Dakarmidi – Je souhaiterais, en tant que citoyen et universitaire qui s’intéresse à son pays et que préoccupe son destin, prendre part, sans esprit partisan d’aucune sorte, au débat national relatif aux questions suivantes : « le dialogue politique » ; « le chef de l’opposition » ; « la limitation des partis politiques » ; « le financement des partis politiques ».
Un premier constat permet de voir qu’il est ici strictement question de politique, « politicienne », dirais-je. Il est vrai que c’est une mauvaise excuse de dire que l’on n’est pas concerné et que l’on ne fait pas de la politique, car on l’a fait toujours ou on la laisse faire par d’autres pour nous, et si ce n’est pas pis, c’est du pareil au même.
S’agissant du dialogue politique, point n’est besoin de statuer sur le pourquoi le faire ou sur le comment y parvenir. Il devrait se faire normalement dans et par le jeu démocratique des acteurs du pouvoir, de l’opposition et de la société civile. Il est vrai cependant que c’est le pouvoir en place, représentant légitime des intérêts de la nation, qui devrait prendre des initiatives de communiquer sur les grands dossiers de l’État ; d’assumer les réussites et les échecs ; de clarifier des positions prises, comme il incombe aussi aux parlementaires de le faire. Tout est déjà là ; alors que chercher d’autre, si ce n’est d’essayer de nouer des alliances politiciennes ou de créer des situations de rapport de force ou d’équilibre de la terreur ou de conditions favorables à la transhumance ?
S’il est vrai que c’est l’intérêt national qui prime, les institutions que nous avons déjà en place permettent d’instaurer un dialogue démocratique fructueux sans que le président de la République n’ait besoin d’appeler périodiquement l’opposition au dialogue, que du reste elle refuse périodiquement si certaines conditions ne sont pas satisfaites. C’est l’eternel jeu toujours recommencé du chat qui cherche à dévorer la souris qui n’en est pas moins méfiante et qui craint de tomber dans ses pièges.
On agite tout aussi périodiquement l’idée d’instaurer un Chef de l’opposition. Idée tout aussi fallacieuse et stérile qui ne contribuerait qu’à instaurer davantage de division et de clivage au sein de l’opposition. Pour être le représentant de l’opposition, il faudrait pouvoir parler en son nom, après des consultations qui requièrent un large consensus de la part des acteurs face au pouvoir en place. Que nous enseigne l’expérience ? Les leaders de l’opposition ne s’entendent sur quasiment rien du tout, même pas pour former un grand bloc de coalition contre le pouvoir en place, vertement critiqué pourtant par tous, car chacun refusant de perdre « sa petite auréole » au profit d’un autre leader. Entre les leaders de l’opposition le dialogue est déjà impossible alors comment serait-il possible qu’un des leurs puisse les représenter et parler en leur nom pour défendre leurs intérêts face au tout-puissant président de la République ?
En revanche, instituer un Chef de l’opposition est une excellente chose pour le pouvoir en place qui aurait ainsi un interlocuteur « mandaté » ou « représentatif » pour dialoguer, minimisant ou évitant ainsi les graves tensions de se retrouver avec plusieurs acteurs. Gouverner, c’est certes diviser, mais c’est surtout neutraliser « démocratiquement » les opposants en fractionnant leurs forces de frappe. Le Chef de l’opposition apparaîtrait comme un allié objectif du pouvoir.
Et dire que ce Chef de l’opposition aura rang de ministre, avec tous les privilèges y afférents que sûrement il ne sera pas prêt à abandonner, ce qui le rendrait vulnérable pour ne pas dire plus. Surtout qu’il va profiter d’un système qu’il est censé combattre. Tout le monde sait que l’on ne parle pas la bouche pleine. Ou si on le fait, on parle mal, de manière inaudible ! Pourquoi ce besoin d’unanimisme au lieu de laisser se développer dans la vie politique les joutes, les contradictions, les différences, les divergences ? On aime bien user, que c’en est lassant, du terme « populiste » de « consensus » là où, en fait, devrait primer tout simplement la démocratie. Ainsi, notre système démocratique fortement dépendant du pouvoir exécutif présidentiel perdrait beaucoup à instaurer une « structure politique » comme le Chef de l’opposition.
La limitation des partis politiques est, en revanche, une excellente idée si elle ne fait pas obstacle à la liberté d’association et à celle d’entreprendre. Il a été suggéré de le faire à partir de la participation effective et de résultats obtenus aux élections. Je pense que c’est une bonne piste à explorer, quoique je ne trouve nullement gênante cette multitude de partis politiques, dont certains meurent, comme ils sont nés, sans tambour ni trompette de leur belle mort, et d’autres ne se créent que pour « racoler », comme des belles de nuit au plus offrant. Limiter les partis, ils seront remplacés par des mouvements de soutien ou autres. On sait bien que certains n’ont même pas de siège social, pas plus d’une dizaine de membres en dehors de la famille… et que sais-je encore ? La vitalité d’une démocratie est loin de dépendre du nombre de partis dans un pays. Peu importe qu’il y’en ait 3 ou 300, ce qui compte est ailleurs. Parle-t-on du nombre des députés ? des ministres ? des conseillers ? des institutions ?
En revanche, le financement des partis politiques pose problème. Pour quelles raisons financerait-on ces partis qui briguent le pouvoir ? Ils devraient avoir les moyens de leur ambition. Et dire que, par ailleurs, on cherche à les limiter. On verrait au contraire leur prolifération. On a l’expérience du Fonds d’Aide à l’Édition du Ministère de l’éducation qui a vu naître une pléthore d’éditeurs pour capter la manne financière sans parfois aucune compétence. En quoi serait-il plus démocratique de les financer ? Ce serait encore un moyen de les contrôler et de les soumettre au diktat de l’argent du pouvoir. Assez donc de considérations de politique politicienne sans fin.
Il est possible d’assainir la vie politique autrement que d’agiter ces questions politiciennes. Il faut, entre autres exemples, s’évertuer à rendre davantage effective la séparation des pouvoirs, faire de la politique comme il se doit : en privilégiant l’intérêt national au détriment des intérêts particuliers, mettre en veilleuse les partis pris, instaurer périodiquement de grands débats de société, reconnaître le mérite des uns et des autres, mais surtout, il en est temps, changer le système politique actuel sur lequel nous fonctionnons depuis l’indépendance, ce qui contribue à notre retard et plombe nos institutions calquées sur d’autres sans tenir compte de nos traditions, de nos réalités et de nos besoins.
Nous avons produit, reproduit même, dirais-je, à l’excès, un système de gestion politique qui milite pour le clientélisme électoraliste (« avoir une base » ; « être porteur de voix ») au détriment du mérite, qui engendre la médiocrité, la politique politicienne, les positions partisanes, les transhumances tous azimuts et qui n’a d’autres conséquences que celles, entre autres, de privilégier, pour tout président de la République, quel qu’il soit du reste, « le parti au détriment de la patrie », car il sera nécessairement soumis, s’il veut être réélu, à ce que j’appelle « la malédiction du second mandat » qui nous vaut tant de déboires de tous genres. Si encore il entend se limiter à un second mandat au risque de changer la constitution avec des mains nullement « tremblantes », mais « armées » !
Pour une révolution politique et citoyenne, pour le travail et pour « l’émergence », il faudra, à mon sens, institutionnaliser un mandat unique pour le Président de la République qui ne serait plus ni chef ni même membre de parti politique. Ce qui lui permettrait de bien travailler, de rendre caduque la confusion entre le chef de parti et le président de la République et de le libérer des diktats, des pressions et des chantages d’où qu’ils viennent (des politiques, des syndicats, des marabouts, de la rue…). Il faut de « fines oreilles » aujourd’hui pour entendre cette parole d’avenir. C’est assurément le grand combat à mener. C’est tellement évident. Du moins pour ceux qui ont en considération l’intérêt national et le développement du Sénégal.
Pr Ibrahima Sow
Dakar, le 2 octobre 2017
Directeur du Laboratoire de l’imaginaire