La pandémie de coronavirus a déjà causé plus de 430 000 morts à travers le monde. Elle a
fini de créer la psychose et de dicter sa loi. Toutes les économies du monde sont touchées
et vont payer un lourd tribut . Le monde se prépare à une profonde récession sous l’effet du
coronavirus, à l’image , entre autres, de la France, des Etats-Unis, pays le plus touché en
nombre de cas recensés. Selon la Banque mondiale, le Produit Intérieur Brut (PIB)
mondial diminuera de 5,2% en 2020. Le groupe des pays émergents et en développement
devrait connaître sa première contraction en 60 ans, avec une baisse globale de son PIB de
2,5%. Cette récession fera basculer des millions de personnes dans l’extrême pauvreté et le
chômage. Les échanges commerciaux devraient accuser une baisse drastique dans presque
toutes les régions de la planète. La contraction du commerce devrait probablement être
supérieure à celle causée par la crise financière mondiale de 2008-2009.
Un peu partout on assiste à un triomphe de l’Etat keynésien car la crise économique
globale qui est en train de découler de la crise du coronavirus rappelle combien le rôle de
l’Etat régulateur est salvateur. La bonne vieille planche est ressortie à Washington comme
à Pékin. Laissés à eux-mêmes , les marchés boursiers se sont effondrés . Pour une fois,
chinois, européens et américains sont d’accord : la main invisible d’Adam SMITH ne peut
sauver le marché. D’où les mesures interventionnistes prises un peu partout ( Etats Unis,
Allemagne, Grande Bretagne etc….).
Au Sénégal, nous saluons les mesures prises contenues dans le document intitulé :
Programme de Résilience Economique et Social ( PRES), seulement nous pensons que les
Autorités devraient mettre un accent particulier sur le secteur de l’Agriculture et de
l’élevage afin d’assurer la sécurité alimentaire. Une véritable stratégie devrait être élaborée
pour en définitive cultiver ce que nous mangeons et développer un véritable label
sénégalais et pouvoir même exporter afin d’obtenir des devises dans l’immédiat. Le 28
mars 2020 , Le ministre de l’agriculture et de l’équipement rural a annoncé une stratégie
de sécurité alimentaire, concernant le riz, le blé et le niébé. A cet effet, un Conseil
présidentiel sur l’agriculture et la sécurité alimentaire ( Directive Présidentielle donnée
depuis des années déjà) devrait être organisé afin de résoudre la lancinante question
alimentaire.
Il urge de nous mobiliser afin de relancer l’économie à travers, entre autres, les mesures ci-
dessous :
1/Vulgariser les travaux de la cellule nationale de crise qui avait été mise en place le 18
mars dernier. A mon avis, cette cellule devrait, entre autres, mesurer l’impact réel de la
crise sur tous les secteurs porteurs de croissance. Cela aura pour avantage de redéfinir
l’ordre des priorités. A mon avis, l’agriculture peut demeurer la Priorité Numéro 1 du
Gouvernement , suivie de la Santé, Priorité Numéro 2 et du Tourisme qui viendrait en
troisième position . La pandémie nous aura appris que le Gouvernement a eu tort d’avoir
drastiquement baissé le budget de la santé dans la loi de Finances (LFI) 2020.
2/ Booster les secteurs porteurs de croissance , sans oublier le secteur informel et la
question énergétique à travers la poursuite du développement des énergies renouvelables.
Accorder une attention particulière à l’agro-industrie et à l’artisanat qui doivent pouvoir
s’exporter afin de renverser la tendance structurellement déficitaire de notre balance
commerciale dont le déficit se situe à 206,1 milliards de FCFA au mois d’avril 2020 selon
la Direction de la Prévision et des Etudes Economiques (DPEE) .
3/ Accorder la part belle au Secteur Privé qui est, en réalité le moteur de la croissance.
Poursuivre plus que par le passé l’accompagnement du Secteur Privé car le Chef de l’Etat
avait, en novembre 2018 , en perspective de la réunion du Club de Paris invité le Secteur
Privé à s’approprier la vision du renouveau industriel et productif et à jouer un rôle
prioritaire dans l’exécution de la phase 2 (2019/2023) du Plan Sénégal Emergent (PSE).
Dans le PRES, en plus des 200 milliards consacrés à la remise partielle de la dette fiscale
constatée au 31 décembre 2019, et des 302 milliards consacrés au paiement des
fournisseurs de l’Etat, les pouvoirs publics devraient avoir le courage de revenir sur les
lois, décrets ou redevances ( ils sont nombreux !) qui ne militent pas en faveur de la
compétitivité de l’entreprise sénégalaise. J’en citerai deux à titre d’exemple :
Le Décret 2018-1943 du 26 octobre 2018 instituant une taxe parafiscale au profit du
Fonds de Soutien au secteur de l’énergie dénommée : « Taxe sur l’énergie à usage
industriel » de l’ordre de 2,5% . Cette mesure vient encore alourdir les charges des
industriels qui étaient jusque-là déjà élevées. A l’heure où « l’électricité pour tous »
est un axe majeur de la politique d’équité sociale et territoriale du Chef de l’Etat,
nous ne comprenons pas cette mesure destinée exclusivement aux entreprises
industrielles ;
La loi-2018-10 du 30 mars 2018 modifiant certaines dispositions générales du Code
Général des Impôts. La taxe sur les corps gras alimentaires contenue dans cette loi
pénalise l’industrie au profit des importations. Elle est perçue « ad valorem » sur le
chiffre d’affaires des industriels alors que les importateurs l’acquittent au cordon
douanier. Cette distorsion est bien sur accentuée par les valeurs de correction, sous
déclarations, exonérations constatées au niveau des Douanes.
Si la tendance haussière des facteurs de production se poursuit, certaines industries
pourraient opter pour une délocalisation de leurs activités, ce qui ne serait pas sans
conséquence pour notre économie.
Il me paraît important de revoir la pléthore de taxes et redevances instituées surtout en
2018 qui avait été décrétée année sociale , quel paradoxe.
Même si le budget de l’Etat du Sénégal provient en majorité de la fiscalité, la période post
Covid-19 doit nous pousser à changer de paradigme et à inventer de nouvelles techniques
de financements innovants pour alimenter les régies financières en lieu et place à
l’asphyxie des ménages et des entreprises . Ce qui a certes orienté l’action du
Gouvernement depuis septembre 2013, c’est l’emploi, le progrès social et la relance
économique , mais tirons les nombreuses leçons de cette pandémie et apportons les
correctifs nécessaires pour nous diriger vers un nouveau modèle de développement
économique qui nous rendra réellement indépendant à tous les points de vue.
Changeons de voie. Repensons notre avenir économique .Pour y arriver, nous suggérons
aux pouvoirs publics d’organiser les Etats Généraux de l’Economie ( comme l’Italie le
fait en ce moment) afin de la moderniser et de lui donner une toute autre orientation car
après le Covid 19 plus rien ne sera comme avant. Notre souveraineté, l’économie et notre
société qui souffre de croissantes inégalités devraient, entre autres, y être discutées.
Marie Bâ AIDARA
Economiste/Ecrivain
Ancien Ministre
Vice-Président Africa-WIC
mariebabacarba@gmail.com