Dakarmidi – Sans qu’il ne soit nécessaire de revenir sur le titre provocateur de son communiqué (un accord de pêche transparent et réglementé entre le Sénégal et l’Union européenne), il y a lieu de révéler, avant tout, au peuple sénégalais les faits suivants :
• De 2006 à 2014, plus aucun accord de pêche ne liait l’Etat à l’Union Européenne ;
• Le 23 octobre 2014, deux ans après le changement de régime au Sénégal, un nouvel Accord dit de partenariat de pêche accompagné de son Protocole d’application fixant les possibilités de pêche accordées à l’UE sont signés le 23 octobre 2014. En vigueur depuis le 20 novembre 2014, le protocole qui était conclu pour une période de 5 ans a expiré depuis le 19 novembre 2019 ;
• C’est au lendemain de l’expiration de ce premier protocole et sans concertation aucune, dans la totale opacité et dans la clandestinité juridique que l’Etat du Sénégal a décidé de signer un nouveau protocole. En effet, depuis le 20 novembre 2019, le Sénégal a signé le deuxième et nouveau protocole relatif à la mise en œuvre de l’accord dit de partenariat dans le domaine de la pêche, et ce, pour une période de 5 (cinq) ans (2019-2024) et qui aujourd’hui suscite l’indignation générale.
Avant d’attaquer le fond de l’accord dont nous contestons la constitutionnalité, la conventionalité et la légalité, il faut que l’opinion publique sache que le protocole est déjà applicable et s’applique déjà. Même si l’UE a sciemment omis de le mentionner dans son communiqué, préférant parler de processus de ratification, il y a lieu de signaler que depuis la date de sa signature, c’est-à-dire depuis le 20 novembre 2019, le nouveau protocole (2019-2024) s’applique.
En effet, aux termes de l’article 16 dudit protocole : « Le (…) protocole s’applique de manière provisoire à compter de la date de sa signature. » Autrement dit, le pillage a déjà démarré depuis déjà une année 2 jours.
Aussi, il est important de dire aux sénégalais le pourquoi de ce renouvellement automatique qui dans ces termes même est un instrument néocolonial achevé de pillage de nos ressources biologiques et de notre écosystème marin. L’objectif de cette entrée en vigueur provisoire et anticipée (avant ratification), sans concertation et sans implication de l’Assemblée nationale du Sénégal vise à faire en sorte que le marché européen soit correctement approvisionné et que les emplois européens qui en dépendent directement ou indirectement ne soient pas compromis. Et c’est bien l’UE qui l’affirme dans sa Décision 2019/1925 du Conseil de l’UE relative à ce nouveau protocole en ces termes : « Afin d’éviter une interruption des activités de pêche des navires de l’Union, il convient d’appliquer le protocole à titre provisoire dès sa signature » .
Il est clair dès lors que ni le développement durable (gadget politico-juridique) ni la transparence n’intéresse l’UE encore moins l’Etat. La rapidité et l’opacité avec laquelle ce protocole a été signé et sa procédure de ratification déclenchée par la partie sénégalaise est le signe qu’il ne répond pas aux règles minimales d’une gestion rationnelle et durable des ressources biologiques marines ciblées comme l’exige la Constitution, le droit international et le code de la pêche maritime (Loi n°2015-18 du 13 juillet 2015), mais aux besoins commerciaux du marché européen.
En effet, au titre des possibilités ou droits de pêche accordés à l’UE par l’Etat du Sénégal dans le nouveau protocole, deux catégories d’espèces sont ciblées et selon les tonnages de référence suivants :
• 1750 tonnes/an pour les merlus noirs (Merluccius senegalensis et Merluccius polli) qui sont des espèces démersales profondes ; voir protocole appendice 2, 5) ;
• 10000 tonnes/ an pour les thons tropicaux : l’albacore (Thunnus albacares), le thon obèse ou patudo (Thunnus obesus), le listao (Katsuwonus pelamis) et l’espadon (Xiphias gladius) ; voir article 4 1 a)
Le protocole en question pose un problème majeur celui de la disponibilité biologique des espèces ciblées. En effet, contrairement à ce que prétend l’UE dans son communiqué, les données scientifiques actuelles sur les espèces qu’elle veut cibler démontrent très largement qu’elles sont surexploitées.
LE MERLU NOIR EST UNE ESPECE DEJA SUREXPLOITEE SELON LE CRODT
D’abord, le merlu noir, principale espèce ciblée par le nouveau protocole entre l’Etat et l’UE est une espèce surexploitée selon la dernière étude du Centre de Recherche Océanographique de Dakar Thiaroye (CRODT).
En effet, saisi par courrier le 11 mai 2020 par le Groupement des Armateurs et Industriels de la Pêche du Sénégal (GAIPES-S.G. AD/SDS/028/2020) afin de déterminer l’état biologique des ressources de pélagiques côtières et de merlus, l’avis scientifique du CRODT transmis par correspondance (n°110 D-CRODT du 27 mai 2020) fût sans appel. Les scientifiques sénégalais constatent que le Merlu noir est non seulement surexploité, mais soutiennent en même temps que le niveau de capture devait être revu à la baisse et que l’effort de pêche à son propos devrait être diminué de 15 % pour atteindre un niveau d’exploitation soutenable.
Ensuite, étant donné que l’effort de pêche concernant le merlu a été encore maintenu 2 chalutiers (comme dans le dernier protocole de 2014-2019), considérant aussi que le passage du niveau de captures de 2000 tonnes à 1750 tonnes dans le nouveau protocole est sans portée pratique puisqu’il s’agit techniquement et simplement d’un tonnage de référence que les chalutiers européens ont le droit de dépasser moyennant compensation financière (95 € 62225 frcfa la tonne), il y a lieu de considérer que l’Etat a rompu avec son obligation constitutionnelle « de préserver, de restaurer les processus écologiques essentiels, de pourvoir à la gestion responsable des espèces et des écosystèmes, de préserver la diversité » biologique.
Enfin, même si l’UE prétend encore dans son communiqué que ses droits de pêche n’interférent pas sur la pêche artisanale, il y a lieu aussi de souligner que cet argument n’est pas du tout conforme aux dispositions même du protocole. En effet, l’actuel protocole comme son prédécesseur, cible directement les espèces pêchées par nos pêcheurs artisanaux. En réalité, c’est au titre des captures prétendument accessoires que sont insérés des droits de pêche qui impactent directement et négativement sur l’activité de pêche de nos pêcheurs locaux. Ainsi s’agissant de l’accès au merlu noir, l’Etat permet à l’UE d’avoir en même temps accès aux 15 % des céphalopodes, 5 % de crustacés, et 20 % d’autres poissons démersaux profonds au titre des « captures accessoires », mettant ainsi directement en concurrence nos pêcheurs locaux avec les chalutiers de l’UE. Ici également c’est la technique du tonnage de référence qui s’applique.
En vérité, l’Etat tient très peu à protéger la pêche artisanale c’est que le volume admissible des captures concernant le merlu (1750 tonnes) n’est tout au plus qu’un tonnage de référence qui peut être dépassé librement par l’UE tant qu’elle trouve du poisson et ce en vertu de l’article 4 paragraphe 7 du protocole . Cela signifie en même temps que l’accès par l’UE aux céphalopodes, aux crustacés et à tous les poissons démersaux profonds est tout autant et de facto illimité.
En permettant à l’UE d’avoir accès aux espèces pêchées par nos pêcheurs l’Etat les met en concurrence. Cette concurrence évidemment inéquitable que fait l’UE, puissance maritime, à nos pêcheurs locaux a brisé la chaine d’accès et d’approvisionnement de la pêche artisanale l’obligeant à aller soit plus loin soit à pêcher clandestinement en Mauritanie ou en Guinée Bissau des espèces qu’elle trouvait jadis en abondance dans nos eaux. En déréglant ainsi l’accès des pêcheurs à nos ressources côtières, l’Etat organise lui-même la rareté de leur principal outil de travail principal (le poisson), cause de cette nouvelle vague d’immigration clandestine irrégulière.
Dakar, le mercredi 25 novembre 2020
Le Secrétariat Exécutif National (SEN) du FRAPP