Des « check-points illégaux » démantelés, des champs de chanvre indien détruits, du bois (chauffe et essences nobles) saisi… Depuis le 26 janvier les militaires investissent les positions de bandes armées établies dans des localités des zones militaires 5 et 6 (régions de Ziguinchor et de Sédhiou).
« Aucun dommage n’a été noté » du côté des forces de défense et de sécurité. Chez les « malfaiteurs », « le bilan est indéterminé ». La Direction des Relations publiques des Armées (DIRPA), qui donne ces informations, précise que cette offensive des troupes sénégalaises « répond à un triple objectif ».
D’abord : « Neutraliser les éléments armés qui ont trouvé refuge dans cette zone pour perpétrer des exactions contre les populations, les empêchant ainsi de vaquer librement à leurs activités socio-économiques. »
Ensuite : « Poursuivre l’accompagnement sécuritaire du retour des populations longtemps déplacées à Ziguinchor, en particulier celles situées dans la communauté rurale de Boutoupa-Camaracounda. »
Enfin : « Lutter contre les activités illicites de ces bandes armées qui entretiennent une économie criminelle, notamment la culture et le trafic de chanvre indien, la coupe illégale de bois et la contrebande de marchandises. »
Certaines voix exultent. Elles assimilent ces opérations à « une étape incontournable » sur le chemin de la paix en Casamance. À condition, s’empressent-elles de fixer, que l’usage de la force ne chahute pas le processus de paix, « qui est en ce moment sur de bons rails », et que l’État continue d’investir massivement pour l’essor socio-économique de la Région.
« Même si elles font remonter de douloureux souvenirs, je salue les récentes interventions de notre Armée. C’est un mal nécessaire », défend le président de la filière anacarde de la région de Ziguinchor, Siaka Diallo.
La filière anacarde limitée, des tonnes de fruits minées
La culture d’anacarde est actuellement le principal levier de l’économie en Casamance. Les récoltes peuvent atteindre 80 000 tonnes par an et le kilogramme valoir 500 francs Cfa. La production est exportée essentiellement en Inde et au Vietnam, les deux plus gros acheteurs étrangers. La Gambie en absorbe une partie, mais les exportations vers ce pays ne dépassent pas 15 000 tonnes.
Malheureusement, regrette Diallo, beaucoup de champs d’anacarde sont inaccessibles. Ce sont surtout ceux situés le long de la frontière avec la Guinée Bissau. Ils sont contrôlés par des bandes armées. Les malfaiteurs ont miné la plupart des exploitations. Sans compter, dénonce le président de la filière anacarde ziguinchoroise, qu’ils dépouillent les commerçants et volent le bétail. « Nous, acteurs de la filière, sommes très limités par la situation dans ces zones-là, indique-t-il. Il faut que l’Armée y fasse le nettoyage afin que nous puissions étendre nos activités et ainsi augmenter notre contribution à l’équilibre de notre balance commerciale. »
En plus des exploitations d’anacarde, ce sont des étendues de plantations de mangues, d’oranges, de bananes et d’autres variétés de fruits qu’il faut libérer du joug des bandes armées. « Au niveau de Santhiaba Manjak, dans le département d’Oussouye, l’essentiel des champs sont infestés de mines. Ils sont abandonnés par les populations, regrette un fonctionnaire établi à Cap Skirring ayant requis l’anonymat. Leurs troupeaux errent dans la zone où chaque année des tonnes de fruits pourrissent. » Notre interlocuteur est persuadé que si l’Armée réussit à récupérer les territoires où sont établies ces plantations piégées, le département d’Oussouye disposera d’un bon potentiel pour décoller, et ce sera une bonne chose pour la Casamance, pour le Sénégal.
« Pourquoi des frappes maintenant ? »
Le maire de Sindian, lui, ne voit pas d’un bon œil les récentes interventions de l’Armée. Yankhoba Sagna est d’avis qu’elles n’étaient pas opportunes : « Grâce aux négociations discrètes entreprises sous l’autorité du Président Macky Sall, il y a un début d’accalmie. Les populations, qui avaient fui leurs villages, commencent à revenir. Pourquoi déclencher maintenant des frappes (sic) ? Ce n’est bon ni pour la confiance des populations ni pour le tourisme encore moins pour les investisseurs. »
Pour conforter sa position, l’édile de Sindian révèle à Seneweb que sa commune devait recevoir ces derniers jours des partenaires en provenance de la France. La visite a foiré : la délégation a atterri à Dakar, mais elle dut, sur instruction des autorités françaises, rebrousser chemin à cause des opérations de l’Armée.
Pour Yankhoba Sagna l’urgence est ailleurs : « Pour rassurer les habitants des localités tenues par les bandes armées, nos militaires doivent s’installer parmi eux. Cela se fait dans une zone située à une dizaine de kilomètres de la frontière avec la Gambie. Ils y mènent leur mission de sécurisation des personnes et des biens de façon discrète, mais efficace. Le Croix Rouge et certains partenaires y ont installé des postes de santé. L’État, à travers le Puma (Programme d’urgence de modernisation des axes et territoires frontaliers, Ndlr), construit des écoles et des pistes. Et il a poussé les opérateurs téléphoniques à mieux assurer la couverture de la zone. »
Le maire plaide que ce modèle soit multiplié dans les « zones sensibles » de la Casamance. Et pour compléter le tableau il invite l’État à mettre en place au niveau de ces villages des pistes de production (« et non de circulation », précise-t-il) et des routes : « Vous nous entendez parler de la boucle du Fogny et de la route Bignona-Sindian Frontière. Ce sont des routes qui vont renforcer le climat de sécurité. »
« L’État a trouvé la bonne formule »
Diembéring est situé en Basse-Casamance, à 60 km de Ziguinchor et 10 km de Cap Skirring. La commune tire 90% de ses recettes du tourisme. Il constitue un îlot de paix. Une exception. Un avantage dû à sa situation géographique, le long de l’océan Atlantique, et à la présence massive de l’Armée. En dehors de l’attaque de la station balnéaire de 1992, au plus fort de la crise, le village n’a jamais été le théâtre de violences liées au conflit casamançais.
Malgré tout, son maire, Tombong Guèye, accorde une attention particulière à la situation sécuritaire sur l’ensemble de la Casamance. À la question de Seneweb : « la récente intervention militaire dans la région de Ziguinchor constitue-t-elle un mal nécessaire ? », il répond au bout du fil : « oui et non ».
Oui, dit-il, « parce que point de sécurité, pas de développement ». Il développe : « Le tourisme est un levier économique important. Et dans tout projet de tourisme, la sécurité passe avant tout. En outre ces frappes vont dissuader toutes les personnes malintentionnées qui seraient tentées d’infiltrer le MFDC. »
En revanche il répond non à la même question car, redoute-t-il, « l’usage de la force peut constituer un facteur de blocage du processus ».
S’il est d’avis que l’État, pour installer une paix durable en Casamance, peut bien allier opérations militaires et négociations, le maire de Diembéring recommande de privilégier la deuxième option. « Le contexte est favorable, clame-t-il. C’est pour cela que depuis plusieurs années nous assistons à une accalmie. Toutes les parties prenantes sont en phase pour dire qu’il faut en finir avec ce conflit. L’État a trouvé la bonne formule, nous devons l’encourager dans ce sens. »