Dakarmidi – Ce mardi 8 Novembre 2016, le portail «Dakaractu» a publié un reportage vivant réalisé dans la localité de Ourossogui après l’alerte sur la présence de 04 présumés terroristes dans le village de Tiguéré intitulé : «Présumés djihadistes à Matam : Le Gouverneur menace – Qui parle à la presse est radié : Les américains prennent leurs dispositions…. Retour sur une scène surréaliste avec le Gouverneur». Ce bel article qui nous a inspiré cette réflexion, a le mérite de mettre à nu d’innombrables failles organisationnelles révélatrices du manque de rigueur et d’esprit d’alerte dans le Cadre régional de coordination des opérations de lutte anti-terroriste (CRCO) dirigé par le Gouverneur de Matam. Osons le dire dès maintenant. Cette cacophonie renversante autour des 04 présumés terroristes, prouve que l’implication des média nationaux dans la gestion intelligente de l’information qui touche la sécurité nationale, est une exigence d’utilité publique.
Dans les colonnes du site, nous lisons :«Ce serait loin d’être exagéré de dire que la presse de Matam est accusée à tort d’avoir ameuté les populations. En fait, elle n’a fait que son travail. Donner l’information qu’elle a reçue en même temps que les autorités administratives. Pourtant, aujourd’hui, elle est isolée. Elle semble avoir peur. Nous avons vainement tenté d’interroger certains d’entre eux pour avoir leurs points de vue sur la question. Motus et bouche cousue. L’un dira préférer ne pas se prononcer devant une caméra pour des raisons personnelles, l’autre apposera un refus catégorique. Hiii, ça risque d’être compliqué pour moi. Quand j’ai traité cette information, Dieu sait que j’ai reçu des centaines d’appel, des mises en garde…».
La réserve embarrassante adoptée par les journalistes Matamois est tributaire de leur mise à l’écart dans les activités du CRCO. Et pourtant, les médias disposent d’assez de moyens pour apporter leur contribution dans la stratégie nationale de lutte contre le terrorisme. Les professionnels des médias soucieux eux aussi, de la stabilité du pays et de ses Institutions, pourraient accompagner le Gouvernement dans la sensibilisation des masses.
A Matam, les autorités administratives leur reprocheraient d’avoir précipitamment livré une information qui a finalement terrorisé les populations matamoises. Heureusement qu’ils ne sont pas poursuivis pour apologie au terrorisme. Mais à qui la faute ? Dans tous les cas, les journalistes qui ont diffusé l’information, sont restés attachés aux principes directeurs qui encadrent leur profession. Par conséquent, s’il y a faute, c’est l’Etat qui en est le principal responsable. Car toute initiative antiterroriste exclusiviste nous expose tous. Malheureusement, les techniciens de sécurité n’ont pas senti la nécessité de responsabiliser les professionnels des médias au sein des organisations antiterroristes. Voilà pourquoi les choses vont dans tous les sens.
Dans le cadre de la lutte antiterroriste, le Gouvernement a mis sur pied au moins 03 organes avec plusieurs composantes. Les médias qui pourtant jouent un rôle déterminant dans la sensibilisation, l’information, l’alerte, l’éveil, la veille et la communication, sont mis à l’écart. Aujourd’hui, c’est une utopie de vouloir combattre le terrorisme et la criminalité lorsqu’on se prive de l’apport crucial des média classiques (Tv, radio, presse écrites), de l’internet et des réseaux sociaux. C’est-à-dire le Webmédia comme moyen de sensibilisation. Ces supports médiatiques devraient être utilisés pour la mobilisation.
Au Sénégal, en créant toute cette pléthore d’organes de lutte contre le terrorisme, l’Etat s’est naïvement détourné de l’apport important de la communauté des médias.
Notre pays compte plus de 100 journaux en ligne, près de 15 quotidiens, bientôt 15 télévisions, les radios nationales et communautaires sont estimées à près de 300. Et pourtant, dans la phase d’anticipation contre les menaces criminelles, l’utilité des médias est incontestable. Les techniciens en sécurité n’ont pas songé les impliquer dans la lutte. Il n’existe pas non plus un cadre d’échange entre les professionnels des médias et les organisations antiterrorismes. Ce manque de concertation et d’échange permanents entre les médias et les services de sécurité engendre un désordre dans la gestion de l’information qui touche la sécurité publique. Ce cadre d’échanges permettrait de coacher les professionnels des médias dans l’exploitation d’une information sécuritaire.
Une information qui touche la sécurité publique ne doit pas être traitée comme un vulgaire fait de société. Toutes les informations n’ont pas la même valeur informative ni la même sensibilité. Lors de l’arrestation de l’Imam Ndao, nous avions remarqué une théâtralisation surmédiatisée de l’affaire qui avait fini par susciter des frustrations et une indignation. L’absence de filtre avant la diffusion de l’information sécuritaire explique tous ces errements dans les médias. L’information qui touche la sécurité publique doit être filtrée et validée dans un«circuit court» avant d’être publiée pour la consommation publique. La course débridée aux scoops ne doit pas s’opérer sur le terrain de la sécurité. Dans ce cadre, la responsabilité des professionnels des médias est engagée. Les médias devraient éviter de livrer des informations sensationnelles qui terroriseraient les populations. Le seul remède face à cela, c’est la création d’un cadre d’échange permanent entre les professionnels des médias et les organes de lutte contre le terrorisme. Dans un pays comme la France, cette question est réglée. Lorsqu’il s’agit de terrorisme (de sécurité publique), la presse française ne publie que les informations officielles filtrées et validées par les services de police.
Au Sénégal, nous ne demandons pas l’implication totale des professionnels des médias dans l’opérationnel. Impossible ! La définition des stratégies de sécurité et leur mise en œuvre n’est pas du ressort de la presse.
Evidemment ! Toutefois, rien ne devrait empêcher le Ministre de l’Intérieur de planifier des rencontres périodiques avec l’ensemble des patrons de presse pour une séance d’échange sur les questions de sécurité liées au terrorisme et solliciter leur contribution pour la sensibilisation des citoyens. Ce serait aussi le lieu d’attirer l’attention des professionnels des média sur la nécessité d’encadrer l’information d’ordre sécuritaire. Seul le pouvoir public peut prendre cette initiative.
D’ailleurs, l’affaire des 04 présumés terroristes à Matam est hypersensible pour les populations mais hautement stratégique pour les services de sécurité. Il est évident que si les professionnels des média étaient impliqués en tant qu’acteurs et alliés dans les instances de veille, d’alerte et de sensibilisation, l’information des présumés jihadistes n’allaient pas être diffusée de manière aussi brute. Or, dans la lutte contre le terrorisme et les menaces connexes, le journaliste ne doit pas se sentir moins utile que l’agent de sécurité.
Les professionnels des médias sont exclus de la Cellule de Lutte antiterroriste (CLAT), du Pole antiterrorisme ou du Cadre d’Intervention et de la Coordination interministérielle des Opérations de lutte anti-terroriste (CICO). Les autorités optent pour la méthode «tout militaire» oubliant souvent que si les armes crépitent c’est parce que la stratégie d’anticipation n’a pas été efficace. Et pourtant, les médias peuvent constituer un maillon essentiel dans la prévention et la sensibilisation s’ils sont responsabilisés dans un cadre formalisé. Cette mission n’est pas celui des Conseils en communication ou du Chargé des relations publiques de la Police.
Non ! Parmi les organisations antiterrorisme, il y a : la Cellule de lutte Anti-terroriste (CLAT) créée par le décret n°2003-388 du 30 mai 2003.Cette cellule est composée uniquement d’agents de sécurité. La CLAT comprend : une Division Analyse, une Division des Opérations, une Division logistique. Comme son nom l’indique, il s’agit d’une «cellule» pas plus, face à une menace aussi dévastatrice que le terrorisme.
En plus, récemment, en visite à Ziguinchor, le Ministre de la Justice avait annoncé la mise en place d’un Pôle antiterrorisme. «L’Etat va créer un Pôle anti-terrorisme au Tribunal de grande instance de Dakar dans le cadre des modifications qui seront apportées dans le Code pénal et le Code de procédure pénal. Ce pôle disposera d’une section d’enquêteurs spécialisés».
Ensuite, le Chef de l’Etat a pris le Décret n° 2016-301 du 29 février 2016 portant création et fixant les règles d’organisation et de fonctionnement du Cadre d’Intervention et de Coordination interministérielle des Opérations de lutte anti-terroriste (CICO). Cette structure est placée sous l’autorité du Ministre de l’Intérieur et de la Sécurité publique, qui en assure la présidence. «Le CICO est un cadre de coordination des services de lutte contre le terrorisme. Il favorise la mutualisation des moyens civils et militaires nationaux et internationaux mobilisés par le Gouvernement pour faire face aux menaces et attaques terroristes. Il établit et approuve son concept d’opérations» dit l’article2 dudit décret. Dans son fonctionnement et sa composition, le CICO est une redondance qui rappelle le Conseil d’Orientation Stratégique (COS) et le Conseil National de Sécurité.
Comme nous l’avons remarqué, les média sont exclus de la CLAT, du Pôle antiterroriste, du CICO et des CRCO. Et, nous n’avons pas besoin de chercher des arguments supplémentaires pour justifier l’utilité des professionnels média dans la lutte. Leur implication ne doit pas se résumer à des séminaires sans rendement concret. Ils doivent participer à l’élaboration des stratégies de sensibilisation destinées aux masses. Le Ministère de l’Intérieur et de la Sécurité Publique (MISP), la Direction Générale du Renseignement Intérieur (DGRI), la Direction Générale de la Police Nationale (DGPN), les Directions, Services ou cellules gagneraient à s’ouvrir aux professionnels des média. Les choses peuvent évoluer positivement si les services de sécurité considéraient les média comme des partenaires et non comme de vulgaires «hauts parleurs».
Le MISP, la DGRI et la DGPN doivent s’allier avec les média jusqu’à la limite du possible. Mais, il faudrait que les autorités comprennent que ces derniers ont leur rôle à jouer dans la lutte antiterroriste.
Enfin, les médias (TV, radio, sites, presse écrite, réseaux sociaux) peuvent contrecarrer le discours radical des terroristes, promouvoir le modèle de l’Islam du Sénégal et sensibiliser les populations.
Monsieur Mamadou Mouth BANE
Chercheur en terrorisme et criminalité
Président du Mouvement «Jubanti Sénégal»
Email : jubantisenegal@gmail.com