Dakarmidi – Un prétexte pour parler de nous,….Un prétexte pour rappeler au monde à quel point nous sommes incontournables et essentielles à la rotation de la terre…Un prétexte pour parler de toutes ces femmes, banales, normales, mais des femmes terriblement exceptionnelles. Des femmes anonymes, qui se lèvent tous les jours et abattent un travail extraordinaire tous les jours…Elles sont toutes animées par deux choses: l’amour et l’espoir…
Elles sont femmes, elles sont mères, elles sont comme tout le monde, mais elles sont uniques…Chacune d’elle a sa propre histoire, sa propre destinée, ses propres rêves…
Elles s’appellent Saly, Jeanne, Mama et Anna …
Elles sont exploitantes artisanales dans la carrière de Granite de Pissy, Nourrice, Médecin cardiologue, et chef d’entreprise…
Elles ont chacune une histoire à raconter, une inspiration à partager….
Parlons de Saly: J’ai croisé Saly un jeudi matin… Bachir Doussa, mon collègue, m’avait parlé d’un tournage qu’il devait réaliser à la carrière de granite de Pissy… ce quartier populaire situé à l’Ouest de Ouagadougou…à quelques 10 minutes en voiture du quartier huppé de Ouaga 2000. Pissy, un quartier populaire comme il en existe un peu partout en Afrique, somme toute banale, mais qui abrite un endroit surréaliste, un endroit que jusqu’alors, je n’avais vu quand dans les films, et même, pas n’importe lequel…Le site de granite de Pissy dépasse de loin les meilleurs décors et les meilleurs effets spéciaux de la capitale du cinéma mondial…Des tas de granit concassés jonchent le sol à ce qu’on pourrait appeler l’entrée principale…Et, à 50 pas plus loin, un fossé, un grand fossé, un énorme fossé…Une odeur insupportable de pneus brûlés… Il y a des pneus brûlés, des milliers. Des pneus y sont brûlés en permanence en réalité. Grace à un système de feu couvé pendant 7 jours, le granit se ramollit, et il peut être extrait à coups de piques et de marteaux. Il y a çà et là des enfants, des mamans, des vendeuses de galettes, et même une vendeuse de café…Mais les enfants…Cette odeur, toxique….
Mais revenons au fossé…Un fossé qu’on serait tenté d’attribuer volontiers à l’oeuvre de l’érosion…Mais non, l’homme est passé par là, et l’aventure de ces quelques 2000, 3000 personnes a démarré en 1990…28 ans…Et la terre a payé le prix fort: Elle a été éventré, parcequ’en son sein, elle offre un trésor: le granite…
Le granite, ce rocher utilisé pour embellir et construire…Le granit, signe extérieur de raffinement et de richesse, qui tapit le sol de tous ces nantis, est extrait, dans ce site, par des Hommes, avec un grand H. Des hommes qui l’extraient, le transforment et le revendent pour des miettes…Au prix de leur santé et de leur sécurité…Parmi ces Hommes avec un rand H, des femmes. Et parmi ces femmes, Saly…Salimata Konombo qui, elle, ramasse ces gros morceaux de rochers extraits du sol, en pose 3 sur sa tête, à peu prés 12 kg, et fait des aller-retour interminables entre le carré de l’exploitant en question, et son ‘’atelier’’, un abri dans lequel elles s’attèlera alors à concasser les gros morceaux pour ensuite les revendre à un intermédiaire qui se chargera de leur acheter le stock et de le revendre avec une marge aux client final. Pour chaque tas concassé, qui fait environ une soixantaine de gros morceau de rocher, elle se fait un bénéfice de 1500 Frs CFA….Le bénéfice minimal journalier…Un bénéfice qui peut monter au plus, à 5000 Frs CFA jour…
Salimata Konombo est petite, toute menue, et surtout, jeune. Elle a 33 ans. Elle en parait 37. Les rides se sont vite installés sur son si petit visage…Les marques du temps et de sa propre labeur ne l’ont pas épargnée…Parlons de ses rides…Du vieillissement cutané. Parlons alors de la pollution. Dans cette carrière, on se croirait en enfer, ou dans un camps de l’horreur, on se croirait dans ces films où des personnes sont exploitées pour faire un travail qu’elles n’ont aucune envie de faire. D’en haut, on les aperçoit. Ils sont tout petits. Ils bougent. Le temps n’existe pas. Une chaine, un système huilé…où chaque tâche est définie…La chaleur n’existe pas. Les gens autour n’existent pas. La caméra n’existe pas. Mon appareil photo n’existe pas. JE n’existe pas tout court. Rien n’existe, excepté ces battements du coeur…Cette lumière aveuglante du soleil de Ouagadougou, ces petits sentiers créés par plus de 25 ans de passages, et des milliards de pas. répétitifs, et assurés. Très assurés pour ces pentes si raides, que mes mains s’en sont noircies, à force d’attraper tout ce qui était à ma portée…Instinct de survie…Le même instinct de survie qui a poussé la petite Saly, 3 ans en arrière, à arpenter le chemin de Pissy, pour nourrir ses enfants. Elle est mariée depuis ses 19 ans. Elle a 4 enfants. 2 filles, 2 garçons. Son fils ainé a 14 ans, il est toujours à l’école. Une raison pour laquelle Saly continue de ramasser 3 gros rochers toutes les 2 minutes, et de les jeter 30 m plus loin, et un peu plus haut, dans son « coin ».
Saly est belle et douce. Elle est calme et posée. Elle est souriante, une expression me vient à l’esprit »la force tranquille ». Elle est incroyablement forte, mais Saly est fatiguée, surtout fatiguée. La conversation est tout, sauf animée. On est assises sous un abri, sur des rochers, chauds, qui brulent. Il fait 44.9°. Elle me regarde. Ces longs cils sont tout blancs. Normal, elle est là depuis au moins 4 heures. Et entre la fumée noire, le feu qui couve sous les cendres, les cendres noirs et la poussière, elle se tue à la tâche sans se soucier de son apparence…La coquetterie est le dernier de ses soucis. La fumée des pneus brûlés en permanence, tous les jours, à toute heure, à eu raison de sa tenue de travail. Ses incessants aller-retour ont eu raison de sa tapette en plastique, dont une des lanière est coupée. Mais ça, elle s’en fout. Elle est belle, mais ça aussi, elle s’en fout. Loin des caprices de nous jeunes dames du monde, Saly se cherche, et elle survit, tous les jours, pour la survie de ces 4 enfants.
On parle de sa vie… Elle vient de Sabou…A 19 ans, elle se marie.… Elle rejoint alors son époux dans la capitale Burkinabé… Saly n’avait jamais travaillé de sa vie auparavant, excepté les travaux champêtres au village…Ses premières années sont difficiles…Elle finit par trouver du travail comme ménagère. Elle est payée 10 000 Frs CFA le mois. Elle n’est pas logée. Elle s’y rend tous les jours le matin, et rentre le soir. Son salaire est dérisoire, et ne lui sert pas à grand chose. Mais il faut bien que Saly gagne sa vie…Elle finit par quitter son emploi…Sa voisine lui parle alors de la carrière…Elle décide de voir avant, de se faire une idée. A sa première visite, Saly rentre chez elle en étant convaincue qu’elle ne pourra jamais faire ce travail. Mais il faut bien qu’elle prête main forte à son époux…Ils ont à peu prés le même âge, et il a la santé fragile…Le lendemain, Saly signe son premier jour de travail…Elle a en bouclé à peu prés 1100, 3 ans plus tard. 3 ans, à ramasser des gros rochers, à les transporter, à les casser et à les vendre, tout cela, toute seule…Tout cela, sous la canicule légendaire de Ouagadougou, qui dépasse en général les 38°, dans la poussière et l’odeur suffocante des pneus brûlés..la peau noircie par le sol noir…Sans masque et casques de protection, sans chaussures adéquates, dans les pires conditions qu’on puisse imaginer pour ce type de travail…
Tout cela, tout de meme, pour un chiffre d’affaire journalier garanti. Pour le pain de sa progéniture, au quotidien. Suffisant alors pour que Saly arpente le même chemin le lendemain de son premier jour de travail..Et quand je lui demande comment c’était passé le premier jour, Saly sourit. Elle avoue: c’était dur, très dur. Le premier soir toutes les parcelles de son corps avaient hurlé de douleur, son être tout entier avait ressenti le poids de ce travail de titan qu’elle lui avait imposé, au non de l’honneur, de la dignité et de l’amour. Mais son corps n’a pas pu résister longtemps, il a finit par souffrir de toute cette pollution et de ces dizaines de KG de pierres qui écrasent ses vertèbres….tous les jours. Une pollution qui lui détruit inexorablement les poumons, et un poids qui lui détruit inexorablement le dos, et les articulations…Saly est sous traitement. Sa dernière ordonnance lui a couté à peu prés 2 jours de travail…Mais occupée à assurer son quotidien, elle assume parfaitement cet état de fait et, entre le long terme et le présent, elle a fait son choix, si on peut appeler cela un choix.
Elle a du se plier à la contrainte de mettre en gage sa santé et son futur pour assurer leur présent et leur futur, à ses enfants, et à elle même d’ailleurs…Saly s’offre même le luxe de mettre de l’argent de coté, pour construire sa maison…plus tard…Oui, Saly a des rêves …Et Saly a de l’amour à revendre. Deux raisons suffisantes pour continuer à défier la vie et le destin, et à défier la force de l’inertie. Saly est une femme banale, qui passe tous les matins devant des milliers d’hommes et de femmes, peut-être même devant vous. Saly passe inaperçue, quand elle pédale machinalement son vélo, venant du quartier dit des ‘’non-lotis’’. Elle s’arrête à des feux rouges, comme tout le monde, et reprend son chemin, quand tout le monde avance…Et personne autour d’elle ne se doute une seule seconde de sa force et de sa bravoure. Et devant Saly, je suis restée admirative …Devant Saly, j’ai ressenti un profond respect pour son courage, sa force et sa détérmination… Saly est une héroine…Saly est une femme…Alors, pour cette journée dédiée à toutes les femmes du monde, je rends hommage à toutes ces anonymes, qui, face à l’adversité, ont foncé tête baissée parcequ’elles refusent la fatalité.
Hommage à toi, Salimata Konombo.
Par Rabia Diallo