Dakarmidi – Lorsqu’Axelle Kabou avait posé la problématique du retard de l’Afrique imputable à des facteurs foncièrement endogènes au continent, des voix sporadiques se sont partout levées pour crier au scandale. Et pourtant son analyse aussi partielle et partiale qu’elle pouvait apparaître, mettait en exergue des questions particulièrement intéressantes dont celles du développement et de ses obstacles. Plus de deux décennies se sont écoulées et ces mêmes interrogations nous traversent encore l’esprit. C’est dire donc que la situation ne s’est point améliorée si elle ne s’est pas empirée.
Mais réfléchir sur la problématique du développement, c’est la plupart du temps, comme le font à l’accoutumée les théoriciens et spécialistes, adopter une démarche comparative, qui se fonde sur des instruments dont la pertinence et les critères de validité et de fiabilité sont sujets à critique. Ces instruments de mesure, comme de véritables moyens de disqualification et d’exclusion, éliminent certains Etats non pourvus de capital économique fort pour les faire jouer un rôle mineur au profit des grandes Nations conquérantes.
Si on essaie d’y voir un peu plus clair, en se plaçant au-delà du discours dominant et des référents explicatifs généralement adoptés, le développement apparaît comme une gigantesque idéologie partisane de la division du monde actuel en deux blocs économiquement séparés, géographiquement situés et finalement très antagonistes. Les intérêts des uns défient evidemment ceux des autres.
Il est de notoriété publique qu’aujourd’hui, une infime partie de pays « élus » décide du sort et du destin de peuples et de nations jugés « menaçants », tantôt traités de « voyous » tantôt accusés d’être le mal par excellence. Ces « pays élus » sont la plupart du temps ceux dont le niveau économique le justifie. C’est pourquoi, c’est au banquet des pays riches que le monde actuel se modèle, se structure, s’organise, se fait et peut être se désintégrera.
Dans cette morphogenèse de la superpuissance, on assiste à une course folle aux armements, à l’énergie nucléaire, à l’intimidation voire à l’occupation sans que cela ne pose aucun problème. C’est le droit du plus fort, pris ironiquement en apparence et réellement établi en principe.
Détenteurs du seul et unique monopole de la décision légitime, derrière une institution que le Général De Gaulle, naguère, appela « le machin », les « pays élus » se présentent, à l’arrache, comme les meneurs de ce nouveau monde émergeant. Et la légitimation de leur position dominante trouve son ancrage dans les fondements idéologiques du développement et dans sa dimension latente fort insoupçonnée.
L’histoire a connu plusieurs péripéties: traite des esclaves, colonisation, guerres mondiales,génocides, etc… qui se sont matérialisées par des oppositions et des dissidences très conséquentes. Néanmoins le rapport de force que l’idéologie du développement nous convie est beaucoup plus subtil, moins visible certes, mais aussi dévastateur et certainement plus durable, hélas. François Partant faisait savoir que le développement répondait au même besoin que la conquête coloniale, qu’il était la forme déguisée d’une même entreprise impérialiste, qu’il était un construit idéologique qui nourrit et entretient la domination du Nord sur le Sud, des pays riches sur ceux dits pauvres. L’actualité internationale et le brouhaha qui l’agitent ne font que réconforter cette funeste thèse.
La configuration actuelle du monde et un regard quasi objectif sur les relations internationales nous incitent à s’interroger sur les fonctions inavouées et répressives que le développement et ses dérivés remplissent si intelligemment par des canaux institutionnels solidement pensés : Banque mondiale; F.M.I; O.M.C qui « interviennent » dans le secteur purement économique, répartissent inégalement les ressources et l’O.N.U, siège des ayants droit du progrès où les décisions les plus chevronnées se discutent, se formalisent, s’actent ou tout bonnement censurées au nom d’un realpolitik qui ne dit point son nom. A ce moment critique, l’UNESCO est minorée, certains Etats boudent car, problablement la diversité et la protection des expressions culturelles les font rougir. Et pourtant…
Les pays déchus, à l’image d’un objet de réflexion qui n’existe que pour son sujet qui le pense et le fait exister en tant qu’objet, sont quasiment « absents » dans ces lieux où, depuis la fin de la seconde guerre, tout s’élabore et s’impose à tous en vertu de conventions, de traités et de résolutions.
Pourquoi la réforme du Conseil de sécurité de l’ONU demeure toujours un tabou? Après sept décennies d’expériences peu reluisantes, n’est-il pas opportun d’envisager un autre paradigme de réglement des conflits beaucoup plus juste qui reflète la diversité et la complexité des relations interétatiques? Paul Valery avait conjecturé que : « le temps du monde fini commence », et aux canons sonores des impérialistes se substitue toute une gamme de stratégies dominatrices légitimées par l’instauration d’un « ordre économique mondiale », par la création des Nations « unies » et la croyance d’un mythe du développement qui se présente comme l’un des purs subterfuges des temps modernes.
Mouhamadou Sédar NDIAYE
A Lyon, le 18/03/2018
sedar.ndiaye@yahoo.fr