Dakarmidi – Depuis la publication de la vidéo de la journaliste de CNN sur la vente aux enchères de migrants subsahariens et l’esclavage en Libye, l’indignation est grande au sein de la jeunesse et la société civile africaines. Mais une réaction forte, ferme et plus virile combinées aux mesures d’urgence de la part des dirigeants africains se font toujours attendre. On ne peut pas rester dans son palais pour dire : « on est indigné », «on condamne», «ça doit cesser», «on demande des clarifications à la Libye ». Cela est largement insuffisant. Des enquêtes exigées aux autorités libyennes oui, mais comment pensez-vous que la Libye qui est au banc des accusés dans cette affaire puisse mener une enquête impartiale dans un scandale où elle est indexée ? Pourquoi ne pas mettre également sur pied une commission d’enquête internationale composée d’experts de l’Union africaine de l’Onu, etc. ?
C’est à croire que vous dirigeants africains, qui n’avez rien fait depuis que l’on parle de vente de migrants en Libye, ne ferez rien de significatif maintenant, en dépit de cette pièce à conviction supplémentaire qu’est la vidéo de CNN à la disposition du public et à votre disposition. Car en effet, il faut le rappeler, c’est depuis plusieurs moins que des organismes onusiens ont fait état de vente aux enchères de migrants en Libye. Mais cela n’a pas semblé émouvoir personne.
D’ailleurs l’on réagit à cette vidéo de CNN comme si c’était nouveau, comme si on entendait parler pour la première fois. Du 9 au 10 novembre, France 2 dans son avant dernier numéro du magazine «Complément d’Enquête» avait relaté toute la cruauté que les milices font subir aux migrants en dehors du fait de les vendre et revendre plusieurs fois.
L’OIM et le HCR ont lancé l’alerte depuis avril dernier
Quelques mois plus tôt, au courant du mois d’en avril 2017, l’Organisation mondiale pour les migrations (OIM) avait clairement fait état de l’existence dans le sud-ouest de la Libye d’un marché à ciel ouvert de vente de migrants avec l’aide de ressortissants ghanéens et nigérians. «En allant sur ce marché, vous pouvez acheter pour 200 à 500 euros un migrant qui vous aidera chaque jour dans votre travail. Une fois achetée, cette personne vous est remise, et elle passe sous votre responsabilité. Beaucoup s’enfuient, beaucoup sont maintenus attachés, alors que d’autres sont prisonniers dans un espace où chaque jours ils sont forcés de travailler », avait dit Othman Belbeisi, le chef de mission de l’OIM en Libye. Le 04 mai, l’OIM a publié a publié un article sur son site intitulé ‘’L’OIM découvre des «marchés aux esclaves» qui mettent en péril la vie des migrants en Afrique du Nord’’, l’on explique en détail l’étendue du crime avec des données chiffrées. Est-ce que ces différentes informations personne ne les avaient vues ?
En sus, dans la même période, en avril 2017, Zeid Ra’ad Al Hussein, le Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’Homme avait maintes fois dénoncé cette même situation des migrants en Libye. M. Al Hussein avait jugé «inhumaine» la coopération de l’Union européenne avec ce pays. Le 05 mai dernier, franceinfo a aussi publié un article sur ce marché d’esclaves intitulé «La Libye : un «marché aux esclaves» pour des migrants qui rêvent d’Europe». Par conséquent, dès lors qu’une source comme l’OIM fait de telles révélations, on ne devrait même pas attendre un documentaire de France 2 ou la vidéo de confirmation de CNN, entre autres sources, avant de prendre le dossier en main et ouvrir des enquêtes.
Aujourd’hui avec cette pièce à conviction, jusque-là, on n’a eu droit qu’à un tweet du président nigérien Mouhamadou Issoufou le 16 novembre pour s’indigner, d’un communiqué extrêmement timoré d’Alpha Condé, président de la Guinée et président en exercice de l’Union africain le 17 novembre. Et que nous dit M. Alpha Condé ? Comme d’habitude l’Union africaine «condamne». Après Alpha Condé on a aussi un communiqué du ministre des affaires étrangère du Sénégal dans le même ton et quasiment le même le style.
Or, vu de la gravité de la situation, Alpha Condé, en sa qualité de président de l’Union africaine, on attend de lui un message plus ferme envers la Lybie. Mais au lieu de ça, voici l’essentiel du contenu de son communiqué d’à peine 8 lignes sur un ton très conciliant «L’Union Africaine, exprime son indignation face au commerce abject de migrants qui prévaut en ce moment en Libye et condamne fermement cette pratique d’un autre âge. L’Union Africaine invite instamment les autorités libyennes à ouvrir une enquête, situer les responsabilités et traduire devant la justice les personnes incriminées. Elle invite parallèlement les autorités libyennes à revoir les conditions de détention des migrants. Ces pratiques modernes d’esclavage doivent cesser et l’Union Africaine usera de tous les moyens à sa disposition pour que plus jamais pareille ignominie ne se répète. Notre force, c’est notre humanité. Sachons la garder». Voici à quoi ressemble le message d’indignation de l’Union africaine porté par son président.
Face à l’urgence, Alpha Condé attend de consulter ses vice-présidents
Dans son entretien sur la chaine panafricaine Vox Africa, M. Alpha Condé, président de l’Union africaine, dit qu’il va consulter ses 5 vice-présidents avant de prendre une décision. Mais pour combien de temps ? Pendant ce temps, les Africains continueront d’être torturés, vendus et revendus. C’est scandaleux !
Face à un tel crime ce qu’on attendait de nos dirigeants, ce sont des réactions viriles et multiples. Il faut que l’Etat libyen sente la pression et arrête au plus tôt cette bêtise humaine. On a appris ces dernières heures que les autorités libyennes ont ouvert une enquête. Mais la pression ne devrait pas s’arrête. Par ailleurs, il faut une autre enquête indépendante non commandée par Tripoli.
Dans l’urgence qu’est-ce qu’il est possible de faire ? C’est de commencer à penser des stratégies pour le retour de ces migrants chez eux. Au vu de ce qu’ils ont subi, on doute que ces migrants sortent juste de l’esclavage et accepte de rester sur le sol libyen. L’Etat libyen devait assister une mission de l’Union africaine pour visiter les camps, recenser tous les migrants sur son sol.
Une fois cette étape passée, il faut que nous dirigeants affrètent des vols spéciaux en Libye pour ramasser tous les Africains qui s’y trouvent et ramener chacun dans son pays d’origine. Ensuite c’est de réfléchir à comment panser leurs plaies physiques, psychologiques et sociales. Et enfin, chaque Etat devrait penser des politiques adaptées qui permettent de fixer les jeunes dans leurs pays et faire une vaste compagne de communication pour sensibiliser les jeunes sur les risques de ce voyage périlleux.
En tout cas ce crime, en 2017, scandalise tout africain sens et ce devrait être le cas pour tout être humain. Les jeunes africains sont révoltés et en colère. La communauté noire est indignée. Dans la foulée de cette indignation collective, la star ivoirienne du reggae, Alpha Blondy a fait une vidéo pour crier, lui aussi, sa colère en appelant les Africains à se mobiliser dans toutes les capitales du monde et à assiéger les ambassades libyennes. C’est une excellente réaction.
Claudy Siar revit la tragédie de ses ancêtres, déchiré au plus profond de lui
Alpha Blondy a également appelé les dirigeants africains, notamment ceux de la CEDEAO et de l’Union africaine à agir sans attendre. Claudy Siar, activiste de la cause du continent, descendant d’esclave a pour sa part, crié toute sa colère et sa rage dans une vidéo qui donnent des frissons. Claudy qui a l’impression de revivre le cauchemar de ses ancêtres, choqué face à l’inaction des dirigeants, des intellectuels et des journalistes africains face à une telle cruauté humaine. Mais jusque-là la majorité de nos présidents restent aphones. Et cela suscite des interrogations. Pourquoi il n’y a pas de réaction ferme à l’endroit de Tripoli ?
L’on sait que du vivant du colonel Mouammar Kadafi, la Libye était le plus grand contributeur au budget de l’Organisation supranationale, l’Union africaine (UA). Tripoli y contribuait à hauteur de 15% au budget total de l’UA.
En outre, la Libye a fait plusieurs investissements dans les pays d’Afrique de l’Ouest, notamment au Mali, au Sénégal, en Guinée, au Bénin, etc. On connait les stations Oilibya, la banque sahélo-saharienne, les complexes hôteliers à Bamako à l’initiative de la Libye de Kadhafi. Est-ce peut-être pour toutes ces raisons l’Union africaine, la CEDEAO ou les chefs d’Etat individuellement n’osent pas hausser le ton contre la Libye dans ce dossier d’une telle gravité? Maintenant c’est la jeunesse africaine et à la société civile de répondre massivement à l’appel lancé par Alpha Blondy. Cela aura au moins le mérite de mettre mal à l’aise ces chefs d’Etat.
Par Nöel SAMBOU