Un jeune sénégalais, vendeur à la sauvette à la Tour Eiffel, avait trouvé la mort par électrocution en 2011 en tentant de traverser les rames du métro parisien pour échapper à un contrôle de police. Au-delà de l’émotion suscitée à l’époque, ce drame avait mis en lumière un phénomène : l’arrivée à Paris de Sénégalais en provenance d’Italie voire d’Espagne. Pour ces partisans d’une deuxième immigration, tout n’est pas rose.
Paris est une fête. Et elle l’est un peu plus en décembre autour de la Tour Eiffel. Prise dans une euphorie généralisée de la fin d’année, la Dame de fer a revêtu ses habits de lumière. Le mélange de couleurs n’est pas kitsch. Comme dans les films de Tim Burton, les coloris vifs ne cachent jamais assez le drame qui se déroule en sourdine. Dans ce cadre de rêve, des destins singuliers sont en jeu entre le 7ème et 15ème arrondissement de Paris. Ici, jour et nuit, une centaine de Sénégalais, sans-papiers pour l’essentiel, arpentent boulevards et rues pour monnayer Tour Eiffel en miniature et autres souvenirs de la capitale française aux touristes. « Les prix varient entre 1 euro les trois plus petits modèles de reproduction de la Tour Eiffel à 10 voire 15 euros pour les plus grands. Mais je dois dire que les prix ne sont pas fixes, on ne crache pas sur une bonne affaire surtout en ce moment », précise Amdy, originaire de Louga et qui vit « à Paris depuis 3 mois après avoir passé un an à Gênes », en Italie. « J’ai dû me résoudre à quitter l’Italie parce que c’était devenu très compliqué de s’en sortir financièrement », poursuit-il.
Sprint
Son cas est loin d’être isolé. Depuis la crise financière puis économique de 2008 combinée à l’arrivée massive de migrants sur les côtes italiennes et espagnoles, la France est perçue comme un eldorado. Mais Paris n’est pas toujours une fête. « Ce n’est pas ce à quoi je m’attendais. Il y a un loyer à payer, les dépenses quotidiennes et l’argent à envoyer à la famille, au pays. La vie est plus chère en France. Et en plus, notre activité est interdite par la police et certains d’entre nous ne disposent pas de titres de séjour pour trouver un travail plus légal », souffle le jeune Lougatois. Le défaut de papier est une constante pour ces nouveaux arrivants dans la capitale française. Ce qui est loin d’être suffisant pour faire regretter à ce jeune homme de 22 ans d’avoir quitté le commerce qu’il tenait dans la capitale du Ndiambour. Ses explications sont interrompues par les décibels d’une sirène de police. Comme un top départ d’une course de 100 mètres aux Jeux olympiques, le jeune homme se transforme en sprinteur professionnel sous les yeux éberlués des touristes dont Mercedes Maja Povsi, une jeune trentenaire venue de Slovénie. « Je trouve ça injuste, affirme-t-elle d’emblée. Cette histoire d’avoir des papiers pour pouvoir voyager ou vivre quelque part n’est pas ce que je préfère dans les relations entre l’Afrique et le reste du monde. Mes copines et moi (elle est accompagnée d’une demie douzaine de jeunes femmes, ndlr), nous n’avons eu besoin d’aucun visa pour nous déplacer en Europe. Et je pense que c’est le cas en général quand nous allons en Afrique. Alors que l’inverse n’est pas forcément possible. La preuve… » dit-elle, faisant référence à la scène à laquelle elle venait d’assister. Nous suivons la direction indiquée par l’indignée slovène.
Fantasmes
La présence des vendeurs à la sauvette sénégalais est source de fantasmes et polémiques. Les commerçants légalement installés dans ce quartier touristique de la capitale française évoquent une rivalité malsaine et une concurrence déloyale. « Ils nous causent un manque à gagner énorme, avance un des vendeurs du magasin « Souvenirs de Paris » situé juste à côté du magistral bâtiment aux grandes baies vitrées de la Maison de la Culture du Japon. « Nous payons des impôts et nous sommes en règle avec la législation française, ce qui n’est pas le cas avec les vendeurs à la sauvette. Une étude montre qu’ils gagnent 300 euros par jour. C’est trop facile. » Des propos que réfute avec la dernière énergie Modou Fall que nous retrouvons à l’intérieur de Bir Hakeim, l’une des stations de métro qui mène à la Tour Eiffel. Le jeune homme de 24 ans à malicieusement installé son maigre emballage qui lui sert de marchandise à un point stratégique où passent tous les usagers de la ligne du métro 6. « Notre situation n’est pas des plus aisées. En dehors de la police, nous devons nous battre pour gagner notre vie. Hier, je n’ai pas vendu une seule de mes effigies de la Tour Eiffel en cinq heures passées dans le froid. J’ai été arrêté, ma marchandise et mon argent mis sous scellé tellement de fois que je ne les compte plus », raconte-t-il entre deux marchandages avec des touristes italiens et américains.
Mbaye Diagne, 45 ans, a quitté Naples (Italie) où il travaillait depuis la fin des années 90 pour devenir vendeur à la sauvette à Paris. « Là-bas, je ne parvenais plus à vendre mes sacs pour femme, les montres, ceintures et autres vêtements (souvent de contrefaçon, ndlr) comme ce fut le cas à mon arrivée en Italie à l’époque. Je gagnais bien ma vie, j’ai construit une maison et je partais régulièrement au Sénégal. Je me rends compte qu’ici, ce n’est pas toujours simple », informe M. Diagne. Pour cette vague continue depuis plus d’une décennie de deuxième immigration, l’optique d’un retour au pays natal n’est plus un cahier rangé dans les tiroirs des résolutions de l’année 2024. « Même si l’herbe n’est pas plus verte chez nous », reconnaît-il.