La France est-elle en train de jouer la carte Ousmane Sonko ? Ou bien veut-elle s’assurer que le sentiment anti-français qui animait Sonko à ses débuts est toujours d’actualité ? En tout cas tout porte à le croire avec cette interview qui semble être un ballon de sonde et réalisée par les deux organes de presse français les plus connus, Rfi et France 24.
Sur près de 14 minutes d’échange avec deux journalistes français aguerris (Marc Perelman et Christophe Boisbouviller ), Ousmane Sonko a pris 6 minutes pour apporter des « éclaircissements » à propos de sa position sur les relations France-Sénégal. Heureusement qu’il a fait usage d’un langage diplomatique et est parvenu à masquer sa radicalité légendaire en proposant « un partenariat gagnant-gagnant ».
En effet, il faut savoir que les élections de 2024 seront décisives et pour le Sénégal et pour la France. Avec un opposant en pôle position et presque sûr de remporter ces élections, la France ne peut rester spectatrice face à un éventuel changement de régime qui pourrait bien compromettre ses intérêts à l’endroit d’un partenaire historique et privilégié comme le Sénégal. Le rejet de la France est déjà acté au Mali et il est en téléchargement au Burkina et au Niger. Pas question alors de perdre sa tête de pont stratégique en Afrique de l’ouest.
A bien des égards Ousmane Sonko incarne cette radicalité vis-à-vis de l’ancienne puissance coloniale et s’il accède au pouvoir, la France risque de voir lui filer entre ses doigts un partenaire stratégique dans un contexte très particulier. En effet, la découverte du pétrole, du gaz, du zircon, de l’or et j’en passe, a donné au Sénégal une nouvelle dimension et il est aujourd’hui plus que jamais « un trésor » à ne pas perdre pour la France. On le sait bien avec la guerre en Ukraine et ses prolongements, l’Europe va inéluctablement vers une pénurie de pétrole et de gaz car toutes ses sources d’approvisionnement sont en sursis. Dans ce contexte géopolitique chargé, une tension née de la contestation de l’éventuel 3e mandat du président Macky Sall, serait une aubaine pour les occidentaux de voir le Sénégal sombrer dans l’instabilité.
Ainsi face à ce risque de déstabilisation qui ne profiterait qu’aux occidentaux, étant conscient du signal fort donné par les Sénégalais lors des législatives passées, mesurant la portée de sa promesse de ne faire que deux mandats et réaffirmée tour à tour par ses partisans, le président Macky Sall devrait se résoudre à ne point envisager une 3e candidature. L’opposition sénégalaise aussi ayant retenu les leçons de 2012 et prenant en compte le danger qui guette le pays en cas de contestation de la 3e candidature de Macky, devrait dès à présent s’inscrire dans une campagne programmatique de propositions de solutions alternatives pour sortir le Sénégal du gouffre comme elle le prétend, et non pas cristalliser tout le débat autour d’une 3e candidature dont le concerné ne s’y est pas prononcé de façon définitive.
Le Sénégal est toujours sorti grandi de ses épreuves. Pourvu que cette fois ci nos hommes politiques soient à la hauteur.
Modou Sall, professeur d’histoire et de géographie au Lycée de Kébémer