Dakarmidi – Le mode d’établissement des preuves, un frein majeur à la lutte contre l’impunité des violences sexuelles faites aux femmes et aux filles au Sénégal.
En ce 8 Mars 2018, journée internationale de la femme, le Sénégal met le focus sur l’autonomisation des femmes et des filles rurales. Cette autonomisation doit être pensée de façon systémique, en prenant en compte tous les domaines dans lesquelles elles sont confrontées à des injustices de nature diverse et les contraintes multiples qui limitent leur possibilité d’influencer leur environnement. L’autonomisation implique également que ces femmes et ces filles vivent et s’épanouissent dans une société sûre et qu’elles aient la possibilité et les capacités à éliminer les violences dont elles sont victimes et à revendiquer leurs droits.
Nous savons que l’une des principales entraves à la lutte contre ces violences et à la protection des droits des femmes victimes est l’impunité des auteurs.
Rendons hommage aux femmes des comités de l’ONG RADI qui travaillent en zone rurale dans la région de Kolda dans le but de contribuer à l’autonomisation légale des femmes, des filles et à l’amélioration de l’accès à la justice des victimes de violences sexuelles.
Outre les pesanteurs socioculturelles et les limites inhérentes à la législation sénégalaise, le mode d’établissement des preuves en cas de violences sexuelles, en particulier de viol, constitue une contrainte majeure à la sanction des auteurs et prévention de ce fléau.
Mais comment faire constater un viol à temps et conserver les preuves dans des villages enclavés, dépourvus de moyens de transport et où le déficit de services et de moyens de santé et judiciaires est plus que criard ?
Au Sénégal, seul le médecin, parce qu’assermenté, est habilité à établir un certificat médical constatant un viol. Mais cette restriction contribue à l’impunité dans ces zones où il faut aller jusqu’à la ville de Kolda pour rencontrer les médecins, dont le nombre est plus que limité pour une population de plus de 600 000 habitants.
Sans oublier le coût de ce certificat médical, 10 000 FCFA, et qui n’est pas à la portée de tout le monde dans ces zones. Et d’ailleurs, ce certificat médical, tant exigé, peut constater l’acte sexuel mais ne peut dire par qui et comment.
Ou encore du déficit de personnel judiciaire, pour exemple, le procureur au Tribunal de Kolda, chargé de poursuivre et responsable des enquêtes, ne compte qu’un seul substitut ; une situation qui peut avoir un impact sur le temps nécessaire qui doit être consacré à la recherche de preuves et sur la durée des procédures.
Autre obstacle majeur à l’établissement des preuves scientifiques et à la sanction des auteurs est lié aux enquêtes. Faute de moyens, les enquêtes se limitent principalement aux déclarations des deux (02) parties. Et nous savons que dans la plupart des cas, au récit de la victime s’opposent les dénégations de l’auteur présumé.
Paradoxalement, c’est finalement à la victime d’apporter les preuves de son agression si elle veut obtenir réparation, faute de quoi, l’accusé bénéficie très souvent d’un relax ou d’une requalification des faits.
Ainsi, la détresse de la victime est accentuée par cette situation qui peut donner l’impression de désinvolture de la part de la justice, cela d’autant plus que son consentement est toujours présumé tant que le contraire n’est pas démontré.
Ainsi, sans aveu ni témoin, il est en effet difficile de condamner un accusé de viol, par exemple, quand il n’y a pas de recherche de signes de lutte, de prélèvement de sperme et d’analyse de traces ADN, des vêtements de la victime, un travail de police scientifique auquel ces agents ne sont pas forcément formés, sans compter le fait qu’il faut aller jusqu’à Dakar pour trouver un laboratoire d’analyses, sans compter le coût.
Certes, un travail important doit être fait pour sensibiliser les populations sur la conduite à tenir pour rassembler et conserver les preuves ainsi que sur les voies et moyens de saisine de la justice, mais il faudrait d’abord que l’environnement et les conditions techniques permettent le respect des indications médico-légales permettant de constater l’infraction. Ce qui n’est pas toujours le cas, en particulier en zones rurales.
Tous ces facteurs contribuent à la fois à la non dénonciation, à l’impunité des auteurs dans les rares cas où la justice est saisie et la banalisation des violences sexuelles.
Afin de tenir compte de la spécificité des violences sexuelles, le mode d’établissement des preuves doit évoluer.
L’Etat doit également renforcer la formation des agents judiciaires, d’une part, à la prise en charge des victimes de violences sexuelles et, d’autre part, à mener des investigations adaptées à ces types d’infractions.
Les organisations de défense des droits des femmes doivent mettre sur pied et partager avec les agents judiciaires, un protocole présentant les lignes directrices et recommandations pour améliorer le mode d’établissement des preuves et définissant, pour chaque étape et selon le profil de la victime, la conduite à tenir tout en protégeant les victimes et, éventuellement les témoins, et les droits de l’accusé.
Dr. Oumoul Khaïry COULIBALY-TANDIAN
Sociologue et coordinatrice scientifique du projet de recherche-action « Violences sexuelles et accès à la justice pour les femmes rurales d’Afrique de l’ouest. Cas de la Mauritanie et du Sénégal », exécuté par le RADI, avec le soutien financier du CRDI (Canada)