Dakarmidi – Les deux mers. Ce sujet puisé dans le Coran a pris une importance considérable auprès de la vox populi. Sans motif apparent à première vue, car n’importe quel autre domaine aurait pu prétendre à la même vogue. Cependant, durant la période considérée, il y eut l’apport d’émissions télévisées consacrées à la mer, que la rumeur et la crédulité ont vite fait d’orienter vers des mystères imaginaires. Mais, contrairement aux différentes versions en circulation personne n’a jamais découvert de vastes étendues d’eau douce au beau milieu des océans, incitant qui que ce soit à se convertir à l’Islam. Et, il est fort improbable que quelque chose de similaire puisse exister. Car les lois de la nature, qui sont, à ne pas douter, des lois divines, s’opposent à ce qu’un tel phénomène vienne déranger l’ordonnancement de la Création. Dans les cas extrêmes, l’eau douce pourrait provenir de sources sous-marines et, à moins d’un débit gigantesque qui entraverait le pouvoir d’absorption de la mer, tout apport d’eau douce serait rapidement dilué dans la masse salée.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, il convient de donner une explication au mot « bahr » qui se trouve mentionné dans le Coran et qui désigne habituellement la mer. C’est ainsi que la mer Méditerranée, la mer Caspienne sont identifiées par le mot « bahr » suivi du nom de la mer considérée. Par extension, ce même mot sert à indiquer un océan, bien que celui-ci soit plus correctement représenté par le mot « mouhit ». Les grands fleuves sont aussi désignés par le mot « bahr », accolé au nom du fleuve, à l’exemple du bahr El Nil, pour le Nil, bahr El Fourath pour l’Euphrate etc. Le pluriel de ce mot est « bouhour » ou « bihar ». Par référence à deux mers voisines, c’est le terme de « bahreïn», du même nom de l’archipel de Bahreïn dont l’île principale de forme oblongue, est bordée des deux côtés par la mer qui est utilisé. La même terminologie sert à décrire un ensemble constitué d’un côté par la mer et de l’autre par les eaux des grands fleuves.
Le Coran évoque à plusieurs reprises les deux mers, dont l’une est douce et agréable au goût, et l’autre salée et amère. La connaissance des véritables mécanismes qui régissent ce phénomène, justifie la rédaction de cet article. Nombre de commentateurs anciens, suivis des exégètes contemporains ont vu, en effet, dans ces passages la description des eaux du Tigre et de l’Euphrate qui se jettent dans la mer. Leurs masses respectives les font ressembler à deux mers aux saveurs dissemblables. C’est du moins un point de vue largement partagé. Cependant, le problème est plus complexe qu’il n’y paraît de prime abord.
Le Livre Sacré précise à deux reprises (Coran 25.53 et 55.19), que « Dieu a fait confluer les deux mers ». L’infinitif « confluer » est la traduction du mot « maradja » employé dans les deux versets, cela semble entendu. En réalité, quelle diversité et quelles contradictions dans les travaux des orientalistes ! Si certaines sources s’accordent pour donner au terme « maradja », la signification de « faire confluer », à l’image du dictionnaire El Farâïd, Arabe/Français (J.B. Belot – Liban), Kasimirski par contre use du même mot pour traduire deux situations absolument contraires (rapprocher et séparer). M. Savary de son côté utilisé consécutivement les termes « rapprocher » et « balancer ». Que veut-on dire par « balancer les eaux des deux mers ? ».
D’autres explications semblent plus cohérentes : Masson, Blachère, Mazigh etChouemi prêtent à ce mot la notion de « faire confluer » dans le sens de « se rencontrer, se jeter dans… » C’est l’idée qui se dégage chez Bucaille, selon lequel« Dieu est Celui qui a laissé libre cours aux deux mers », à condition que cette expression suppose un écoulement normal d’un fleuve vers la mer. Globalement, le terme « maradja » signifie « rencontrer, ou se jeter dans… »
La Tradition Islamique décrit l’évocation de deux mers appelées à se rencontrer ou se jeter l’une dans l’autre. Il sera donc retenu pour la suite de cet exposé, la notion de « faire confluer » pour expliquer la racine « maradja. » Elle correspond le mieux à l’esprit du Coran. Deux passages principaux, traitent de ce problème.
1. « C’est Dieu qui a fait confluer les deux mers. L’une est douce et agréable au goût, l’autre est salée et amère. Il a établi entre elles, une barrière et une limite infranchissable. » (Coran 25.53).
2. « Il a fait confluer les deux mers pour se rencontrer. Il a établi une barrière entre elles, qu’elles ne peuvent franchir. » (Coran 55.19 à 21).
Les commentaires de Blachère traduisent bien le sens de ces versets :
« Les deux mers. Chez Tabari, cette expression est prise dans un sens très étendu. Le Créateur a fait en sorte que la masse des eaux fluviales ne soit pas altérée, par la salinité de l’eau de mer. Toutefois, pour la génération même de Mahomet, il est possible que ce passage ait fait penser au phénomène du non-mélange immédiat des eaux de l’Euphrate et du Tigre avec celles de la mer, à leur débouché dans le Golfe. En tout cas, c’est l’interprétation retenue dans les commentaires postérieurs à Tabari.* »
*Tabari a vécu de 838 à 923 de l’ère chrétienne, soit trois siècles après le Prophète Mohammed.
Ainsi, le non-mélange des eaux douces fluviales et des eaux salées marines, était déjà admis du temps du Prophète. Les populations de la région plus spécialement les marins et les pêcheurs ne pouvaient l’ignorer. Même si le fait de le remonter jusqu’au Prophète demande à être vérifié. Aussi, personne ne saurait attribuer la paternité d’une telle « découverte » à un bateau de recherche océanographique, la Calypso, en l’occurrence, alors que Tabari y faisait allusion en son temps.
Il n’est pas possible de comprendre pleinement la portée de ce sujet relatif aux deux mers, sans remonter aux origines, aux mécanismes qui contribuèrent à la formation du globe. Car c’est de là que découle la formation des mers en question. Plusieurs versions contradictoires ont été proposées par les spécialistes pour tenter d’expliquer la genèse de la terre. Selon les uns, la planète serait née à partir de matière solaire, chaude à l’origine de plusieurs milliers de degrés, alors que pour d’autres, son édification résulte de l’accrétion de particules froides contenues dans un nuage cosmique. Une des dernières théories qui semble particulièrement cohérente et bien argumentée soutient que l’ensemble du système solaire, comprenant le soleil, les planètes et leurs satellites ainsi que les autres petits corps (roches et astéroïdes) a été constitué, il y a environ 4,55 milliards d’années (Les premiers jours de la Terre. Claude Allègre)
La terre, aurait été formée à partir d’un nuage interstellaire composé de poussière et de gaz. Les particules en s’agglomérant, auraient donné naissanced’abord à des roches de petite taille puis à de gros rochers et finalement, au globe terrestre. Dès sa formation, la planète fut soumise à des bombardements incessants d’astéroïdes dont le diamètre variait de quelques mètres à plusieurs kilomètres. La surface devint rapidement un terrain chaotique et poussiéreux, marqué par les débris des roches, les brèches et les éboulis, à l’image du relief lunaire. Ce scénario dont l’intensité allait en décroissant aurait duré 500 millions d’années. Le bombardement continu et intense n’avait pas encore fini par modeler la surface, qu’un autre processus était déjà en cours ; il s’agit de la différenciation interne des couches de la planète. Le noyau en fer/ nickel commence à se spécialiser aux dépens du manteau.
L’histoire primitive de la planète est caractérisée par un abondant volcanisme et par l’absence de continents. Dès leur formation, les reliefs étaient détruits et engloutis dans le manteau. Il n’existait ni chaîne de montagne, ni dépression, ni permanence à la surface du globe. Durant les cent premiers millions d’années, un volcanisme intense va former, par dégazage l’atmosphère terrestre. Les émissions volcaniques sont un mélange d’eau, d’azote, de gaz carbonique, de soufre et d’autres éléments et gaz provenant de l’intérieur du globe, Le dégazage du manteau va aussi amener l’eau à la surface de la terre. Cette eau apportéepar le bombardement intensif des météorites, est acide et se combine aux roches basiques pour créer un proto-océan. Le processus de la constitution de l’océan mondial aurait duré 10 millions d’années.
C’est grâce à l’action du soleil que le cycle atmosphérique s’est enclenché. Seulement en l’absence de continents, la rotation tournait à vide. L’eau s’évaporait de l’océan pour y retomber sous forme de pluie, dans une suite sans fin et sans intérêt. Lorsque les premiers reliefs émergèrent et commencèrent à se refroidir, une partie des précipitations se déversa sur les nouvelles terres, entraînant avec elle, les débris par érosion, Une fois les roches lavées, l’eau devenue de plus en plus potable et douce s’accumula dans les dépressions, les vallées au fond des montagnes, donnant naissance aux lacs, fleuves, rivières en surface et aux nappes souterraines.
L’eau douce a été ainsi séparée de l’eau salée avec laquelle elle était confondue. A l’origine il n’existait que l’océan mondial, désormais une autre entité venait d’apparaître : l’eau douce, couvrant parfois des étendues immenses. Cette eau est séparée de l’eau de mer par plusieurs formes d’obstacles dont quelques-uns sont insurmontables. En premier lieu, les reliefs ; Les eaux douces de surface sont presque toujours situées dans des zones élevées à une altitude supérieure à celle de l’océan mondial. Mais, la différence fondamentale provient du fait que les eaux douces sont systématiquement issues de la pluie et par conséquent de l’évaporation qui se condense, et qui est récupérée par les terres émergées. En l’absence de continents, il ne saurait y avoir de différenciation de l’eau de mer ; toute l’eau mondiale serait salée. Les reliefs forment en conséquence une barrière infranchissable entre les eaux douces et les eaux salées. Cependant, en dépit de ce qui les oppose, les deux mers convergent aux estuaires et aux embouchures.
Les grands thèmes concernant la formation de la terre par accrétion de particules, la constitution de l’océan mondial par dégazage, l’émergence et la consolidation des reliefs, la séparation de l’eau douce et de l’eau salée, ne donnent pas lieu à des divergences entre les multiples protagonistes et bénéficient d’un crédit suffisant pour les valider.
Le Coran admet lui aussi que la création des corps célestes s’est déroulée par accrétion de particules (41.11) et la terre ne déroge pas aux lois de la nature et ne constitue pas une exception dans le cosmos. Après son accrétion, son aménagement est résumé par le verset suivant :
« N’est-ce pas Lui (Dieu) qui a fait de la terre un lieu ferme (stable), Il a fait jaillir ses cours d’eau, planté solidement son relief et dressé entre les deux mers, une barrière infranchissable ? Est-ce une autre divinité à côté de Dieu ? Mais la plupart des hommes ne savent pas. » (Coran 27.61).
Ce verset est édifiant en raison des précisions qui sont données dans le déroulement des phénomènes de la création. « Dieu a fait de la terre un lieu ferme (stable) ». De fait, à l’origine, la surface était chaotique et poussiéreuse soumise à un bombardement météoritique permanent. Les continents qui tendaient à se former étaient détruits et ré-engloutis dans le manteau où régnait une chaleur infernale. Ce n’est que plusieurs centaines de millions d’années plus tard, que la planète connut une relative accalmie au cours de laquelle fut édifiée l’écorce terrestre, Le sol acquit des caractéristiques nouvelles, inconnues auparavant. La terre devint ferme, stable, et par la suite, propre à supporter la vie.
Pour ce qui est de la barrière entre les deux mers, décrite par le mot « hadjizan », Sadok Mazigh, substitue au sujet, l’action qui en découle. Du coup, l’expression « Il a dressé entre les deux mers, une barrière… », devient : « …Il a planté un relief et séparé les eaux douces des eaux salées. » Cette façon de voir, reflète bien l’esprit du Coran, car si les eaux douces et salées avaient toujours été séparées, il n’aurait pas été nécessaire d’ériger une barrière qui devait déjà exister. Par contre, si à l’origine, les eaux étaient confondues et qu’un mécanisme avait été mis en place pour procéder à la séparation, alors il devient logique de prévoir un obstacle pour éviter que les eaux ne se mélangent à nouveau. Or, aux premiers temps, seul existait l’océan mondial.
Ce n’est qu’après l’émergence des reliefs que ceux-ci ont commencé à recueillir et à stocker l’eau douce issue des précipitations, puisque les mers ne participent pas à cette différenciation. Le terme « relief » est d’ailleurs presque systématiquement lié à l’eau douce, dans le Coran, par exemple :
« Nous érigeâmes des montagnes élevées et vous donnâmes à boire une eau douce. » (Coran 77.27).
Ou encore :
« C’est Lui (Allah) qui a étendu la terre et y fit couler les cours d’eau. » (Coran 13.3).
La chronologie de la création est donc exacte. Après la formation de la terre et la consolidation de l’écorce terrestre, l’océan mondial a vu le jour, mais les eaux douces n’ont pu être séparées des eaux salées, grâce à la circulation atmosphérique, qu’après l’émergence des reliefs. Plus tard, les réserves d’eau douce accumulées ont fini par atteindre des masses imposantes et de grandes étendues à l’apparence de véritables mers. Comme le précise le Livre Sacré :
« Les deux mers ne sont pas identiques. L’eau de celle-ci est douce, potable et agréable à boire, l’autre est salée et amère. L’une et l’autre vous procurent des chairs fraîches, que vous mangez. Vous en extrayez aussi des joyaux dont vous vous parez. Tu vois le vaisseau fendre bruyamment les vagues, pour vous permettre de rechercher les bienfaits de Dieu. Peut-être en seriez-vous reconnaissants ? » (Coran 35.12)
La description correspond à celles des grands lacs, qui sont parfois assimilés à des mers intérieures. Les grands lacs d’Afrique (Tchad-Tanganyika-Malawi), d’Asie (Baïkal-Balkach-Ladoga), d’Amérique du Nord (Supérieur-Huron-Michigan-Erié-Ontario-Esclaves…), ont chacun plusieurs dizaines de milliers de kilomètres carrés de superficie (ou avaient, avant la sécheresse actuelle). Ils sont formés d’eau douce et possèdent sur leurs côtes, des villes et des ports. Ils sont sillonnés par des bateaux de marchandises, transportent des voyageurs et sont agitées par des vagues à l’image des mers. Ils produisent de grosses quantités de poissons d’espèces variées et peuvent recéler des joyaux (perles de mulettes d’eau douce, diamants, etc.), Leslacs Victoria et Supérieur sont ainsi plus vastes que la mer d’Aral. Le lac Baïkal s’étend sur 630 kilomètres de long, et sa profondeur pouvant atteindre 1740 mètres. Il renferme une île, Olkon plus de deux fois plus vaste que l’île de Malte (730 kilomètres carrés).
Ainsi, sont les mers d’eau douce décrites dans ce verset. Elles son habituellement séparées des océans par la distance, le relief et le cycle atmosphérique qui a donné naissance à l’eau potable. Cependant, à travers d’autres citations le Coran fait confluer les deux mers. Est-ce à dire qu’il y a contradiction entre les deux descriptions ? Non, car elles sont complémentaires. Si en amont, les eaux douces sont séparées des mers, en aval au contraire, elles confluent vers leur origine première. Ce sont les grands fleuves et à leurs débouchés, les estuaires. Leurs eaux s’étalent suffisamment pour constituer une entité bien distincte, et parfois considérable. Les eaux du Tigre et de l’Euphrate forment de la sorte une avancée de100 à 150 kilomètres dans la mer pour se mélanger et celles de l’Amazone s’étendent sur un diamètre de 300 kilomètres en plein Océan Atlantique, avant de se confondre et perdre leur identité. Ce sont des surfaces de plusieurs milliers de kilomètres carrés qui empiètent sur les mers et les océans.
Globalement, le problème des deux mers est en quelque sorte une genèse de l’hydrosphère de la planète. A partir de l’océan mondial primitif, l’eau douce a été séparée de l’eau salée, pour constituer d’énormes réserves dans les dépressions continentales. Par un des nombreux cycles qui réglementent le fonctionnement de la nature, une partie de ces eaux est condamnée à rejoindre les océans, pour perpétuer un mouvement sans fin, garant de la vitalité du globe terrestre. Voilà pourquoi, il n’y a pas lieu d’être restrictif et timoré dans l’interprétation des données coraniques, en réduisant, incongrûment, ces phénomènes à leur phase terminale, qui les fait se jeter dans la mer. Si les eaux douces et salées convergent, c’est qu’elles ont été déjà séparées une première fois, au cours de la prime jeunesse du globe.
Dans un processus extraordinaire qui a donné naissance à la vie. Et qui est autrement plus complexe et plus révélateur du contenu du Coran qu’une hypothétique découverte d’une mer douce au milieu des océans.
Mohammed Yacine KASSAB
(Extrait du livre de l’auteur : Gloire a Dieu ou les Mille Vérités Scientifiques du Coran)