Dakarmidi – Les manuscrits du Coran racontent l’histoire de la calligraphie arabe, cet art inventé pour mettre en valeur la Parole divine.
Papyrus, parchemin, et finalement papier: du haut de ces vénérables corans, c’est toute l’histoire du monde musulman que l’on contemple, et celle de la spectaculaire expansion à travers les mondes arabe, perse et asiatique des 6218 versets composant les 114 sourates divines. Peu de temps après la mise en forme écrite en arabe, sous le califat d’Othman (644-656), la première traduction en farsi voit le jour. Celle en sindhi date de 883. Et en 912 apparaît une traduction en chinois.
Ces exemplaires du livre sacré de l’islam illustrent aussi toute la palette de graphies ornementales utilisées pour coucher la parole divine. D’abord copiés dans une écriture arabe nommée Higazi – née dans la région du hijaz, berceau de l’islam -, les corans vont voir leur écriture se diversifier en fonction du talent des copistes et de la sous-région à laquelle ils appartiennent (Maghreb, Afrique, Asie, monde turcophone, etc).
Va d’abord apparaître la calligraphie coufique, ou écriture abbasside ancienne, assez fruste, aux caractères anguleux, initiée vers 670 par l’école de la Mosquée de Koufa en Irak. Puis, en parallèle, une autre façon d’écrire, plus arrondie et aisée à lire, va s’imposer: la calligraphie cursive. Le vizir Abu Ali Ibn Muqla (885-939), qualifié de «géomètre de la calligraphie», va en théoriser six styles, réunis sous le nom d’al-aqlam al sittah («les six plumes»). A la suite d’ibn Muqla, il faut citer Al-Bawwab (mort en 1022) et Mirali de Tabriz, autre calligraphe de génie, auquel on doit le style nastalik.
Certains manuscrits se vendent aujourd’hui très cher
Magnifiant Dieu, la calligraphie fut perfectionnée par des hommes aujourd’hui entrés dans la légende: citons Qutba Al-Mahir qui, sous la dynastie omeyyade, renouvela et perfectionna pinceaux et crayons traditionnels. Ou Yaqut al Musta’simi qui, en inventant une nouvelle façon de tailler ses plumes de roseau – en coupe oblique -, contribua au parachèvement des six styles canoniques de l’écriture cursive.
Les calligraphes n’étaient pas seuls à oeuvrer à la réalisation des corans. Ces derniers requéraient la collaboration d’une équipe. Des relieurs et des enlumineurs enrichissaient le texte. Les volumes n’étaient jamais illustrés de figures humaines – la religion musulmane interdit de représenter Dieu et de placer des images d’hommes ou d’animaux dans les lieux de prière -, mais ils pouvaient en revanche être ornés de motifs floraux et végétaux, hérités de la culture byzantine, et d’ornements géométriques: les fameuses arabesques, entrelacs de formes et de motifs répétés symbolisant la nature infinie – et dépourvue de centre – de la Création.
Il fallut attendre la fin du XIXe siècle pour que l’Empire ottoman commence à imprimer des corans, soit plus de trois siècles après l’apparition des éditions imprimées européennes (la toute première vit le jour à Venise en 1537, la deuxième à Hambourg en 1694). Difficultés techniques, poids socio-économique de la corporation des copistes, impératifs religieux – le Livre sacré requérait une copie sans défauts – furent autant de freins qui contribuèrent à l’introduction de l’imprimerie dans le monde arabo-musulman.
C’est cette facture artisanale de la calligraphie qui fait aujourd’hui flamber les enchères. Rédigé à Médine, un coran palimpseste – écrit sur un velum préalablement utilisé et nettoyé à la pierre ponce – du VIIe siècle a ainsi été vendu chez Christie’s en avril 2008 pour plus de trois millions d’euros…