La chronique de Ballé PREIRA
Le franc CFA, mille batailles ! Que dire de plus qui n’ait été déjà abondamment rabâché par les experts et les profanes sur cette brûlante et spéculative polémique ? ! Cette monnaie cogérée avec la France que nous utilisons tous les jours dans nos transactions économiques et sociales et qui a plus de 70 ans, plus que nos indépendances, donc.
Le Franc CFA (Communauté financière africaine pour les pays ouest africains de l’UEMOA et Coopération financière africaine pour ceux de l’Afrique centrale avec la CEMAC) est un sigle devenu acronyme hérité du Franc des Colonies Françaises d’Afrique.
Le Franc CFA est aujourd’hui lié à l’euro par un système de parité fixe (1 euro égal à 655.957 FCFA) et bénéficie ainsi d’une garantie de convertibilité assurée par le Trésor public français. En contrepartie, les Etats africains sont tenus de déposer dans des comptes d’opérations ouverts au Trésor français 50% de leurs réserves de changes (la BCEAO et la BEAC ont chacune un compte d’opérations).
Disons-le tout net et d’emblée avant d’aller plus loin. Le FCFA a pris un coup de vieux et mérite une cure de jouvence pour ne plus être un anachronisme, une survivance du legs colonial avec certes ses points forts (stabilité monétaire et inflation maîtrisée) mais aussi ses faiblesses (marge de manœuvre étroite en tant que levier de politique économique à côté du levier budgétaire). L’incinération en public à Dakar d’un billet de 5.000 FCFA par le Franco-Béninois Stellio Capo Chichi, alias Kémi Séba, a enflammé l’espace public et notamment la médiasphère. Il a fait l’objet de poursuites judiciaires avant d’être relaxé en première instance par le tribunal et expulsé du Sénégal par le Gouvernement vers la France pour risque de troubles à l’ordre public.
Faut-il brûler le FCFA ?
Chaque camp en profite pour brandir ses arguments en faveur du maintien ou non de la monnaie « franco-africaine » nous mettant devant un dilemme cornélien. Faut-il sortir de la zone CFA constituée, en réalité, de deux blocs monétaires que sont l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine) avec ses 8 pays et la CEMAC (Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale) et ses 6 pays et les îles Comores, soit 15 pays ? Le cas échéant, ne risque-t-on pas de tomber dans un chaos monétaire ? Les avis sont radicalement opposés.
Pour l’ancien Doyen de la Faculté des sciences économiques et de gestion de l’Université Cheikh Anta DIOP, Ahmadou Aly Mbaye et ses collègues, Ibrahima Thione Diop et Fatou Guèye, “les indicateurs financiers récents des pays de la zone Franc ne sont pas toujours plus mauvais que ceux des pays africains non-membres”, contrairement à ce qu’avancent souvent les tenants de l’abandon du CFA. Pour eux, “le niveau de crédit bancaire à l’économie, rapporté au PIB, était plus élevé, en 2015, dans beaucoup de pays de la zone franc que dans des pays non-membres. Il en est de même pour le niveau d’inflation, “contenu dans des limites ne dépassant pas 3 % grâce à la discipline monétaire propre à l’organisation de la zone Franc.
Ces arguments sont balayés d’un revers de la main par l’économiste Dr Ndongo Samba Sylla, chercheur à la fondation Rosa Luxemburg, pour qui « le franc CFA n’a pas favorisé le développement économique des pays qui l’ont en partage (…) Sur les 11 pays en bas du classement mondial 2015 de l’Indice de développement humain, 6 sont des pays de l’espace FCFA. On ne peut pas dire que le franc CFA ait favorisé l’intégration commerciale du continent. En 2014, les échanges commerciaux au sein de la zone Franc se situaient à moins de 10% du total des exportations et des importations des pays membres. Les pays de l’espace FCFA souffrent d’un déficit chronique de crédits bancaires. Le ratio crédits bancaires à l’économie/PIB est de l’ordre de 25% en zone UEMOA et de l’ordre de 13% en zone CEMAC alors qu’il se situe en moyenne à plus de 60% pour l’Afrique subsaharienne, 100% en Afrique du Sud, etc. ».
CFA, pour un débat Franc !
Aujourd’hui, une chose est au moins sûre, il nous faut dépasser le statu quo et engager des discussions sérieuses sur le FCFA et nos accords monétaires avec la France et l’Europe, loin de la clameur publique et des coups d’éclat. Sans passion inutile, ni faiblesse coupable pour défendre au mieux nos intérêts.
Comme le suggère le professeur d’économie Felwine Sarr, de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis et auteur d’Afrotopia, « un débat allant au-delà de la simple dénonciation et portant sur les diverses options envisageables ; leurs avantages et leurs coûts, leur faisabilité, les horizons temporels dans lesquels ces options pourraient être inscrites ; bref, une réflexion sur les différents arbitrages possibles, avec comme objectif ultime l’intérêt de nos économies. Et plus largement encore, un débat de fond portant sur la manière de rendre nos économies fortes, en pointant toutes leurs faiblesses structurelles et les moyens d’y remédier, et enfin, honnêteté intellectuelle oblige, éviter de faire croire à nos opinions publiques que si le franc CFA disparaissait demain, toutes nos difficultés seraient comme par enchantement résolues ».
Des assisses ou états généraux scientifiques et techniques avec les experts mais aussi politiques avec les décideurs pour dissiper les tergiversations et hésitations. La perspective de passer vers une monnaie commune de la CEDEAO, appelée ECO, a été plusieurs fois repoussée depuis 2003. Le dernier report en date est celui annoncé au mois d’août nous renvoyant de 2020 à 2027 ou 2030. Certes, il ne faut pas confondre vitesse et précipitation mais cela rassure peu sur notre volonté et notre capacité de battre notre propre monnaie et de retrouver une souveraineté accrue pour conduire notre développement.
Mais attention, il ne faudrait pas penser que tous nos problèmes découlent de la « servitude monétaire ». Ce serait lâcher la proie pour l’ombre. En réalité, la question monétaire n’est que l’arbre qui cache la forêt de nos chantiers en matière de bonne gouvernance. Il nous faut nous retrousser nos manches pour lutter contre la mal gouvernance en Afrique par un système d’éducation et de formation plus endogène mais ouvert sur le monde, une agriculture plus productive arrimée à une industrie plus développante qui est tirée par un secteur tertiaire dynamique qui crée de nombreux emplois dans les services, l’économie numérique afin de lutter efficacement contre le chômage endémique des jeunes et l’émigration irrégulière vers un eldorado hypothétique.
CFA, C’est Fa…tal ou c’est Fa…buleux ?
Ce serait un énorme service rendu à l’Afrique, berceau de l’Humanité, qui le sortirait de son infantilisme économique et politique en entamant résolument un processus de maturation apte à faire du continent une véritable terre d’avenir après avoir été un terreau fertile du passé.
Ce travail ne pourra pas se faire de manière isolée. Nous vivons un monde de plus en plus globalisé qui nécessite des échanges et une collaboration avec les autres. Aucun pays ou continent ne peut plus vivre de manière viable et durable en autarcie. Les pays ont des besoins mutuels. A charge pour chaque pays de trouver le meilleur parti de ce jeu d’intérêts individuels et collectifs croisés sans perdre son âme. Renforcer ses avantages comparatifs par le jeu d’interdépendances assumées et responsables. Il nous faut donc plus de souveraineté dans la gestion de la monnaie, de l’économie, des médias, des langues, de la sécurité, de l’éducation, de la santé, etc. sans renoncer toutefois à la nécessaire coopération aux apports réels et fécondants.
Il ne faudrait pas que l’on jette le bébé avec l’eau du bain et plonger dans le vide au nom d’une indépendance stérile et désincarnée. La liberté sans la responsabilité est nuisible. Des pays-continents comme la Chine et l’Inde ont pu tirer leur épingle du jeu en s’adossant sur leurs forces internes mais en bénéficiant de connaissances et technologies de pays antérieurement plus avancés. Nous n’avons pas besoin de réinventer la roue du développement pour faire vivre une Communauté de la Fierté Africaine.
Ballé PREIRA
souye76@gmail.com