel assistant M. Djurdjevic. Celui-ci confirme le penalty qui paraît « indiscutable ».
A Moscou, la VAR travaille déjà sur la scène entre Mané et Sanchez, mais M. Makkelie n’a encore rien dit. Mais voilà que M. Mazic ouvre son micro le premier : « Check ! ». En clair, l’arbitre reste persuadé qu’il y a bien penalty. Et carton jaune, et non rouge, pour Sanchez. Mais autant vérifier, par acquis de conscience.
Aller-retour Samara-Moscou :
A Moscou, la « VAR Room » est en état de guerre. A côté, le bunker de Staline à Samara est une aimable plaisanterie…d’autant que Staline n’y a jamais mis les pieds. Il avait été préparé en cas d’avancée allemande vers Moscou en 1941…
Les avis sont-ils partagés côté VAR ? En tout cas, la VAR (où il y a 4 arbitres au travail) ne donne pas d’indication définitive à M. Mazic. Il l’invite plutôt à regarder l’image. C’est-à-dire le « montage » express que la VAR Room lui a préparé. Arrivé en courant, M. Mazic regarde et regarde encore l’image. Il comprend tout de suite que Davinson Sanchez touche le ballon en premier. Le clair penalty n’est plus si indiscutable que cela. Les 1000 km entre Samara et Moscou sont vite parcourus par les images en boucle de l’action Mané/Sanchez que M. Mazic veut revoir encore.
Il s’agit d’un cas très difficile. Le défenseur colombien touche bien le ballon, ce qui est une indication favorable pour sa défense. Mais l’arbitre serbe s’acharne à regarder si le contact entre les deux joueurs est avant, pendant ou après l’intervention du défenseur de Tottenham Davinson Sanchez. C’est sur ce critère que la décision sera prise. Et elle sera prise par M. Mazic, seul.
Encore un dernier visionnage et sa conviction est faite : le contact est, pour quelques millièmes, après la « talonnade » de Sanchez. Il ne peut plus siffler penalty.
Il est assez étonnant de voir que, finalement, M. Mazic en sera revenu à des techniques d’arbitrage (des trucs pour compenser le fait de n’avoir pu tout voir, compte-tenu de la vitesse du jeu) pour prendre sa décision. On voit bien qu’ici la vidéo ne livre pas de vérité absolue et qu’on trouvera autant de partisans du penalty (comme moi) que d’avis favorables à l’arbitre.
La correction des Sénégalais :
M. Mazic revient vers le lieu du drame et explique sa décision à Sadio Mané. Les joueurs et l’entraîneur sénégalais sont exemplaires. “L’arbitre a revu à la vidéo, confiera un peu plus tard Mbaye Niang. S’il ne siffle pas, c’est qu’il n’y a pas penalty.” Ca paraît évident, façon tennis. La scène a été revue, la décision prise, on passe à autre chose. Sauf que depuis le début de la Coupe du monde, on a vu plus d’une décision, pourtant appuyée par la VAR, hautement contestée par les joueurs, par exemple Obi Mikel la veille lors de Nigeria-Argentine.
Après-match :
Comme un fait exprès, ce fait de jeu s’est révélé essentiel car le Sénégal ne marquera pas dans ce temps fort et rencontrera la défaite et l’élimination…au fair-play. Mais, cette fois, les cartons jaunes de M. Mazic ont peu pesé dans la décision.
Donc, le vrai-faux penalty aura été un moment essentiel. Et, arrivé à Moscou, le débrief sera long et important. Dans l’avion, le lendemain matin, tous les arbitres ont ouvert leur ordinateur pour revoir le match sur le programme offert par la FIFA. L’assistant M. Djurdjevic passe bien 20 minutes sur l’action du penalty. Sa concentration et ses mimiques traduisent toute la difficulté de la décision… Peut-être n’aurait-il pas pris la même que son « chef », allez savoir… Surtout, il faut ensuite l’assumer derrière… Car, n’en déplaise aux tenants de la thèse du complot (contre les petits pays, par exemple), un arbitre n’a vraiment pas envie d’être responsable de l’élimination d’une équipe. Il a surtout envie d’être sélectionné pour la suite de la compétition…
A 45 ans, M. Mazic vit sa dernière grande compétition internationale. Et la VAR, aussi, aimerait pouvoir aller jusqu’en finale… D’où la minutie du travail réalisé sur cette action essentielle. On peut ne pas être d’accord avec la décision finale, mais se passionner et comprendre de l’intérieur la méthodologie qui, in fine, a mené à changer de décision. C’était la première fois de sa carrière que M. Mazic changeait de décision à cause, ou grâce, à la vidéo.
La redaction