Dakarmidi – « La justice n’est pas une vertu d’état », a dit fort à propos un célèbre penseur de l’Antiquité. Il ne croyait pas si bien dire, ce visionnaire, tant ce constat semble s’appliquer au Sénégal, au vu de la manière dont marche notre justice.
Je ne dédouane pas le Procureur, mais quel autre discours aurait-il pu tenir, si l’on sait qu’il est un magistrat debout, représentant officiel du ministère public, ou pour dire toute la vérité du régime puisqu’il est sous la coupe du Ministre de la justice dont il reçoit les instructions ?
Retenons aussi que n’importe quel citoyen est fondé à le saisir, et qu’Ousmane Tanor Dieng était dans son droit, quand il faisait appel à lui, suite aux événements de la Maison du Parti socialiste.
Selon les dires du Procureur, c’est le magistrat instructeur qui maintient Bamba Fall et les autres en détention, dans le cadre de son instruction. C’est cela qu’il faut dénoncer, car un maire est un magistrat, et il n’y a aucune raison de le maintenir en détention pour quelque prétexte que ce soit. Bamba Fall offre effectivement toutes les garanties de représentation qui puissent lui valoir une libération sous contrôle judiciaire pour le moins, d’autant plus qu’il n’y a aucun prétexte de risque de troubles à l’ordre public qu’on pourrait lui coller en plus. Et cela s’applique aussi à ses codétenus.
Le combat pour la justice est un engagement que tout citoyen sénégalais doit mener, car la justice est l’ultime recours des faibles, et le contre pouvoir à la toute puissance des riches et autres hommes politiques. C’est d’ailleurs pourquoi Aristote affirmait en son temps que « le droit est, pour chaque citoyen, un héritage plus précieux que l’ensemble des autres biens qui lui ont été transmis par ses ancêtres » ! Allez demander à ceux qui ont été spoliés de leurs terres ancestrales. Ce seul exemple suffit.
L’urgence d’une réforme de notre système judiciaire ne s’est jamais posée avec autant d’acuité, car, au vu des nouvelles exigences démocratiques en termes de bonne gouvernance, de reddition des comptes, de respect des libertés et sauvegarde de la paix sociale par un renforcement de la démocratie, nous ne pouvons en faire l’économie, au risque de conduire notre pays vers le chaos.
« Une nation périclite quand l’esprit de justice et de vérité se retire d’elle » en effet.
Beaucoup de sénégalais s’identifient de plus en plus aux victimes désignées du régime, et leur ressentiment se cristallise sur la justice par le fait qu’elle semble être désormais le bras armé du régime, pour biaiser les règles du jeu démocratique.
Il faut éviter que ce sentiment grandissant n’infuse davantage dans la société.
Les conséquences d’une telle situation pourraient être pire qu’un 23 juin.
Les magistrats doivent pouvoir trouver le cadre approprié pour s’exprimer et défendre le pouvoir judiciaire qu’ils sont censés incarner. Car demain, ils ne pourront pas se laver les mains de ce qu’il adviendra de cette montée de tension à laquelle ils ne sont pas étrangers, au vu du discours incendiaire du Procureur Bassirou Gueye, qui se trompe de destinataires.
Car si les magistrats sont si vertement critiqués, c’est bien parce que le régime à travers le Ministère de la justice les expose à la vindicte populaire, en leur octroyant le mauvais rôle.
Que ces magistrats se rappellent donc qu’ils rendent la justice au nom du peuple sénégalais selon les lois et règlements de la République. Et alors, ils comprendront qu’il est normal que le peuple leur demande des comptes à propos de la justice qu’ils sont censés leur appliquer, et qu’ils ne semblent servir que suivant les orientations du régime de Macky Sall.
C’est loin d’être faciles pour eux, je l’ai dit par ailleurs. Mais c’est justement parce que c’est difficile pour eux qu’ils doivent trouver par eux-mêmes les solutions aux multiples contradictions qui les empêchent d’affirmer leur indépendance, et de renouer avec le peuple.
Le Président Macky Sall et son régime sont interpellés. La justice est le socle de la démocratie, et de la stabilité nationale.
L’urgence de sa réforme en profondeur n’est plus à démontrer surtout que les plus forts remous qui l’ont secouée dernièrement sont le fait de ses premiers acteurs : les magistrats.
Il convient d’en préserver toute la crédibilité. Sinon c’est tout le monde qui y perdra.
Cissé Kane NDAO
Président A.DE.R