Dakarmidi – Il est de coutume lorsqu’une année tire sa révérence et qu’une nouvelle voit le jour de procéder à un bilan et de dégager des perspectives. Sacrifiant à cette tradition et l’appliquant au Sénégal, on peut d’emblée constater que notre pays est très loin de l’émergence dont les autorités politiques chantent les louanges. On pourrait même affirmer sans sombrer dans un sénégalo pessimisme que ne nous pardonneraient pas les chauvinistes les plus radicaux que notre pays vit une situation peu reluisante pour ne pas dire alarmante. Il suffit pour être convaincu de nos propos, mis à part tout esprit partisan, de citer quelques fléaux qui à notre humble avis sont entrain de plomber notre développement .Il s’agit du manque de patriotisme et d’inspiration de notre classe politique, de l’instrumentalisation par le pouvoir de la justice, de la mise sous perfusion de notre économie par les puissances étrangères, de l’abandon de la jeunesse à elle-même, de la perversion sociale criarde, de la politisation ou de la marchandisation de la religion, de l’albinisme grotesque de la presse, de l’opportunisme malveillant de la société civile, de l’inertie des intellectuels, de l’institutionnalisation de la mal gouvernance.
La patriopathie ou le manque de patriotisme de nos hommes politiques se décline par un opportunisme cynique motivé par une recherche déloyale du profit, par une aspiration machiavélique aux privilèges du pouvoir. Cette volonté de prédation des maigres ressources du pays de la part de la classe politique se manifeste clairement dans leurs absences de convictions idéologiques caractérisée par des alliances entre partis aux programmes antinomiques, par une transhumance éhontée fondée sur des prétextes fallacieux à la limite du ridicule, par une médiocrité du discours politique axé sur des attaques ad hominem ou personnelles au lien de porter sur les véritables besoins du peuple , par un accaparement boulimique de déniés publics ou un enrichissement illicite.
L’instrumentalisation de la justice par l’Exécutif est sans conteste une tâche avilissante pour notre pays. Pour peu qu’on soit objectif, on ne peut pas nier que la justice soit devenue une arme de destruction d’opposants entre les mains du pouvoir .Nul besoin de chercher plus loin pour étayer nos propos d’une justice sous les ordres du pouvoir, il suffit juste de constater comment les autorités traitent les rapports de la CREI ou de l’OFNAC qu’ils utilisent curieusement pour épargner les proches du régime pourtant épinglés jusqu’au cou et pour poursuivre sans respect des procédures judiciaires les récalcitrants du régime. Certes il ne s’agit pas de faire la promotion de l’impunité en plaidant la non poursuite des opposants fautifs, mais encore faudrait-il que la justice ne soit pas sélective, elle devrait s’appliquer en toute rigueur sur tous les citoyens quelles que soient leurs obédiences politiques ou autres pour faire écho à la fameuse maxime ‘nul n’est au-dessus de la loi ».
Notre économie quant à elle est sous perfusion étrangère en dépit des allégations des autorités vantant notre croissance qui serait proche de 7% .Sans être nihilisme on peut admettre que l’érection d’infrastructures à l’image de l’autoroute à péage, de l’aéroport Blaise Diagne, la mise en œuvre de projets comme Diamniadio nouveau pôle urbain etc. sont essentiels pour le développement de notre pays, mais il y a lieu de nous interroger sur leurs coûts exorbitants et la dette colossale qu’ils génèrent pour notre pays et surtout leurs rentabilités à court, moyen et long terme. Les APE (Accords de Partenariat Économiques) avec l’Union Européenne, la dépendance au FCFA, la mainmise des entreprises étrangères sur nos entreprises (Port de Dakar, SONATEL), La mise sous hypothèque de nos ressources minières (or, zircon, pétrole) à des multinationales combinée à des accords nébuleux ou une gestion opaque confirment que cette macro croissance est loin de profiter au peuple meurtri par une paupérisation abyssale.
La politique en matière de jeunesse est l’une des grands échecs des régimes qui se sont succédé. La jeunesse est victime d’une quasi indifférence des autorités qui peinent à mettre sur pied une véritable politique pour l’épanouissement de cette majeure partie de la population. Toutes les initiatives pour résoudre les difficultés de la jeunesse en matière d’éducation, de formation, d’emploi sont souvent mal pensées ou dictées par des ambitions électoralistes. Sous le régime d’Abdou Diouf le projet de créations de boulangeries pour les maitrisards a fondu comme une chandelle sur le feu, les projets de Président Wade pour inciter les jeunes à s’adonner à l’agriculture dans le cadre de la GOANA n’ont pas produit les effets attendus, la promesse du Président Macky Sall de sortir 500 000 jeunes du chômage durant son mandat est loin d’être réalisée ou bien elle a produit des emplois aussi précaires que ceux des agents de sécurité de proximité .Tous ces fiascos en matière de politique de jeunesse sont à l’origine d’un véritable désespoir se traduisant par une envie de quitter le navire pour tenter l’aventure en arpentant les déserts et les mers au péril de leurs vies.
L’un des symptômes d’un pays au bord du gouffre, c’est sans doute la déchéance morale ou la rupture avec des valeurs éthiques .S’il y a un phénomène qui a dangereusement gagné du terrain au Sénégal, c’est la primauté de l’avoir sur le savoir, de apparaître sur l’être, de la vulgarité sur la pudeur, de l’opportunisme matériel sur le travail, du beau dire sur le bien agir, de l’hypocrisie sur l’honnêteté. Si naguère au Sénégal la loyauté, la dignité avaient droit de cité, il faut reconnaître que l’amour aveugle de l’argent a totalement vicié les relations humaines. La seule manière de forcer le respect est d’étaler sa puissance financière qui est devenue une clé passe-partout . Dès lors on comprendra aisément pourquoi l’argent du contribuable est détourné systématiquement par les autorités, que la corruption soit endémique, que la trahison soit banalisée, que la criminalité soit généralisée, que le mensonge soit érigée en mode de vie, que la religion soit instrumentalisée ou monnayée pour un confort matériel.
Le Sénégal est connu comme un pays fondamentalement religieux du moins en apparence .En effet, il serait difficile de citer des pays ou la ferveur religieuse est intense sans parler du Sénégal. Cette religiosité du Sénégal est si marquée que les mosquées ne désemplissent pas du moins les vendredis, les prêcheurs sont érigés en stars, les événements religieux tels que le Magal de Touba, le Gamou de Tivaoune, la tabaski, la korité et la tamkharite sont célébrés avec beaucoup de zèles. Ce qui est frappant, c’est le déphasage entre le discours et le mode de vie de certains religieux par rapport à ce que prône religion en particulier celle islamique. L’Islam enseigne le mépris du monde ici-bas et la consécration la prière et de la charité. Et pourtant s’il y a un pays où certains religieux vivent comme des pachas de la sueurs de leurs fidèles c’est sans ambages le Sénégal .La religion au lieu de devenir un moyen de gagner le Ciel est devenue un gagne-pain, un instrument d’exploitation d’une bourgeoisie religieuse sur un peuple durement éprouvé par une misère intellectuelle et une quête désespérée d’un soulagement spirituel .La religion est utilisée de plus en plus comme un appât par certains prétendus marabouts pour s’attirer les faveurs et les privilèges .
La presse supposée être un contre-pouvoir est devenue une sorte de larbin en ce qu’elle ne cherche plus à donner l’information juste et vraie, mais elle se soucie plus à verser dans journalisme de sensation, dans un griottisme alimentaire éloigné des préoccupations du peuple. Pour preuve de la déliquescence de notre presse, la plupart des journalistes pourfendeurs du défunt régime libéral ont vite fait de briser leurs plumes critiques ou de taire leurs voix discordantes pour bénéficier des largesses du pouvoir en place.
La métamorphose d’une bonne partie de la société civile en thuriféraire du pouvoir est aussi une des distorsions majeures de notre démocratie .C’est comme si certains acteurs de la société civile se servent de ce manteau de défenseurs des causes des citoyens pour non seulement vivre des financements des bailleurs, mais se constituer en moyen de pression afin de dealer avec les autorités en place. Il suffit juste pour être convaincu de la duperie de certains activistes de la société civile de remarquer que les véritables enjeux qui devraient mobiliser leurs énergies telles que la dénonciation de l’injustice, de la manipulation des règles du jeu politique sont ignorés littéralement.
Notre Sénégal alité se lit aussi par le mutisme des intellectuels devant des crises majeures devant interpellées leurs consciences critiques. Nos enseignants en général et nos universitaires en particuliers éprouvés par des conditions de travail de plus en plus difficile cherchent à se trouver une place au soleil gouvernemental de sorte que la lucidité et l’objectivité de leurs analyses deviennent de moins en moins évidentes.
On ne saurait terminer de dresser ce chapelet de goulots qui étranglent notre pays sans évoquer les affres de la mauvaise gouvernance. A ce propos il sied de s’interroger sur la façon irrationnelle dont les ministères et les services gouvernementaux sont enchevêtrés de sorte que le traitement des dossiers des citoyens en pâtit. Le nombre important de ministres et de députés pour un pays aussi petit qu’indigent comme le Sénégal est aux antipodes de la rationalisation des ressources .Que dire de l’amateurisme et du laxisme avec lesquels les ressources(minières, halieutiques) engageant la pérennité de notre nation sont gérées au point que des accords économiques soient signés sans que nos intérêts vitaux ne soient sauvegardés. Le comble de la mal gouvernance réside incontestablement dans l’accaparement impuni des biens de notre pays par horde de politicards véreux adeptes de la politique du ventre au détriment de l’intérêt général.
Autant dire que le Sénégal est dans l’œil du cyclone et il ne peut espérer sortir de la zone de turbulence que quand naîtra un véritable sursaut national lequel amènera chaque citoyen à comprendre que son destin et sa survie dépendent largement de ceux de collectivité, que la promotion de l’indiscipline ,du manque de patriotisme et de la médiocrité sont des impasses qui mèneront à notre perte.
Ciré aw
Bonne gouvernance et clan présidentiel au Sénégal : Un mariage incompatible? (Par Ciré Aw)