Dakarmidi – La question de la brèche de Saint-Louis est souvent abordée dans la presse ou discutée dans le monde politique. Chacun y va de ses spéculations et de ses propositions. Dans cet article, nous voulons rétablir la vérité sur la brèche de Saint-Louis et revenir sur les solutions préconisées à l’époque qu’il urge d’appliquer aujourd’hui pour sauver Saint-Louis
1. A l’origine de la brèche
Profondément préoccupé par l’érosion de la côte atlantique sur toute sa longueur, le Président Wade avait d’abord réalisé à la Résidence de Popenguine, à titre d’illustration, un mur de deux kilomètres de long, 40 cm de large et trois mères de profondeur dans la mer, à la limite du plateau continental. Pour un projet plus important et ailleurs, la profondeur du mur dépendrait du niveau auquel on allait atteindre la roche imperméable du plateau continental qui existe dans tous les cas.
Le Président Wade voulant avoir l’opinion d’un grand expert sur le mur fit appel à la SOMAGEC, une entreprise marocaine spécialisée dans les infrastructures portuaires qui avait réalisé un travail de reconquête de centaines de mètres sur la mer au Maroc, à Casablanca précisément, en vue de l’extension de la ville.
Les dirigeants de la SOMAGEC vinrent à Dakar, visitèrent Popenguine et apprécièrent positivement le travail déjà fait, émirent quelques suggestions, notamment l’aménagement de quelques trous transversaux dans le mur pour des soucis de stabilité, ce qui fut fait.
Il fut ensuite demandé à cette société de se rendre à Saint-Louis pour donner un avis sur une idée du Président Wade qui consistait à créer, au niveau de Dagana, au sommet le plus élevé de la boucle du fleuve, au Nord et avant son entrée à Saint-Louis, un déversoir des excédents d’eau du fleuve en Mauritanie vers la baie d’Argain, ce qui permettrait, du même coup, de mettre en valeur les terres mauritaniennes traversées.
Le Président Wade, avant de porter cette question au Sommet des Chefs d’Etat de l’organisation s’en ouvrit au Président Taya, Président de la Mauritanie, qui déclara que c’était la première fois qu’il entendait cette suggestion d’une brèche au Nord du Fleuve, qu’il trouvait excellente l’idée et qu’il la soutiendrait.
Il fut alors demandé à la SOMAGEC d’aller examiner cette proposition sur la boucle Nord du Fleuve et, en même temps, donner un point de vue sur les menaces qui pesaient sur la commune de Saint-Louis à partir de la Langue de Barbarie.
Les responsables de la SOMAGEC se rendirent à Saint-Louis mais, au lieu de se limiter à donner un avis, considérèrent qu’il s’agissait d’un problème mineur, sans menace réelle et prirent sur eux la décision d’élargir la brèche sud. Sauf erreur, c’était en présence de responsables et techniciens de l’OMVS qui confirmèrent par la suite que ce qu’avait fait la SOMAGEC ne pouvait pas constituer un danger pour la ville de Saint-Louis.
Tout ceci nous amène à penser que les causes l’élargissement actuel de la brèche, au-delà de ce qu’avait fait la SOMAGEC, devraient être recherchées ailleurs.
D’abord la brèche existe probablement depuis des millénaires.
Ensuite le péril de la mer n’existe pas qu’à Saint-Louis. Cette question écologique de l’érosion marine doit être considérée à l’échelle continentale, voire au-delà.
Le Président Wade avait l’habitude de dire que le problème de l’érosion marine de la côte ouest au Sénégal n’était pas un problème sénégalais mais africain. Il concerne tout le continent. Il existe au Maroc, tout le long de la côte mauritanienne, en Gambie où la capitale Banjul est devenue pratiquement une île, en Sierra Leone, en Côte d’Ivoire, dans tout le Golf du Bénin où l’eau de mer pénètre sous le plateau continental parfois sur plusieurs kilomètres, au Ghana, au Togo, au Bénin, au Nigéria etc.
C’est pourquoi, au Sommet de Kananaskis au Canada, en juin 2002, après avoir exposé l’expérience positive d’arrêt de l’érosion marine à Popenguine au Sénégal, sur une petite distance il est vrai, il proposa l’étude de sa généralisation sous le nom de MUR DE L’ATLANQUE qui devait être entreprise ensemble par les trois partenaires qui souffrent des mêmes maux :
– l’Afrique sur la Côte Occidentale de l’Atlantique,
– l’Europe dans le Golfe de Gascogne, la Côte Ouest de France et dans sa partie Nord,
– les Etats-Unis avec la Floride et New Orleans sur la Côte Est.
Pour le Président Wade, la solution devait se trouver en amont de Saint-Louis, sur le fleuve Sénégal, avec notamment le dragage du fleuve et la construction d’un port à Saint-Louis.
2. Les solutions préconisées
La 13ème Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de l’OMVS, tenue à Nouakchott le 21 mai 2003, a défini un cadre d’Orientation Stratégique dans lequel sont précisés les objectifs stratégiques de l’organisation. Le Président Macky SALL était particulièrement imprégné puisque, à l’époque, il était Ministre en charge de l’OMVS (mai 2001-Août 2003) avant de devenir Premier Ministre (2004 à 2007).
Sous l’impulsion des chefs de l’Etat de l’OMVS, un programme appelé SITRAM (Système Intégré de Transport Multimodal), axé sur la réalisation d’infrastructures fluviales et routières, fut défini.
Pour la mise en œuvre du dit projet, l’OMVS avait identifié trois étapes :
– étape 1 : lancement d’une navigation saisonnière sur le chenal naturel du fleuve
– étape 2 (étape intermédiaire): réalisation de travaux d’aménagement partiel (chenal navigable, escales portuaires, port d’Ambidédi) et lancement d’une navigation fluviomaritime par cabotage et sans rupture de charges à Saint-Louis
– étape 3 (étape finale) : construction du port de Saint-Louis dans ses dimensions définitives et réalisation des travaux complémentaires d’approfondissement du chenal navigable et ceux au niveau des ouvrages portuaires.
En 2012, au moment où le Président Wade quittait le pouvoir :
– l’étape 1 était en cours d’exécution ;
– la SOGENAV (Société de Gestion et d’Exploitation de la Navigation) était créée, les textes d’application du Code International de la Navigation et des Transports sur le fleuve adoptés et les résultats et recommandations de l’étude organisationnelle mis en œuvre ;
– une table ronde des Partenaires au Développement, dédiée à la mobilisation des financements nécessaires au SITRAM, fut organisée avec succès. Les annonces faites par les bailleurs de fonds allèrent au-delà des espérances avec trois cents cinquante millions de dollars soit 168 Milliards de FCFA qui couvraient toutes les composantes du SITRAM. Les services de l’OMVS finalisaient avec les différents partenaires, les montages financiers et les travaux préparatoires. Les discussions avec la Banque Islamique de Développement et la Banque Mondiale étaient très avancées et avaient permis d’établir un plan d’affectation des financements.
A la date d’aujourd’hui, en principe, le port de Saint-Louis aurait dû être construit comme étape ultime du programme défini par les Chefs d’Etat de l’OMVS. Nous n’avons pas les réponses sur les lenteurs.
A la date d’aujourd’hui, il s’agit de hâter :
1. la construction du Port de Saint-Louis à l’embouchure, sur la rive gauche, face à la brèche, ce qui devait comprimer la brèche dans ses limites définitives en faisant l’entrée du port ;
2. le dragage du fleuve à partir de Saint-Louis et en amont pour recevoir plus d’eau, des plates-formes et des ports devant être construits sur les accotements, d’un côté et de l’autre, tout le long du fleuve ;
3. l’utilisation des sables extraits du dragage et de la construction du port, ceux que la SOMAGEC proposait de prendre à l’Océan, pour renflouer les plages de Saint louis et gagner du terrain sur la mer, comme cela a été fait à Casablanca par le Maroc et se fait sous nos yeux dans les Emirats.
3. Pour conclure
Ce qu’il faut, c’est la volonté politique. Pour le Président Abdoulaye Wade, « les ressources humaines et financières existent. Il faut aller les chercher là où elles sont ».
Ce qui vient d’être dit indique clairement la solution qu’il faut:
1. Porter en urgence le dossier au Sommet des Chefs d’Etat de l’OMVS pour accélération de décisions prises depuis plus de dix ans
2. Faire appel à une société comme la SOMAGEC, société marocaine expérimentée qui avait été déjà pressentie et connait bien la question, notamment l’extraction de sables en mer pour reconstituer et renforcer la côte.
Bien entendu, il s’agit de très grands travaux, mais qui n’ont rien d’exceptionnel puisqu’ils ont été faits ailleurs et se font encore sous nos yeux.
Nous ne devons plus perdre du temps. Le chemin de la solution est tout tracé. Au lieu de lever les bras au ciel et de nous lamenter, nous devons reconnaitre qu’il s’agit d’un phénomène écologique mondial qui ne relève d’aucune autre responsabilité que celle de la nature. Et nous engager, hic et nunc.
Oumar SARR
Ancien Ministre d’Etat, Ministre en charge de l’OMVS en 2012