Dakarmidi – Patrick Mounaty Coly est artiste, mais également professeur d’anglais. Ses œuvres fascinent, inspirent et invitent à la réflexion. Pat Mc (son nom d’artiste) est dans le monde artistique depuis 1990. Ne pouvant dissocier sa vie artistique de celle professionnelle, il revient, sur sa méthode d’enseigner l’anglais à ses élèves, après avoir donné son avis sur la crise qui mine le secteur éducatif.
Vous êtes artiste et professeur d’anglais. Comment alliez-vous votre profession et votre passion ?
L’art est une passion. L’anglais aussi. Durant l’année scolaire, j’ai des heures de cours précises, je fais tout pour les respecter. Je me rends compte que l’enseignement aussi est un art. Parce que, quand on n’a pas le sens de l’écoute, de partage avec les élèves, surtout de compréhension, on ne peut pas enseigner. L’éducation, aujourd’hui, souffre parce que les enseignants n’ont pas une certaine hauteur pour écouter les élèves. L’éducation est statique, parce qu’on répète la même formule depuis les années ‘60. Aujourd’hui, on doit réinventer l’éducation. Mais cette réflexion profonde, il faut des artistes pour la réaliser. Ce ne sont pas des artistes en tant que créateurs, mais des artistes enseignants.
Notre problème, au Sénégal, c’est que ce que l’on fait depuis longtemps, aujourd’hui, on le répète. On apprend les mêmes formules, de sorte qu’on n’évolue pas. Les données ont changé, les comportements aussi, ainsi que les temps. On a maintenant d’autres types d’élèves. Et l’apprentissage n’a pas changé. C’est le même contenu, la même méthode. En séminaire, on donne de l’argent, ils font les mêmes choses. Il faut qu’on sache que l’élève a besoin de faire autre chose. Il faut prendre le contenu, le changer et l’adapter à ses réalités. Je suis artiste, et par la réaction des professeurs et des élèves, je me sens un peu utile. Je rends grâce à Dieu et touche du bois, mes élèves ont les meilleurs résultats en anglais. On se demande comment je fais pour avoir de bons résultats. C’est simple, j’enseigne en prenant compte des réalités des élèves. Je ne les oblige pas à faire quelque chose. J’essaie de voir leur aspiration. Bien sûr, je respecte le programme, mais en l’adaptant à leur réalité.
Quelle est cette réalité ?
C’est-à-dire, les élèves, ils aiment prendre une chanson, par exemple celles d’Akon et les apprendre par cœur. On fait des projections de vidéo, on explique, on développe les mots. En une heure, ils arrivent à capter une page. Au début, on disait : « Coly n’enseigne pas, il passe tout son temps à s’amuser et ce qui est bizarre, tous les élèves veulent aller dans sa classe ». Et même les élèves me réclament comme professeur. On me dit tout le temps : « Tu n’es pas enseignant, tu es artiste ». L’éducation, c’est de l’art.
Cette méthode s’explique peut-être parce que vous aimez la musique, surtout le rap…
Quand j’étais jeune, j’étais passionné par le rap. En général, le papa veut tout le temps que l’on soit carré, c’est-à-dire étudier et avoir de bonnes notes. En général, quand le papa n’aime pas ce que fait son enfant, souvent, sa réaction, c’est de le taper. C’est la maman surtout qui s’est rapproché de moi, qui m’a conseillé. Quand j’avais besoin de livres et que je n’avais pas de moyens, c’est elle qui m’apportait souvent de gros sacs remplis de magazines pour m’aider à faire mes œuvres. On a toujours été proche, elle m’a toujours encadré et conseillé. Et même quand j’avais un problème pour acheter de la colle, c’est elle qui m’en donnait. Aujourd’hui, j’ai pris de l’âge, mais elle s’occupe encore de moi comme d’un gros bébé. Même la nuit, quand je rentre tard, c’est elle, toujours, qui m’attend. Je pense que je suis en train de transférer la tendresse, l’amour qu’elle m’a donné sur les œuvres. Elle a toujours été là. Je peux dire qu’elle a fait de moi un artiste.
Et à l’école, comment vous considéraient vos professeurs ?
J’ai eu beaucoup de difficultés, parce que je suis juste artiste. Par exemple, en classe, le professeur m’indexait même quand je travaillais bien. A l’université, j’ai perdu des bourses pour aller au Canada. J’ai eu des notes changées. Les gens ont des préjugés sur les artistes. Au Sénégal, être artiste signifie être un bandit. Même dans l’Administration, en tant que professeur d’anglais, j’ai des difficultés à être orienté dans des établissements. J’ai la Maitrise, mais on refuse de m’orienter dans des lycées, parce que je suis artiste. Tous mes dossiers dans l’Administration trainent, parce que je suis artiste. Il y a beaucoup de préjugés qui minent l’art. Bien que les gens apprécient ce que je fais, mon parcours en tant qu’artiste est très difficile.
Quels sont les thèmes que vous développez ?
Tout me parle. Ce qui m’inspire en ce moment, c’est le problème entre l’Etat et le maire de Dakar Khalifa Sall. Je travaille sur une série d’œuvres qui parle de cette affaire-là. Souvent, quand on parle d’élection, on invite les économistes, les politologues, on invite tout le monde, mais jamais les artistes. Les artistes ne doivent pas être là juste pour créer de l’ambiance. Et je crois que les échéances comme des élections, les artistes doivent y réfléchir pour permettre aux gens de bien choisir.
Je développe, en outre, tout ce qui parle de l’humain. Je prends du recul, je fais beaucoup de recherches. J’ai beaucoup travaillé sur le rap, sur le naufrage du bateau ‘’Le Joola’’, sur la famine, entre autres. Je vais travailler sur le problème des enfants qu’on enlève avant de les tuer ou de les mutiler.
Comment vivez-vous la crise qui secoue votre milieu depuis plusieurs mois ?
Je pense que les enseignants sont des patriotes. Personnellement, j’ai eu mon diplôme depuis 2012. Si les statuts évoluent, les salaires ne le sont pas. Je ne sais pas l’intérêt que le président Macky Sall trouve à faire souffrir les Sénégalais qui travaillent pour que les élèves aillent de l’avant et réussissent. Comment un président sénégalais, qui a fait ses études au Sénégal, qui a réussi au Sénégal, peut nous laisser ainsi ? Moi, j’ai eu beaucoup de propositions pour quitter ce pays, mais j’ai voulu lui rendre la monnaie, en formant ses jeunes. Si c’était à refaire, je n’allais pas rester dans ce pays. Je ne peux pas concevoir que des gens qui n’ont jamais volé, jamais triché, qu’on les flingue, qu’on nous transforme en pauvres éternels, parce que je suis juste un enseignant.
Mais ça n’a pas de sens. Le président Macky Sall doit décanter cette situation, parce que nous sommes des Sénégalais. Les indemnités de logement qu’on demande, ce n’est rien du tout. On ne peut plus payer une maison à soixante mille. Le rappel qu’on reçoit, on redonne l’argent à nos familles. Ça nous permet de nous soigner, de nous déplacer, de manger, d’acheter des documents. On travaille pour la bonne cause. Si on veut bloquer l’argent de milliers d’enseignants, je dis que c’est un meurtre collectif. Peut-être qu’on veut éliminer la race enseignante. Je ne vois pas l’intérêt de bloquer l’argent. Quelqu’un qui ne demande que son dû pour travailler pour que son pays marche, si on le bloque, je n’en vois pas l’intérêt. On se réveille avec un stress, une psychose, on ne sait plus ce qui se passe dans ce pays.
Par Khady Ndoye
La rédaction