Dakarmidi – Nous poursuivons de vous offrir une lecture laissée à votre réflexion. Nous restons avec Jacques Attali et son ouvrage: C’ÉTAIT FRANÇOIS MITTERRAND.
Il m’a semblé qu’à travers ce que vous allez lire, l’Afrique, ses dirigeants politiques, s’entend, pourraient tirer des leçons de ce que François Mitterrand nous confie, même si nous savons que nombre de nos Chefs d’État « lisent » peu, encore que nous sommes polis, qu’ils s’informent beaucoup, par contre, mais ne retiennent apparemment que ce qui pourrait nuire à leur pouvoir. Les fiches des renseignements généraux sont leur « lecture » préférée. Le plus désespérant et le plus cruel, c’est le manque de vision, c’est à dire travailler pour les générations de demain, construire pour demain.
« Dès notre rencontre, l’Europe fut entre nous un sujet de désaccord. […] élevé dans la méfiance de l’Allemagne et la passion de l’Amérique… le projet européen ne faisait pas partie de mon héritage… François Mitterrand protestait: « Mais l’Amérique est ignare, sans mémoire ! On s’y ennuie. Vous avez tort de ne pas vous intéresser à l’Europe. C’est l’avenir de votre génération ! »… Il aimait à rappeler qu’il avait été l’un des rares hommes politiques français à participer au congrès de La Haye de 1948, qui en fut l’acte de naissance… Il écrivit, par exemple, en 1972, dans sa chronique hebdomadaire dans le journal socialiste L’Unité : « Les Américains, par leur monnaie, ont dominé l’Europe qu’ils avaient délivré par les armes. Les Européens s’émanciperont par leur monnaie s’ils savent s’en donner une. »… Lorsqu’il accéda au pouvoir, l’Europe ressemblait encore à celle des années 1950… A l’ouest la Communauté économique européenne, composée de dix membres, allait très mal: La France était économiquement exsangue; l’Allemagne tentée par le pacifisme… la Grande Bretagne, crispée, sur l’idée que l’Europe n’était qu’un club, avait obtenu un remboursement de l’essentiel de sa cotisation; l’Espagne, le Portugal, les pays nordiques frappaient à la porte, et personne en France, à droite comme à gauche, ne voulait d’eux […] dès le premier sommet européen auquel il assista, à Luxembourg, en juin 1981, il proposa de progresser dans la voie d’une harmonisation du droit social des différents pays. Il fut très mal reçu […] A partir de 1984 et jusqu’en 1988, François Mitterrand lança nombre de projets dont certains constituèrent encore l’architecture de l’Europe d’aujourd’hui; ils concernent le grand marché, la technologie, l’élargissement, la monnaie, la défense, les droits sociaux, la structure institutionnelle. A chaque fois le président français en fit des d’abord des projets franco-allemands qu’il réussit ensuite, avec l’aide Jacques Delors, à « vendre » aux autres sans trop mettre à mal leur susceptibilité […] Après le lancement du projet de « guerre des étoiles » par Ronald Reagan, il me laissa négocier, dans la perspective du sommet du G7 suivant à Bonn, la création d’une Communauté technologique européenne qui devint le projet « Euréka », et il expliqua: « Mobiliser ses entreprises, mais aussi ses chercheurs, ses universitaires afin qu’ils sentent que leur avenir est sur notre continent , et qu’ils aient toutes les opportunités d’y travailler sur les recherches de pointe… Ce fut -c’est encore- un formidable succès d’où sortent, entre autres avancées proprement européennes, le déchiffrage de la carte du génome et les logiciels de transfert de données sur Internet […] Le 24 mai 1984, dans un discours au Parlement européen, François Mitterrand lança l’idée d’une Europe politique qui allait conduire, huit ans plus tard, au remplacement de la Communauté économique par une union politique. L’année suivante, il demanda aux Allemands, qui tenaient par-dessus tout à une coopération militaire avec la France, d’accepter simultanément une coopération monétaire. L’une se concrétisera par la création de la brigade européenne; l’autre par celle de l’euro. Le couronnement de cette action de relance fut la signature, le 28 février 1986, de l’Acte unique, traité initié par Jacques Delors et visant à l’ouverture, le 1er janvier 1993, d’un grand marché intérieur où les biens, les capitaux, les services et les personnes pourraient circuler librement, créant ainsi un espace économique de trois cent soixante dix millions d’habitants. La compétence communautaire se trouva élargie aux domaines de la recherche et du développement technologique, de l’environnement et de la politique sociale. Pour François Mitterrand, l’Europe ne devait pourtant pas se réduire à un tel grand marché; l’Acte unique n’était pas, pour lui, une fin en soi, mais une étape nécessaire sur la voie de la monnaie unique […]
Pendant son premier mandat, i esquissa aussi -en vain- d’autres pistes de possibles progrès européens. « Je ne veux pas d’une Europe où le capital ne serait imposé qu’à moins de 20%, tandis que les fruits du travail le seraient jusqu’à 60% ! » Puis, en faveur de l’Europe sociale, il plaida: « Sans Europe sociale, les citoyens s’éloigneront de cette construction… Et, s’il le faut, nous la ferons sans les Britanniques ! » Enfin: « Faire l’Europe sans le concours des travailleurs serait une façon de la faire contre eux. »
[…] Le 25 août 1987, à Latché, il confia à Felipe Gonzales: « Les Allemands transposent dans l’économie leur volonté de domination, avec sa traduction la plus évidente: la monnaie. Le Mark est ce qui manifeste la puissance de l’Allemagne. »… « Le deutsche Mark est la force nucléaire de l’Allemagne. » Il avait raison: le Mark était le seul élément de l’identité allemande dont ce pays était encore en droit d’être fier …
[…] Le 15 avril 1991, venu en ami clore la cérémonie d’inauguration de la Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement –BERD- en présence de tous les chefs d’État des pays membres, je raccompagnai François Mitterrand jusqu’à sa voiture… je n’étais plus, désormais, son collaborateur, je ne trouvai rien à lui dire, si ce n’est, la gorge nouée: « Je ne resterai ici que deux ans. Et puis je serai souvent à Paris. Je viendrai vous voir toutes les semaines. » Il me prit dans ses bras pour la première fois, puis monta dans sa voiture…
[…] Il posa un jour sur son bureau une photo de la tombe de ses parents à Jarnac… il me disait: « C’est là que je veux aller.»… Il souhaitait, pour son dernier voyage, rejoindre ses parents en Charente… Quand je lui demandais s’il croyait en Dieu, il me répondait qu’il admettait l’idée d’un principe ordonnant toute chose… « La foi n’est pas rationnelle. Il est tout à fait possible de croire en Dieu et en la science en même temps. La libération politique et scientifique de l’homme est tout à fait compatible avec la foi » … « Je crois qu’on a besoin de prières, c’est à dire de rechercher une communication par la pensée avec quelque chose de plus haut […] Il me dit un jour: «Ce que je peux espérer de mieux, c’est de revoir ma mère. Vous savez, en 1981, c’est la chose qui m’a consolé quand j’ai cru mourir: j’allais la retrouver… […] « Je crois aux forces de l’esprit. Je ne vous quitterai pas. »
[…] Le 8 janvier 1996, à bout de forces, il choisit d’aller au-devant de sa mort, au-delà de la douleur et du néant, vers ce qu’il espérait être le sourire de la liberté. »
« C’ÉTAIT FRANÇOIS MITTERRAND » de Jacques Attali, que je lisais et que je partage ici avec vous. La pluie n’est pas encore au rendez-vous sur Dakar. Prions. Nous croyons, nous aussi, aux forces de la prière.
Malgré l’émotion avec l’histoire de cette fin de vie d’un Chef d’État qui n’était pas « commun », parce qu’il avait fait de l’esprit et de la pensée le fondement de son exercice du pouvoir, avec cet autre grand esprit à ses côtés que fut Jacques Attali, un glouton de la connaissance, nous avons assisté avec ces extraits, à la construction de l’Europe. L’Afrique, avec ses grands et petits chefs d’État, doivent méditer la pensée et la praxis de François Mitterrand: un érudit, un ami des livres, un penseur, un fin et implacable politique, un puissant visionnaire.
Sous la plume de Jacques Attali, retenons de la bouche du président français, ceci: « Les Américains, par leur monnaie, ont dominé l’Europe qu’ils avaient délivré par les armes. Les Européens s’émanciperont par leur monnaie s’ils savent s’en donner une. ». Le débat sur le franc CFA n’aurait pas dû exister. C’est l’une des plus grandes forfaitures de l’histoire de l’humanité. Nos chefs d’État le savent tous, mais ils doivent prendre le temps de faire avec, prendre le temps de se défaire de leurs chaines. Les peuples ne vivent pas le même temps de révolte que les princes. A l’intérieur du système, autre chose les gouverne, les retienne, les anesthésie, les rend tiède. Mais notre système monétaire, tel qu’il est, est dans son ultime temps de vie. La France le sait. Agitée, troublée, elle veille dans la peur. Elle travaille à retarder les pendules. Ses meilleurs experts y travaillent. Pour elle, ce n’est pas seulement une affaire de monnaie. C’est une affaire de sécurité nationale. Comme Mitterrand le disait du Mark allemand, parions que la parité du FCFA avec l’euro, est également comme une « sécurité nucléaire » pour Paris. Cette parité que la France gouverne, est le seul trésor de guerre qui lui reste de son passé colonial. Elle le défendra. Elle ne cédera pas. Pourquoi céderait-elle si l’Afrique, comme une belle femme, s’offre sans fixer de prix ? Pour les pays de la zone CFA, ils savent qu’un fauve qui guette « ne tousse pas ». Jeux de dupe. Jeux de ruse.
Depuis Kwamé Nkrumah, Cheikh Anta Diop, Senghor, des concepts opératoires décisifs qui ont forcé l’admiration de la pensée, ont démontré que l’Afrique ne se construira pas, si séparément, chacun traite avec l’Europe, l’Amérique, l’Asie. « Le défi de l’Afrique, ce n’est pas de se débarrasser de la France », de la Belgique, de la Grande Bretagne, de l’Amérique ou de l’Asie. Le défi de l’Afrique c’est de s’occuper de l’Afrique, de la respecter, de la rendre digne. C’est avec nous, entre nous, que le développement de nos peuples commencera. Bien sûr, la coopération, le partenariat international est inévitable. C’est la configuration de l’économie mondiale et ses interactions qui le commandent et l’imposent à tous les États du monde, riches ou pauvres. Mais laisser l’incendie et la faim chez le voisin, n’est pas recommandable. Il nous faut le courage de bâtir l’Afrique ! Pour cela, sachons d’abord que si on ne produit rien, on ne vend rien. Une dynamique de développement, c’est abriter d’abord un minimum d’infrastructures industrielles. Si tout nous vient d’Europe, d’Asie en produits manufacturés et souvent à partir de nos propres produits, où est la plus value ? Ce débat est d’ailleurs si connu, si rabâché, que nous sommes dans l’ennui. L’Afrique s’épuise dans les compétitions politiques, les intrigues politiques, des élections à longueur d’années et toujours contestées et à risque ! N’est-ce pas une honte pour l’Afrique de faire toujours appel à des « observateurs », des « superviseurs », telles que l’Union Européenne, l’OIF -que fout-elle d’ailleurs dans ces merdiers ?-. L’Union Africaine est-elle appelée en Europe pour observer des élections, même dans les pays du Nord les plus misérables ? Les tenants du pouvoir comme les tenants de l’opposition qui s’affrontent en Afrique, partagent cette honte, cette crasse hideuse! L’Afrique doit mettre fin à ce système qui l’avilit, le rabaisse, l’humilie, le déresponsabilise, le colonise encore plus. En Afrique, l’asservissement est devenu un préalable à la politique. C’est en Europe, en Amérique, que les hommes d’État, biberonnés à la politique, vont chercher de l’eau bénite. L’Afrique serait le seul continent où l’Europe a encore un excédent moral ! Elle même en rit ! Elle rit de ce « yaourt que l’Afrique a, à la place du cerveau » ! Très peu de chiens ont mordu nos peuples. Seuls des dirigeants politiques l’ont fait, pour le dire autrement qu’une grande artiste Outre-Atlantique !
Méditons ce combat de François Mitterrand pour une Europe unie, une monnaie unique, une grande Europe du développement et de la défense des droits de l’homme, là où elle a failli le plus. L’Afrique ne fait pas mieux dans ce domaine, sinon pire ! Elle est en avance dans la forfaiture et l’impunité ! Mais, la vie ne peut se passer de l’espoir !
La rédaction