Dakarmidi – Tous les événements sont l’occasion, au Sénégal, d’appeler au dialogue. Personne ne veut être en reste dans cet exercice. La classe politique, la société civile, les chefs religieux comme la presse, tout le monde veut jouer sa partition. Il en a été ainsi au lendemain des élections législatives du 30 juillet dernier, entachées de nombreuses irrégularités tout au long de son processus, comme le jour de l’Aïd El Kébir. Ce jour-là, nombre d’imams ont abordé ce fameux dialogue dans leurs prêches.
Comme s’il saisissait la balle au bon, le président-politicien déclare notamment, après la prière à la Grande Mosquée de Dakar : « Je reste ouvert au dialogue. Ce pays, nous ne pouvons pas le construire sans nous parler les uns les autres. Il est vrai qu’il y a des moments de tension naturelle liée à des élections, mais une fois cette compétition derrière nous, nous devons continuer à dialoguer. » Et le président-politicien de poursuivre : « Je lance donc un appel à la classe politique pour que nous évaluions ensemble le processus électoral que nous venons de vivre et anticiper sur les prochaines élections. »
Il n’en fallut pas davantage pour que cet appel bouscule toutes les autres composantes de l’actualité. Le lendemain, il fait la « Une » des quotidiens et alimente le « wax sa xalat » et « La question du jour » des différentes radios.
Sans doute, une telle déclaration d’un Président de la République, d’un Président républicain, ne devrait-elle laisser personne indifférent. Je n’ai pas le sentiment, je suis même sûr ou presque, que le nôtre n’est point celui-là. C’est un président-politicien pur et dur, dont la parole ne vaut plus un copeck. Son prédécesseur de « père » disait de nous, de nous Sénégalais, que « nous avions du mal à nous souvenir de notre dîner de la veille ».
En d’autres termes, nos mémoires sont courtes et nous oublions vite les événements. Faisons quand même l’effort de nous rappeler qui était Macky Sall avant le 25 mars 2012, et ce qu’il est devenu après, depuis le 2 avril 2012 notamment.
Pendant huit ans – ce n’est quand même pas rien –, il a été allaité par son ex-président de « père » qui l’a nommé à des stations importantes : Directeur général de PÉTROSEN, Ministre des Mines et de l‘Energie, Ministre de l’Intérieur, Premier Ministre, Président de l’Assemblée nationale. Il a été aussi, ne l’oublions pas, directeur de campagne de son ex-mentor, pour l’élection présidentielle de février-mars 2007. Il a été donc au cœur du système « wadien » pendant huit longues années, avant d’en être expulsé. Il se fraya alors son propre chemin qui le conduira, trois ans après, à la magistrature suprême. Je n’insiste pas sur les promesses et autres engagements fermes et alléchants pour lesquels nous lui avions accordé 65 % de nos suffrages. Il les a pratiquement jetés tous par-dessus bord.
Tous, y compris son engagement plusieurs fois réitéré, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, à ramener la durée du mandat présidentiel de 7 à 5 ans, et à se l’appliquer. On se rappelle que, c’est plus de quatre ans après qu’il s’adressera à nous, manifestement gêné ou peut-être seulement en apparence, pour nous informer de sa volonté de demander l’avis du Conseil constitutionnel.
Que n’avait-il pas demandé l’avis des constitutionnalistes – nous en comptons beaucoup et de brillants – avant de faire figurer son engagement dans son programme ? Que n’avait-il pas demandé, une fois élu, celui de son ministre conseiller spécial chargé des affaires juridiques, lui aussi un éminent constitutionnaliste ?
En réalité, une fois en contact avec les délices du pouvoir et n’étant pas sûr d’être réélu après seulement cinq ans d’exercice du pouvoir, il s’est rétracté, il s’est renié sans état d’âme. Il reniera d’autres engagements importants : sa gouvernance n’est ni vertueuse, ni transparente, ni sobre. Elle aussi nébuleuse et aussi nauséabonde que celle de son ex-mentor. Son parti, devenu rapidement un parti-Etat, écrase la Patrie. Les marchés de gré à gré n’ont jamais connu d’aussi beaux jours que sous sa gouvernance. Le dernier en date, et sûrement l’un des plus scandaleux, ce sont nos 50 pauvres milliards offerts sur un plateau d’argent à des Malaisiens sans visage.
La corruption, qu’il s’était engagé solennellement à combattre, se porte comme un charme. On se rappelle, qu’après avoir créé l’OFNAC, il s’en vantait devant ses camarades, à l’occasion d’une université d’hivernage à Mbodiène. Il les mettait ainsi en garde – en vérité en apparence seulement – en ces termes : « Attention ! La CRÉI c’est pour les autres, mais l’OFNAC, c’est pour nous ! » En vérité, la CRÉI et l’OFNAC ne sont ni pour les uns, ni pour les autres, mais pour la galerie. En outre, son gouvernement nous présentait une liste de 25 compatriotes, présumés s’être enrichis de façon illicite jusqu’à hauteur de plusieurs centaines de milliards de francs CFA. Et il s’engageait à faire rendre gorge à tout ce beau monde. La suite est connue : seul, un ancien directeur des Domaines mis à part, son « frère » Karim Wade a été jugé, condamné et exilé dans des conditions rocambolesques. Les autres, il n’en parle plus, il n’en souffle plus un seul mot. Au contraire, il a normalisé ses rapports avec nombre d’entre eux. La CRÉI est donc morte de sa belle mort et enterrée, définitivement. Pourtant, les 25 présumés s’être enrichis illicitement l’on été sûrement pendant les douze longues années de gouvernance « « wadienne ». C’est un secret de polichinelle.
La CRÉI a entraîné dans sa mort l’OFNAC. Ses camarades qu’il mettait en garde à Mbodiène ne craignent plus rien. Ils peuvent s’en donner à cœur joie aux actes les plus délictueux, les plus illicites, et ils ne se font sûrement pas prier. Le président-politicien a vite compris que la première présidente qu’il a nommée à la tête de l’Office entendait faire son travail, conformément aux dispositions de la loi qui le créait. Celle-ci l’a surtout effarouché quand elle a commencé, avec ses enquêteurs, à épingler certains de ses amis membres de l’APR. Sur la base de lettres de dénonciations, elle a envoyé une mission enquêter au Service régional des Transports de Louga, au COUD, à la Poste notamment. Les enquêteurs constatent que les manquements et autres délits dénoncés étaient avérés. Au COUD en particulier, leur attention est attirée par des actes délictueux bien plus graves que ceux dénoncés par la plainte.
Conformément à la loi créant l’OFNAC, la Présidente dépose trois dossiers : un auprès du Procureur de la République de Louga et deux auprès de celui de Dakar. Le premier confie le dossier à un juge qui, après enquête, met cinq ou six présumés délinquants sous mandat de dépôt. Quelques semaines plus tard, l’un des mis en cause, ami du président-politicien et responsable de l’APR, est extrait, on ne sait par quel artifice, de la prison de Louga et nommé un peu plus tard Président du Conseil d’Administration d’un important Fonds routier, avec un budget de plusieurs centaines de millions de francs CFA.
Les dossiers déposés auprès du Procureur de la République de Dakar mettent gravement en cause la gestion du Directeur général du COUD et de celui de la Poste. Le premier a profité de l’inauguration par le président-politicien d’un pavillon à l’université pour s’adonner à cœur joie à un pillage systématique des deniers publics. Les enquêteurs de l’OFNAC découvriront, à leur grande surprise que, tous les dix jours, 150 millions sont prélevés du budget du COUD, pour « l’achat de légumes et de condiments » dont les prix défient tout bon sens, et qui seraient livrés par le restaurateur désigné de la structure. La Présidente de l’OFNAC avait d’ailleurs établi des ordres de mission pour que les enquêteurs, ayant terminé avec les actes délictueux qui faisaient l’objet de la plainte, fassent la lumière sur cette affaire de 150 millions prélevés tous les 10 jours, pour « l’achat de légumes et de condiments ». Les enquêteurs devaient s’intéresser aussi aux 150 jeunes de Podor recrutés par un même acte, « sur instruction du Ministre de l’Intérieur et de la Sécurité publique ».
Le Directeur général de la Poste, un autre ami du président-politicien et responsable de l’APR à Thiès, a été lourdement épinglé par les enquêteurs de l’OFNAC. Suite à une plainte faisant état de « l’existence de dysfonctionnements graves au sein du Groupe de la Société nationale de la Poste », les enquêteurs ont mis en évidence « l’existence d’arriérés de paiement d’un montant de plus de quatre-vingts (80 000 000 000) milliards de francs CFA dus au Trésor public, dans le cadre de la compensation du paiement des chèques postaux ». Ce montant a probablement continué de monter. Des spécialistes de finances publiques interrogés affirment que de tels dysfonctionnements n’auraient jamais dû se produire si les services du Trésor public avaient convenablement fait leur travail. Ils expliquent notamment ce dérapage par la tendance lourde qui jette dans la mare politicienne, un nombre de plus en plus grand de hauts fonctionnaires des régies financières. La politisation outrancière de ces régies risque de coûter très cher à nos maigres finances publiques, si elles n’ont commencé déjà à en souffrir.
Les enquêteurs se sont aussi intéressés aux dépenses exécutées, notamment à celles concernant les fournitures de bureau pour lesquelles « des indices graves d’irrégularités avaient été décelés ». Ils ont exactement constaté de graves « pratiques de faux et usages de faux », largement développés dans le dossier qui concerne la Poste. Signalons que ce DG, comme son homologue du COUD, s’adonne au recrutement massif et inconsidéré d’individus sans aucune qualification professionnelle, et appartenant pour l’essentiel à son ethnie et à l’APR.
C’est la mise en cause de ses trois amis et camarades qui a profondément dérangé le président-politicien. N’ayant pas réussi à les faire extraire du Rapport d’activités 2014-2015 de l’OFNAC, il décide de ne pas recevoir la Présidente pour la présentation de ce rapport.
Rappelons quand même que l’article 17 de la Loi n° 2012-30 du 28 décembre 2012 portant création de l’OFNAC dispose : « L’OFNAC établit chaque année un rapport d’activités qui comporte notamment les propositions et mesures tendant à prévenir les actes de fraude ou de corruption. Ce rapport est remis au Président de la République. Il est rendu public par tous les moyens appropriés. » Comme le prévoit donc la loi, la Présidente de l’OFNAC devait présenter au Président de la République le Rapport public 2014-2015. Elle n’y est jamais parvenue, le Directeur de cabinet du Président-politicien lui opposant imperturbablement son agenda chargé. Pourtant, dans la même période, dans l’intervalle de deux jours, le président-politicien reçoit sans aucun problème le Rapport d’activités de la Présidente du Conseil économique, social et environnemental et celui de la Présidente du Haut Conseil du Dialogue social. En réalité, le président-politicien ne supportait pas que le rapport de l’OFNAC fasse état des trois dossiers où ses amis et camarades de l’APR étaient épinglés.
Comme le lui permet la loi, la Présidente de l’OFNAC rend public le Rapport, au cours d’une cérémonie qui s’est déroulée au King Fahd Palace. Cette initiative, pourtant en accord avec la loi, plonge le président-politicien dans une colère noire et le fait sortir carrément de ses gonds. Après avoir tout essayé, vraiment tout essayé pour la convaincre de quitter à l’amiable la présidence de l’OFNAC, il la limoge le 25 juillet 2016. Dans ces conditions, elle rejoint son corps d’origine, l’Inspection générale d’Etat. C’était sans compter avec la colère du président-politicien qui lui interdit de fait, l’accès à la Présidence de la République. Le Vérificateur général de l’IGE qu’elle fut pendant plus de six ans, est affecté hors du palais présidentiel, dans un modeste bureau annexe qu’elle n’a jamais rejoint.
L’OFNAC, qu’il se glorifiait d’avoir créé pour lutter efficacement contre la corruption, est morte de sa belle mort depuis le 25 juillet 2016, et retrouve dans la tombe la CRÉI. Les autres corps de contrôlés sont surveillés comme de l’huile sur le feu : ils ne présentent plus (publiquement) de rapports et même si c’était le cas, ni citent plus de noms de ministres, de directeurs généraux, etc.
Voilà, pour se faire une idée, une toute petite idée du président-politicien qui préside aux destinées de notre pays. Il a renié sans état d’âme ses engagements les plus solennels. Il ne vit que pour son clan (son parti et sa famille) et, à un moindre degré, pour sa périphérie (PS, AFP, LD, PIT, etc.). Il voit tout en marron-beige, y compris les bus et leurs arrêts, le TER, les ponts, etc. Le cœur de l’administration centrale et territoriale (à un moindre degré) bat au rythme du parti-Etat. Aucun compatriote, fût-il des plus compétents, des plus expérimentés et de plus honnêtes, n’a aucune chance d’être nommé à un poste de responsabilité dans sa gouvernance outrancièrement partisane. A contrario, des individus venus de nulle part sont bombardés à des postes de responsabilité importants, pour leur seule appartenance à son clan ou à sa périphérie.
Tous ses actes, qu’ils soient d’essence politique, économique ou sociale, ont un soubassement politicien et ne visent que sa réélection. Il sacrifie au quotidien nos valeurs cardinales et enfourche, pour arriver à ce seul objectif, deux piteux chevaux de bataille : la corruption et la détestable transhumance, qu’il pratique publiquement et au quotidien, sans état d’âme.
Waaw, comment peut-on faire confiance à un tel homme pour engager un dialogue avec lui ? Qu’attendre vraiment de ce dialogue faussé dès le départ ? Tout le monde sait qu’il s’est fixé très tôt un objectif publiquement déclaré : réduire l’opposition à sa plus simple expression. Tout le monde sait qu’il y travaille au quotidien. En tout cas ses interlocuteurs potentiels ne devraient pas se faire des illusions : ils auront en face d’eux, en cas de dialogue, un politicien pur et dur plutôt qu’un Président de la République. Il jettera sur eux le même regard intéressé qu’un cordonnier jette sur le bouc pour sa peau. Au fur et à mesure que se dérouleront les discussions, il identifiera des têtes qui sont susceptibles d’être achetées. Oui, il achète sans état d’âme des consciences et, avec ses ‘’fonds spéciaux’’ substantiels – et pas seulement d’ailleurs – il en a largement les moyens. Et puis, peut-on vraiment faire confiance à cet homme pour engager un dialogue avec lui. En plus d’être outrancièrement partisan, il respecte rarement ses engagements.
Personnellement donc, je ne crois pas à l’utilité d’un dialogue avec ce politicien pur et dur. Ce qui ne signifie point que je ne croie pas de façon absolue au dialogue. Pas du tout. Cet exercice est consubstantiel à la Démocratie dont il constitue une des voies respiratoires. A condition, bien sûr, qu’il ait pour soubassement la sincérité, l’honnêteté, l’objectivité ; qu’il ne soit pas un jeu de cache-cache faussé dès le départ par l’acteur principal. J’ai la forte conviction que le principal acteur du dialogue politique au Sénégal est incapable de jouer franc jeu. Il nous en administre la preuve chaque jour, chaque mois, chaque année, par sa gouvernance outrancièrement partisane et à mille lieues de la vertu et de la transparence qu’il nous promettait.
Dakar, le 6 septembre 2017
Mody Niang