Dakarmidi – Lorsque vous ne disposez plus que de la « légalité » (avec tout ce qu’elle recèle en termes de violence et d’arbitraire) face à la « légitimité » (dans sa dimension doublement radicale et transcendante), vous êtes forcément en position de faiblesse. Mais avisez-vous de passer à l’acte en mettant en branle la première contre la seconde, et vous apprendrez, à vos propres dépens, nécessairement, que seules la vérité a de la force, la raison de l’autorité et la justice du pouvoir. C’est que vous aurez découvert, immanquablement, que « vaincre en scélérat, ce n’est pas vaincre, mais être vaincu ».
Aussi, le Premier ministre espagnol, Mariano Rajoy, gagnerait-il à s’approprier cette maxime de son illustre ancêtre, le jésuite Baltasar Gracian, dans son bras de fer avec le Président de la Catalogne, Carles Puigdemont. Il épargnerait alors, certainement, à son Gouvernement l’épithète, sinon l’épitaphe, de « régime le plus stupide » de l’Espagne démocratique. Sauf qu’il eût fallu, pour cela, que le Premier ministre espagnol se souvînt que les Autorités franquistes avaient rêvé jadis, en vain, de réduire la Catalogne à sa plus petite expression géographique et le catalan à un simple dialecte, un patois ; que le Statut d’autonomie de la Catalogne constitue à tout jamais le « fondement juridique de la Communauté catalane » (celui-ci étant en soi dorénavant un droit acquis, qui plus est de longue lutte) ; que ce Statut d’autonomie est par excellence « l’expression de l’identité collective de la Catalogne, qui définit ses institutions et ses relations avec l’Etat (espagnol) » ; et qu’en tant que tel, il vise à l’autogouvernement de la Catalogne.
D’autres préféreraient plutôt le terme d’autodétermination. Ainsi, le Statut d’autonomie est-il « la règle institutionnelle fondamentale » de la Catalogne, du reste opposable à l’Etat espagnol. De sorte que le caractère scélérat de l’article 155 de la Constitution espagnole, qui prévoit une possible mise sous tutelle des autonomies, fait fort justement de celui-ci une disposition constitutionnelle à ne jamais appliquer, sous peine de provoquer, de fait, l’indépendance. En l’occurrence l’indépendance de la Catalogne.
Autrement dit, la Constitution espagnole ayant structuré et organisé l’Espagne selon le système des autonomies, le recours, même partiel, à cet article entraînerait, non seulement l’extinction de l’autonomie de la Catalogne, mais également son exclusion de l’Espagne des autonomies. Nous apprenons, hélas, à l’instant même où nous écrivons ces lignes, que le Premier ministre espagnol a mis à exécution sa menace de suspension du Statut d’autonomie de la Catalogne.
Il convient donc de constater, pour devoir l’admettre, la mort dans l’âme s’il en est besoin, que, avec la calamiteuse gestion de la crise en cours de la part de Monsieur Mariano Rajoy, l’indépendance de la Catalogne n’est plus qu’une question de temps, même si, pour l’heure, les seuls soutiens officiels en faveur d’une Catalogne indépendante proviennent de pays non-indépendants. Gageons, tout à propos, que, malgré ses douloureuses tergiversations du moment, l’Union Européenne n’abandonnera jamais la Catalogne indépendante. Au demeurant, aussi curieux que cela puisse paraître, des photos circulent sur la Toile, qui attesteraient de la présence affichée et opportuniste (mais guère opportune parce que contreproductive à tous égards) d’indépendantistes casamançais émérites aux côtés du leader catalan Carles Puigdemont, lors de la campagne référendaire précédant le référendum du 1er octobre 2017 sur l’indépendance de la Catalogne.
Si lesdites photos sont authentiques, nos indépendantistes casamançais émérites – qui se déclarent par ailleurs farouchement opposés à une « Casamance autonome dans un Sénégal des autonomies », parce que favorables à la guerre totale jusqu’à l’indépendance de la Casamance – ont dû en obtenir pour leurs frais, qui en rentrant en Suisse, qui en Allemagne, qui en France, avec notamment des baluchons tout remplis d’enseignements politiques. Mais ils seraient bien inspirés de descendre en hâte au pays, particulièrement pour y défendre « leur » cause, à nos côtés, y compris surtout contre nous et la vision politique dont nous sommes porteurs.
Dakar, le 21 octobre 2017.
Jean-Marie François BIAGUI
Président du Parti Social-Fédéraliste (PSF)