Au plus loin que remonte la mémoire et le témoignage des ossements ayant défié le temps et les éléments, il est convenu que l’Afrique est le lieu premier de l’apparition de l’espèce humaine. L’une des plus grandes civilisations connues à travers le Monde a rayonné à partir de l’Égypte et continue encore à livrer les secrets de sa magnificence. L’Homme noir a donc un passé glorieux de Savoir et de Puissance créatrice incontestable.
Que nous est-il arrivé alors?
De bâtisseurs de pyramides, quel revers nous vaut aujourd’hui le statut de mendiants planétaires, rejetés dans les flots par ceux qui venaient nous chercher par bateaux entiers pour suer, sang et eau, et bâtir leur prospérité?
Cette question demeurera posée tant que les africains n’auront pas retrouvé le sens de leur propre Histoire!
L’heure n’est plus, en effet, à la complaisance intellectuelle qui absout toutes les horreurs commises contre notre race et notre Continent. Les « intellocrates » africains de l’école coloniale occidentale, et notamment française, prisonniers de concepts et d’un formatage mental qui réduit l’horizon de nos indignations légitimes, devront se résoudre à une remise en question en profondeur de l’Histoire écrite par les « vainqueurs » du moment. Tout se passe en effet comme si nous devions, en plus des torts incommensurables qui nous ont été faits, passer le temps à nous excuser d’exister ou d’être… Tout simplement. Notre pauvreté (organisée cependant) fait tache. Elle alimente l’opulence d’un Ordre mondial trop blanc pour être propre. Quitte à susciter une levée de bouclier des assimilés et autres désintégrés, je suis obligé de constater que la misère est dite… noire! La pauvreté s’acharne sur les peaux les plus sombres à quelques exceptions près. Et même lorsque noir vous devenez riche, le plus pauvre des blancs peut s’arroger le droit de vous dire son mépris. Ce monde est injuste à l’endroit de la race et du Continent noir. Est-il trop tard de prendre une conscience…noire du destin tragique de l’Afrique? Sans une estime de soi et une claire conscience du mépris culturel qui nous exclut de la marche du monde, nous ne serons rien d’autre que le terrain de jeu des ambitions de tous ceux qui ont une meilleure idée d’eux-mêmes. Nous avons eu les arabes, les européens, et maintenant les asiatiques qui s’invitent au partage du gâteau! Et nous restons les bagnards de la mondialisation comme depuis trop longtemps! De « jeunes civilisations », par bien des égards puériles, nous narguent. Par la faute de nos renoncements…
En fait certains, parmi nous, sont même les véritables artisans de notre déchéance collective. Pour leurs petits intérêts particuliers, ils sont les fossoyeurs de notre Dignité collective. Être le plus riche parmi les plus pauvres est une ambition pour les so called « élites » économiques et politiques africaines qui servent plus les intérêts de leurs mentors occidentaux que les intérêts supérieurs du Continent. Car, le pillage des ressources africaines et la prolifération de la corruption, la quasi généralisation de la mauvaise gouvernance et du détournement de deniers publics sont l’œuvre de nos dirigeants et des systèmes prédateurs qu’ils laissent prospérer. En toute impunité. Nous avons, pourtant, tous les moyens de changer de trajectoire. Mais des volontés brisées et bridées, des forces éparpillées et un leadership pauvre et mal inspiré, nous confinent dans la dernière place du peleton des Peuples souverains, libres et conquérants. J’en éprouve de jour en jour, une grande colère pour notre génération qui ne mérite pas l’Histoire prestigieuse les habitants de ce Continent des siècles passés….
Occupés à la « politique » politicienne et à ses enjeux indigents, les dirigeants des pays africains et notamment au Sénégal jouent avec le destin de leurs peuples. Depuis plus de trois siècles, les européens nous imposent leur agenda. Après avoir occupé nos sols, réduit des millions d’africains à l’esclavage, s’ils ne les ont jeté en pâture aux poissons en haute mer, ils nous ont colonisés, martyrisés, et ne nous ont accordé l’indépendance que contraints et forcés par des générations de résistants et de combattants pour la Liberté. Mais ces forces obscures d’oppression ne changent jamais de projet. Elles reviennent toujours à la charge pour poursuivre leur dessein funeste: exploiter à leur profit exclusif les ressources du monde entier. Depuis soixante ans, les indépendances ont été piégées et, progressivement vidées de leurs contenus. Des élites dirigeantes serviles ont été promues. Des leaders éclairés ont été assassinés ou réduits au silence. En dépit de cette guerre permanente contre les consciences africaines lucides et ambitieuses, les graines germent envers et contre tout! À une tête coupée répondent mille autres qui crient le message porté par le martyr. Combien de voix portent aujourd’hui le message de la Liberté et de l’Unité continentales ?
L’ennemi reste, quant à lui, mobilisé et déterminé à ne pas se laisser faire.
À nous de faire preuve d’une détermination plus grande à débusquer ceux, parmi nous, qui sont les agents de l’ennemi. Ils sont nos véritables adversaires. Ceux dont le poète David Diop disait depuis plus de 50 ans:
« Mon frère aux dents qui brillent sous le compliment hypocrite
Mon frère aux lunettes d’or
Sur tes yeux rendus bleus par la parole du Maître
Mon pauvre frère au smoking à revers de soie
Piaillant et susurrant et plastronnant dans les salons de la condescendance
Tu nous fais pitié
Le soleil de ton pays n’est plus qu’une ombre
Sur ton front serein de civilisé et de Mea Culpa
Et la case de ta grand’mère
Fait rougir un visage blanchi par les années d’humiliation
Mais lorsque repu de mots sonores et vides
Comme la caisse qui surmonte tes épaules
Tu fouleras la terre amère et rouge d’Afrique
Ces mots angoissés rythmeront alors ta marche inquiète:
Je me sens seul si seul ici ! »
Ceux-ci se reconnaîtront sans peine. Ils doivent être reconnus et combattus comme tels.
La jeunesse sénégalais et africaine doit retrouver confiance! Elle doit prendre conscience des luttes et des résistances qui sont la véritable Histoire de notre Continent. La relecture de la petite histoire de nos défaites est impérative. Pour refonder des mentalités gagnantes. Pour remobiliser les énergies autour d’une ambition nouvelle pour l’Afrique. Les ressources naturelles et le talent tout autant que les bras existent. Arrachons les pouvoirs politiques qui puissent donner du sens à notre Avenir.
Dans la ronde du cycle des aires de progrès et de rayonnement de ce que l’homme peut faire de meilleur, je veux parier que le tour de l’Afrique est revenu.
Et c’est pourtant le moment choisi par le Conseil municipal de Goree pour souiller l’île mémoire en baptisant sur sa terre une place : «Place de l’Europe »… Un hasard? Que non! Une étape dans l’agenda de la servilité ! Sinon, quel mauvais inspirateur a conduit à ce coup de poignard à la mémoire de toute la diaspora noire, mais aussi au Continent africain et à la race noire ? De quel symbolisme réactualisé se revendique ce projet? La place de l’Europe n’est surtout plus à Goree, ni partout ailleurs où les traces sanglants de ses méfaits tardent à
sécher! Parallèlement, la force d’Israel et du Peuple juif c’est justement d’assiéger la conscience universelle par le rappel permanent des torts qui lui ont été causés…par l’Europe justement ! Tiens tiens…
Et nous ? Et nous? Et nous?
La Parole est à Frantz Fanon:
« Quittons cette Europe qui n’en finit pas de parler de l’homme tout en le massacrant partout ou elle le rencontre, à tous les coins de ses propres rues, à tous les coins du monde.
In Les Damnés de la Terre (1961),
Tout à été dit et depuis l’aube des indépendances…
Amadou Tidiane WONE