Quoiqu’il en soit, nul ne peut occulter la réussite de la mobilisation du mouvement Yen à Marre. Elle a connu un succès retentissant. Car elle a eu le mérite d’exister. Ne serait-ce que pour cela.
En effet, cette manifestation annoncée comme une réaction spontanée face à un régime accusé de « faire coïncider opportunément le temps de la Justice avec celui de la politique, » pour priver de leur liberté des leaders potentiels challengers crédibles face au tout puissant Président Macky Sall aura réussi à entrainer un battage médiatique et un mouvement de foule qui à coup sûr méritent d’être analysés, et ses signaux décodés.
Le mot d’ordre de cette manifestation, « LU EPP TURU » dit clairement combien l’exaspération populaire réelle ou imaginaire face à un régime soupçonné de manipuler la Justice pour éliminer ses adversaires politiques est un facteur de mobilisation auquel les populations auront répondu massivement ou pas.
C’est en cela que cette manifestation aura été un succès : elle a permis le lancement d’un concept fédérateur. Ses organisateurs ont réussi à résister à la bataille des nerfs orchestrés par des responsables de l’APR qui auront tenté par tous les moyens de les déstabiliser et de créer auprès des autorités administratives un doute suffisamment objectif pour interdire leur rassemblement.
C’est le signe de la maturité des membres du mouvement Y en à Marre, renforcée par une communication maitrisée, dont le maitre mot aura été, reconnaissons-le : responsabilité. Pas d’injures. Pas d’insolence. Pas d’insubordination.
Cet état d’esprit est sur ce point, différent de celui qui les animait il y a quelques années, quand sur cette même place, l’un des acteurs charismatiques de ce mouvement injuriait Me Wade, sous le regard concupiscent de leurs adversaires d’aujourd’hui, contre qui leur courroux s’est retourné désormais. C’est cela qui fait la beauté et le charme de notre démocratie sénégalaise : Voir M. Babacar Gaye à la tribune houspiller le régime de Macky Sall et réclamer la justice et le respect des valeurs démocratiques. Sans oublier de dénoncer la condamnation arbitraire de Karim Wade, l’ex ennemi public qui cristallisait le rejet du Régime Wadien il y a cinq ans.
Si cette mobilisation a connu le succès engrangé par ses organisateurs, c’est aussi parce qu’à force d’interdire les marches et autres rassemblements à l’opposition, le régime a laissé la colère et la frustration distiller insidieusement leurs poisons dans le cœur de leurs militants privés de ce moyen d’expression qui est un exutoire en toute démocratie. Y en à Marre aura ainsi été malgré lui sans doute le cheval de Troie par lequel tous les partis d’opposition interdits systématiquement de marche et de rassemblement s’inviteront à la Place de la Nation, pour donner libre court à leur soif de manifestations. Les militants et sympathisants des maires Khalifa Sall et Bamba Fall aussi ne pouvaient se permettre de rater cette occasion.
Finalement, la tribune de Yen à Marre sera le défouloir de tous les leaders de l’ opposition en manque de communion avec la foule des grands jours, sur les places historiques qui auront pourtant traumatisé certains parmi les orateurs d’hier, heureux de se retrouver dans le « beau rôle », prenant leur revanche sur l’Histoire, contre leurs bourreaux d’il y a cinq ans, aux côtés des acteurs historiques de la défaite de leur mentor Me Wade.
Chez nous l’histoire politique a de ces retournements tragi comiques qui font sourire, mais qui à coup sûr, risquent de faire rire jaune Macky Sall, s’il n’y prend garde.
En effet, l’indiscipline et l’insolence des militants de son parti et non moins responsables auront grandement décuplé la rage des sympathisants du Yen à Marre et les auront poussés à manifester. Yakham Mbaye particulièrement aura été très mal inspiré de contredire les rumeurs de son désistement à organiser une contre manifestation, à la suite de l’intervention de Macky Sall. En niant ce fait, et en s’en offusquant presque, il a contribué à envenimer inutilement une situation qui ne peut que lui être préjudiciable, surtout que pour son cas personnel, il ne peut même pas mobiliser une dizaine de personnes au Plateau. L’arrogance et la morgue sont des attitudes rédhibitoires chez nous.
C’est donc dire que la manifestation du Yen à Marre doit être prise très sérieusement par le régime de Macky Sall. Quand ce mouvement lançait ses manifestations à Rufisque si mes souvenirs sont exacts contre le régime de Me Wade il y cinq ans, nul ne pouvait prédire qu’il serait un des acteurs de sa chute historique.
Un adversaire n’est jamais à minimiser sur le champ politique.
Surtout si on déjà éprouvé ses capacités de « nuisance ».
Aujourd’hui, Yen à Marre est donc de retour, avec des acteurs politiques avides de revanche, dans un contexte marqué par l’absence de discipline de parti à l’APR, une armée mexicaine à cause de sa non structuration, et une alliance politique embourgeoisée dont les principaux ténors ont perdu jusqu’à leur capacité de mobilisation, et ne comptent plus que sur le charisme d’ un Macky Sall qui ne peut pourtant pas mener et remporter toutes les batailles à lui seul.
La nature ayant horreur du vide, sa stratégie de réduction de l’opposition à sa plus simple expression a fini de mettre en face de lui un conglomérat de forces hétéroclites sans tête et forcément plus dangereux et complexe à maitriser.
Les débats qui interpellent son régime ne peuvent plus être occultés. La bataille de la mobilisation de l’opinion vient d’être lancée, et la communication en est un enjeu fondamental que Macky Sall ne peut occulter.
A lui d’apporter la réponse politique qui sied alors, sur le terrain politique, à cette mobilisation du Yen à Marre.
Cissé Kane NDAO
Président A.DE.R
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