Dakarmidi – En général, les grands projets d’infrastructure (aéroports, autoroutes, stades, barrages, tunnels, tramways, usines, centrales électriques etc.), sont complexes ; ils requièrent de longs délais de livraison et nécessitent l’intervention de divers acteurs (bailleurs, promoteurs, experts, contractants, sous-traitants, populations, etc.). Une grande majorité de ces projets, se termine hors délais et dépasse les budgets prévus ; cela est dû aux risques de dépassement de coûts qui sont à la fois fréquents et récurrents, d’où une nécessité de s’orienter vers des systèmes de gestion de risques efficaces et rigoureux pour mieux les anticiper et les maîtriser.
Une mauvaise conception (erreurs de design, plannings irréalistes, problèmes techniques, volonté des promoteurs à redimensionner le prototype initial), des changements de spécification et la non prévision des conditions sous-jacentes du terrain sont autant de facteurs de risques potentiels pouvant avoir un fort degré d’impact, causant ainsi de considérables retards de livraison et des surcoûts qui sont souvent à l’origine de l’abandon de certains projets et programmes.
S’ils ne sont pas simplement ralentis par les communautés bénéficiaires qui y voient leurs intérêts bafoués par l’occupation voire la consignation de leur patrimoine, leur rendement voire leur impact, est tout bonnement affecté par les multiples agissements de ces dernières qui ne se retrouvent pas souvent dans la finalité ou les retombées de ces projets et programmes.
Dans un environnement de plus en plus concurrentiel et global, le management des risques est devenu une nécessité pour la survie des projets et programmes en phase de constituer de plus en plus l’enjeu majeur des prochaines générations de projets dits complexes et transversaux. Plus d’un projet sur deux exécuté au cours de ces dernières années a connu très souvent des retards d’exécution, des dépassements budgétaires et de faibles rendements.
Ces dysfonctionnements au plan de l’opérationnalisation sont parfois dus au fait que certains de ces projets sont souvent conçus en référence à des perceptions, des conceptions et des considérations qui n’intègrent que peu ou pas les réalités socioculturelles du contexte d’exécution.
Par ailleurs, les projets sont de plus en plus complexes et à grande échelle ; ils exigent et requièrent une haute technologie, de nouvelles et complexes méthodes de construction et des compétences pointues et avérées en gestion de projet. Ainsi la nette différence notée en termes d’expertise et d’expérience entre experts internationaux et nationaux suscite des conflits et paralyse les projets conduisant souvent à des ajustements, sources de surcoûts intrinsèques.
«Changements de conception et spécifications erronées»:
Les grands projets d’infrastructure sont aussi bien exposés aux risques internes d’ordre financier, conceptuel, contractuel, technique, personnel et opérationnel), qu’aux risques externes d’ordre économique, social, politique, juridique, public, logistique et environnemental. Les risques externes sont caractérisés par la bureaucratie et la lourdeur administrative, la pénurie d’équipements et de ressources humaines qualifiées, les longues procédures d’approbation, l’incompétence des managers des projets.
Le risque lié aux «changements de conception et spécifications erronées» est un risque important présent dans quasiment tous les grands projets,. Ce risque peut aussi être appréhendé en termes d’augmentation de coûts due aux variations et changements de forme opérés au sein du prototype initial. Ainsi, les modifications des spécifications induisent des surcoûts qui impactent à leur tour les «cash flows» du projet et rallongeant du coup le délai de récupération des capitaux (d’où des contrats de concession plus longs).
Le risque «changements de conception et spécifications erronées» a un degré d’impact très élevé et très significatif ce qui atteste la forte corrélation entre l’inadéquation des études prévisionnelles et la réalité du terrain. Ce risque qui peut advenir à n’importe quel moment de la mise en œuvre du projet s’accompagne le plus souvent de profondes mutations et réajustements qui engendrent à leur tour d’importants coûts supplémentaires et des retards considérables.
Par conséquent, le risque clé lié aux «changements de conception et spécifications erronées» et qui peut intervenir à tout moment au cours de l’exécution du projet, peut aussi générer des dégâts collatéraux. Il peut être à l’origine des livraisons différées des projets, requérant naturellement un temps supplémentaire pour corriger, remédier aux erreurs de conception constatées. Ainsi, ce sont toutes les prévisions, depuis la phase études de faisabilité, qui seront impérativement à réactualiser et à réajuster selon un nouveau calendrier à redéfinir.
Ce risque très présent dans la quasi-totalité des projets déjà exécutés et en cours d’exécution, aboutissement dans la plupart des cas sur des blocages et des arrêts des travaux. Et comme il est si bien connu en management de projet que tout retard ou arrêt induit des coûts supplémentaires qui réduisent les flux attendus, impacte le chiffre d’affaires et requière nécessairement un investissement supplémentaire pour couvrir les charges occasionnées, c’est dire alors qu’un bon nombre de projets restent vulnérables.
Les symptômes de ces risques se manifestent souvent sous forme d’importantes modifications de structures des projets, soit pour les besoins de les redimensionner soit pour les adapter à de nouvelles exigences et de nouvelles donnes. Ceci contraint les architectes, les ingénieurs et autres experts de se remettre à l’œuvre afin de sortir du sentier un nouveau prototype conforme aux nouvelles exigences du promoteur. Cette nouvelle étape requiert du temps supplémentaire et nécessitera un budget et du matériel avec à la clef un rallongement de délai, de budgets et une éventualité d’altérer la qualité attendue.
Ce brusque changement est en général difficile à gérer car il perturbe complètement le cycle de vie du projet en le désorganisant de fond au comble et ces phénomènes ne sont pas rares à observer en Afrique. Bon nombre de projets ont déjà connu cette «chirurgie esthétique», cette mi-temps, soit pour se «refaire une autre beauté», soit pour apparaître plus légers et plus maniables.
Il peut arriver souvent qu’on assiste à une modification profonde des structures des projets soit pour les agrandir soit pour les adapter à un nouveau besoin parce que le commanditaire qui est en général l’Etat dans ce cas d’espèce, veut inclure de nouveaux éléments et paramètres ou alors modifier complètement la structure existante afin de l’adapter à une nouvelle donne voire une nouvelle priorité.
Dans cette situation, c’est toute la charpente du projet qu’il convient de réaménager avec délicatesse. Cela peut exiger aussi la procuration de nouveaux types de matériaux souvent très coûteux pour lesquels les dépenses viendront gonfler les charges du projet, accroitre les coûts et prolonger la durée de la mise en œuvre.
Dans certains cas, on se rend compte que des fouilles sérieuses comme il se doit, ne sont jamais menées et les réalités du terrain peuvent changer la donne et imposer aux projets un nouvel itiné0raire qui requiert nécessairement des réajustements. Plusieurs cas concrets se sont déjà produits un peu partout dans le continent, où les conditions du terrain, de climat, la forte opposition de la part des populations etc., ont fini par avoir le dessus sur les projets, obligeant ceux-ci à déployer leurs parapluies et occasionner au passage des dégâts importants. Mieux, le plus souvent les conditions du terrain ne sont pas sérieusement prises en compte lors des études de faisabilité; celles-ci finissent par contraindre aux projets de se réadapter à la réalité du terrain.
Ces conditions et réalités du terrain et de l’environnement qui, dans la plupart des cas échappent aux experts internationaux qui ignorent complètement centaines exigences fondamentales du contexte local et qui n’intègrent ni ne prennent en compte sérieusement dans leurs prévisions ces réalités propres à l’Afrique, finissent souvent par imposer aux projets des surcoûts et des délais additionnels voire des arrêts récurrents et coûteux.
Dans la conception du design et de la charpente du projet, plusieurs entreprises peuvent être désignées ; ceci complique souvent la situation et occasionne des pertes de temps considérables. Le choix de l’équipe dirigeante de projet et son rôle dans la mise en œuvre sont très déterminants et s’avèrent être le moteur du projet et le facteur le plus important dans la maîtrise des coûts et l’achèvement du projet dans les délais. Paradoxalement un projet bien ficelé ayant à sa tête une équipe incompétente ne sera pas réalisé à temps, ne respectera pas les coûts et la qualité.
Inversement, un projet bien conçu, piloté par une équipe compétente et expérimentée a de fortes chances d’être achevé dans les délais, en honorant la qualité et les coûts assignés. Certains facteurs clés sont connus d’avance pour être des bombes à retardement et des freins non négligeables à la réussite des projets; entre autres on peut citer:
une mauvaise planification et coordination des activités;
une mauvaise conception et des erreurs de design;
une communication insuffisante et mal établie.
Force est de constater que rares sont les projets qui se réalisent dans les délais impartis et nombreux sont ceux qui subissent une transformation partielle ; cela induit des coûts supplémentaires que les actionnaires sont tenus de couvrir. Ce risque est très présent en Afrique de l’Ouest et les Etats africains dans leur ensemble, peinent aujourd’hui à élaborer des mesures d’auto-prévention d’une part, et de remédiation d’autre part. En attendant que les Etats concernés s’engagent dans une réelle volonté de mener des études sérieuses pour circonscrire le phénomène, force est de constater que la sévérité de ce risque dénommé «changements de conception et spécifications erronées» pourrait impacter significativement sur bon nombre de projets et programmes du fait de leur vulnérabilité et de leur degré d’exposition.
Conclusion:
Avec la globalisation de l’économie et l’internationalisation des projets, on assiste depuis un certain temps à une réflexion profonde sur la nécessité d’adopter des systèmes prudentiels de gestion des risques. Les dernières crises financières et économiques et les nombreux dérapages de coûts et de délais des grands projets ont accéléré les recherches sur ce domaine. Aujourd’hui, le constat est alarmant car rares sont les projets qui ont échappés à ce potentiel risque imposant ainsi à nombre d’entre eux de profondes et coûteuses transformations;ce qui finit toujours par induire des surcoûts qui à leur tour, impactent la rentabilité de ces projets.
Par conséquent la mise en place de tels systèmes de gestion revêt donc un intérêt majeur afin d’une part d’identifier, d’analyser et d’évaluer les potentiels facteurs de risques contenu dans les grands projets, susceptibles d’atténuer leurs rendements et d’autre part de proposer des mesures d’atténuation afin de minimiser leurs degrés d’impact s’ils s’avèrent être inévitables.
De plus, les dérives récurrentes de certains grands projets en termes surtout de délais et de coûts, ont renforcé les exigences des bailleurs et promoteurs en termes d’évaluation des risques de projet, ce qui oblige les managers de projets et autres parties prenantes à évaluer avec plus de finesse et de délicatesse les risques encourus.
En résumé, un projet mal conçu, c’est-à-dire dont les premières études de faisabilité sont inadéquates et impartiales, nécessitera impérativement à ce qu’on procède à des modifications au niveau de l’ingénierie et de la conception pour le réadapter. Alors inévitablement des coûts supplémentaires seront engagés en termes de matériaux, d’ingénierie, d’appels d’offres, d’équipement, de main-d’œuvre. Dés lors que les coûts réels deviennent apparents, les promoteurs du projet sont tenus et dans l’obligation de faire appel à des capitaux additionnels afin de les couvrir, ce qui finit par détériorer la rentabilité du projet et de retarder son délai de livraison.
C’est dire alors en définitive que, l’optimisation, le rendement, la rentabilité et le retour sur investissement attendus des grands projets d’infrastructure, dépendent étroitement de la justesse, de la fiabilité et de l’efficacité des systèmes de gestion de risques à mettre en place.
Ph.D., Doctorant Chams Dine NDIAYE, en Responsabilité Sociale de Projet
Ph.D., Doctorant Papa Momar Fatime AW, en Sociologie de Grands Projets
Pr. Hamdouraby SY, Ph.D., Professor of Risk Management
CASR 3PM ACADEMY®_ RISK _INSTITUTE® N°04_RI5_JUIN_2017/ www.casr3pm.sn