Dakarmidi – La septième édition du Forum mondial annuel sur la nicotine – GFN – s’est tenue les 11 et 12 juin, organisée par «Knowledge Action Change Limited (KAC)», dirigé par le Professeur Gerry Stimson, spécialiste des sciences sociales en santé publique au Royaume-Uni.
Le Forum, habituellement organisé à Varsovie, Pologne, a vu son édition de cette année se tenir virtuellement (en ligne) en raison de la Covid-19. Avec comme thème ‘Science, éthique et droits humains’ le Forum a réuni plus d’une trentaine d’experts/scientifiques du secteur de la santé publique, de l’industrie du tabac, du secteur de la lutte anti-tabac et de consommateurs qui ont discuté de divers sujets, notamment la pertinence de la science par rapport à l’idéologie, l’importance d’une approche axée sur le patient, les opportunités que le vapotage offre dans les pays à faible revenu et les alternatives scientifiques au tabac conventionnel qui sont interdites/non-autorisées.
De nombreuses études scientifiques menées depuis des années maintenant ont révélé que les alternatives au tabac traditionnel sont moins nocives que les cigarettes conventionnelles. Malgré ces études, un certain nombre de décideurs politiques au niveau national et international, notamment l’Organisation mondiale de la santé (OMS), encouragent des mesures réglementaires très strictes niant ainsi les possibilités de réduction des risques sur santé que les produits non combustibles offrent. Clive Bates est directeur de The Counterfactual, une agence de conseil et de plaidoyer axée sur une approche pragmatique de la durabilité et de la santé publique au Royaume-Uni. Selon lui, ces réglementations sont «des mesures punitives, de la coercition, des restrictions, de la stigmatisation, de la dénormalisation. Il s’agit d’un échec par rapport à ce que des décideurs politiques dignes de cette appellation devraient faire, à savoir, procéder à des évaluations d’impact adéquates et les examiner minutieusement. L’élaboration des politiques est marquée par un échec retentissant à tous les niveaux, aussi bien au niveau gouvernemental, des assemblées législatives, et au niveau des organisations internationales comme l’Organisation mondiale de la santé».
Les experts qui ont participé au Forum pensent que les produits à base de nicotine plus sûrs ont certainement un rôle à jouer dans la réduction des maladies liées au tabagisme. Ils dénoncent les obstacles institutionnels qui se sont installés depuis des années qui, selon eux, profitent au statu quo et font plus de mal que de bien:
«Toute personne qui se référerait à l’histoire de l’innovation et l’industrie des sciences et de la technologie s’en rendrait compte. Beaucoup de personnes ne cherchent que le statu quo. Les fabricants de cigarettes se font beaucoup d’argent avec le statu quo. Et il y a aussi d’énormes financements pour le maintien de ce statu quo. La Suède, l’Islande et la Norvège ont les taux de tabagisme les plus bas au monde. Et maintenant au Japon, où un tiers du marché des cigarettes a disparu en peu de temps car ils ont eu accès à des alternatives. Les consommateurs optent pour des alternatives lorsque des choix leur sont offerts», a déclaré au Forum David Sweanor, Président du Conseil consultatif du Center for Health Law (Centre du Droit de la Santé) du Canada.
Mark Tyndall, Professeur et Spécialiste des maladies infectieuses au Canada, est également très ferme sur le sujet des alternatives au tabac traditionnel testés scientifiquement: «J’ai toujours considéré que fumer des cigarettes était une forme de réduction des méfaits pour les consommateurs de drogues. Cependant, il était tout aussi pénible de constater que la cigarette tuait plus de personnes que le VIH, plus que l’hépatite C et même plus que l’épidémie de surdose catastrophique qui a dévasté l’Amérique du Nord. La mort due à la cigarette est lente et sournoise. Il n’y avait pas grand-chose à offrir aux fumeurs jusqu’à l’apparition du vapotage en 2012. La plupart des professionnels de la santé encourageait les gens à arrêter de fumer. Au mieux, nous avons proposé aux fumeurs des poches de nicotine ou de la gomme et leur avons dit que cela pourrait les aider à arrêter. Huit ans plus tard, qui aurait cru que jeter une bouée de sauvetage aux fumeurs de cigarettes serait tellement contentieux. Cela aurait été un fait marquant. À l’heure actuelle, les principales autorités de santé publique du monde entier auraient dû lancer des campagnes mondiales pour débarrasser le monde des cigarettes grâce au vapotage.»
Par ailleurs, de nombreux experts ont souligné que les consommateurs et les patients sont au cœur des systèmes de santé et qu’ils devraient connaître les alternatives et se sentir libres de choisir celle qui leur convient le mieux. Clarisse Virgino, une consommatrice de vape vivant aux Philippines exerce une pression pour une réglementation équitable au sujet des cigarettes électroniques dans son pays: «En définitive, c’est le consommateur qui souffrira si des politiques prohibitionnistes sont mises en place, car cela privera les fumeurs d’opérer un changement, portant ainsi atteinte à leurs droits humains fondamentaux. L’interdiction affectera également ceux qui ont déjà opté pour le changement en les obligeant à reprendre à fumer de la cigarette combustible ordinaire. Ce serait vraiment très contre-productif. Les produits alternatifs peuvent aider à contrôler, sinon à éradiquer le tabagisme. Il s’agit de produits moins nocifs qui peuvent aider les gens à abandonner une mauvaise habitude qui affecte non seulement les fumeurs mais aussi ceux qui sont autour d’eux. C’est injuste. Comme le dit l’adage, rien de ce qui nous concerne ne devrait jamais être fait sans nous.»
L’industrie du tabac était également invitée au Forum. Moira Gilchrist, Vice-Présidente en charge des communications stratégiques et scientifiques au sein de Philip Morris International, s’est exprimée à cette occasion. Selon elle, «Dans un monde idéal, nous allions avoir une conversation franche, fondée sur les faits pour comprendre comment reproduire ces résultats – faisant allusion aux cas des pays comme le Japon – le plus rapidement possible dans un plus grand nombre de pays possible. Étonnamment nous sommes loin de cela dans le monde réel. De nombreux défenseurs de la santé publique et organisations de santé publique ne semblent pas disposés à évaluer objectivement l’opportunité qu’offrent les produits sans fumée. Pourquoi? Parce que ces solutions viennent de l’industrie.»
Des décideurs et dirigeants politiques soutiennent qu’il existe un conflit irréconciliable entre l’industrie du tabac et la santé publique. Pour Moira Gilchrist, c’est «une censure scientifique pure et simple». Pour elle, la science et les preuves s’avèrent plus judicieuses:
«Je ne saurais prétendre parler au nom de l’ensemble de l’industrie, mais chez Philip Morris International, nous nous engageons à remplacer les cigarettes par de meilleures alternatives le plus rapidement possible. Je ne peux vraiment pas comprendre pourquoi ce changement est accueilli avec scepticisme. Aujourd’hui, nos dépenses de recherche et développement sont principalement consacrées à un portefeuille sans fumée. Notre objectif est d’avoir un avenir sans fumée. L’impact de ces produits est déjà visible. Une étude réalisée par des chercheurs travaillant pour l’American Cancer Society a conclu que la baisse rapide des cigarettes observée récemment au Japon est probablement due à l’introduction d’Iqos, le dispositif électronique de nicotine conçu par Philip Morris International.»
Qu’en est-il pour les pays à faible revenu, plus particulièrement de l’Afrique?
Dans les pays à faible revenu, les dispositifs électroniques d’administration de nicotine (inhalateurs électroniques de nicotine) [ENDS], sont de plus en plus utilisés. Cependant, la législation s’oppose souvent à ces alternatives. Par exemple, l’Inde a récemment arrêté la vente de cigarettes électroniques et d’autres appareils électroniques invoquant des risques pour la santé. Samrat Chowdhery est le Directeur du Council for Harm Reduced Alternatives, en Inde. Il a blâmé ce qu’il a appelé ‘un conflit d’intérêts évident’: «La Chine et l’Inde sont en première ligne pour garder secrètes les procédures des sociétés qui ont perdu le contrôle public de leurs actions et portent atteinte, à l’échelle mondiale, aux efforts de lutte antitabac en les rendant moins transparentes et en refusant de respecter les droits des personnes les plus affectées par leurs politiques».
En Afrique, bon nombre de pays appliquent de lourdes taxes pour empêcher les dispositifs électroniques d’administration de nicotine de perturber le marché. Ils invoquent également des raisons de santé pour justifier ces réglementations très rigoureuses. Selon Chimwemwe Ngoma, Spécialiste en sciences sociales, originaire du Malawi, l’éducation est la clé pour informer convenablement la population sur ce qui est véritablement en jeu: «Le gouvernement, les agriculteurs, les organisations de la société civile et les consommateurs de nicotine doivent comprendre que ce n’est pas le tabac le vrai problème mais plutôt le tabagisme. Nous devons prouver que des produits plus sûrs qui contiennent de la nicotine peuvent être fabriqués à partir du même tabac».
Clarisse Virgino, des Philippines, est même allée plus loin pour dire que ces mesures sont très préjudiciables: «Beaucoup de pays ne peuvent pas se permettre d’offrir des soins de santé adéquats à leur population. Je pense qu’il est grand temps d’opter pour la réduction des méfaits du tabac. Il y a un nombre élevé de données, de travaux de recherches, de preuves qui soutiennent cette thèse. Les politiques vont à l’encontre de l’essence même de la réduction des méfaits du tabac. Ce ne sont pas les consommateurs qui doivent subir les conséquences des politiques arbitraires et non fondées sur des faits. Les politiques doivent être protectrices des personnes et non destructrices afin d’éviter que les consommateurs n’en subissent les dommages collatéraux».
Malgré ce qui semble être une lutte complexe, de nombreux experts comme David Sweanor espèrent que la transformation finira par arriver: « Nous devons également nous focaliser sur l’opportunité qui nous est offerte de changer fondamentalement le cours de la santé publique », a-t-il déclaré.
Marie Camara