« Pourquoi empiler les textes constitutionnels lorsque les standards en la matière sont codifiés depuis longtemps et que les problèmes fondamentaux se situent non pas dans les textes, mais, en dernière instance, dans notre rapport au pouvoir et dans notre culture politique ? »
Si cette interrogation ne se trouvait pas dans son livre sur la réforme constitutionnelle de 2016, je douterai de quiconque m’aurait dit qu’elle avait été exprimée par Ismaila Madior Fall. Deux années se sont écoulé depuis cette révision, deux années sont courtes dans la vie d’un individu à fortiori dans celle de cette fiction transcendantale dénommée nation. Mais deux ans après qu’il nous ait dit que ces atteintes à la rigidité de notre constitution est tributaire de « notre rapport au pouvoir et d(e) notre culture politique », Ismaila Madior Fall se présente comme le défenseur d’un nouveau projet de révision constitutionnelle, initié par Son Excellence Macky Sall.
Ce dernier avait aussi exprimé deux ans après son élection, et plus précisément le 13 Février 2014, sa vision d’un renouveau du régime politique afin que : l’accent soit mis sur les fondamentaux et non sur des difficultés d’ordre conjoncturel, encore moins sur les aspérités dues aux péripéties du jeu politique et aux ambitions légitimes des uns et des autres. Ces discours du Professeur Ismaila Madior Fall et du Président, nouvellement élu, Son Excellence Macky SALL, font montre d’une certaine désuétude, d’une contradiction, quand on les confronte au projet de loi sur le parrainage et la modification de l’article 57 de la constitution. Qu’est ce qui a changé entre temps ?
Entre temps, Macky SALL s’est habitué à l’exercice du pouvoir présidentiel et de ses prérogatives, son conseiller en matière de droit est devenu son ministre de la justice. Du slogan « la patrie avant le parti », on passe à la réalité de la conquête du pouvoir par le chef du parti présidentiel et ses lieutenants, au premier chef, le ministre de la justice devenu membre du parti présidentiel, d’après la presse.
LE CHEF DE PARTI ET L’INGENIEUR CONSTITUTIONNEL
Parmi les critiques que le Professeur FALL soulevait contre les régimes ayant précédé l’ère de l’actuel Président, il y avait que les modifications de la constitution portaient surtout sur la « Constitution Politique », concept désignant les titres de la constitution sur l’acquisition, l’organisation et l’exercice du pouvoir politique. Si on se fie à ce paradigme, il apparait qu’en moins d’une année des joutes électorales, Macky SALL suit les pas de ses prédécesseurs au risque de « déconsolider » la démocratie sénégalaise. En introduisant le projet de loi sur le parrainage pour tous et, la modification de l’article 57 sur l’exigibilité d’être électeur pour être éligible, Macky SALL apparait plus comme un chef de parti, préparant sa propre succession, même si le discours officiel parle de volonté de rationnaliser le nombre de partis politiques.
L’expérience de la reddition des travaux par la Commission Nationale de Réforme des Institutions corroborent cette idée selon laquelle le chef du parti présidentiel, souvent, choisit ce qui est susceptible d’être bénéfique à son parti politique. 700millions de francs du contribuable ont été mobilisés pour les travaux de la CNRI au bout desquels, le Chef du parti présidentiel a jugé de choisir ce qu’il a jugé « utile et nécessaire ». Dés lors, nous pouvons parfaitement être d’avis avec les membres de l’opposition politique pour qui, la fonction latente de ce projet de modification de la constitution est d’éliminer des adversaires politiques.
De plus, les variations principielles d’Ismaila Madior FALL ont l’air de ses couleurs politiques du moment. En revenant sur ses théories, en cherchant à nous faire ingurgiter d’autres paradigmes, alors que les premiers concepts qu’ils nous avaient administrés en 2016 ne sont pas encore digérés, Ismaila Madior FALL apparait moins comme un professeur, parce que manquant de pédagogie dans ce contexte, et plus comme un Ingénieur constitutionnel au service d’un chef de parti.
Certains membres de la société civile et d’autres de la sphère politique l’ont d’ailleurs mentionné. Il y a un consensus sur la nécessité de rationnaliser les partis politiques, mais le besoin de le faire maintenant, à quelques mois des élections, laissent préjuger d’un dessein conjoncturel de réélection en 2019, au détriment d’une approche structurelle concertée de la part de toutes les forces politiques et citoyennes.
Ce dessein conjoncturel défendu par l’ingénieur constitutionnel au service du chef du parti présidentiel est limpide, si l’on sait que des points déterminants de la réforme des institutions – à l’instar du statut du chef de l’opposition – ne sont pas encore d’application ; pourtant 700millions avaient été jugés nécessaires comme budget de la Commission ayant fait ces propositions.
La perte de confiance de l’opposition vis-à-vis de l’exécutif tient à ces contradictions soulevées, et à cette prolificité de théories du droit, grandissant au gré des situations à légitimer, aux bons soins de l’ingénieur constitutionnel Ismaila Madior FALL. Dans son ouvrage sur la dernière réforme constitutionnelle, Il disait que la règle de modification de la constitution est la voie référendaire, et l’exception, le parlement : la tournure rédactionnelle de l’article 103 montre que le constituant érige clairement le référendum en procédure normale d’approbation des révisions…la règle de l’approbation référendaire des révisions, érigée par le constituant, devient l’exception tandis que l’exception de l’approbation parlementaire devient, de facto, la règle.
Malgré ce principe qu’il défendait, on se rend compte, deux ans plus tard, que le nouveau projet sur le parrainage pour tous a été directement envoyé à l’assemblée nationale ; et l’Ingénieur constitutionnel Ismaila Madior FALL est solidaire de cette démarche.
CULTURE POLITIQUE D’UNE ASSEMBLEE, FORCE OUVRIERE DU REGIME PRESIDENTIEL
« Les responsables politiques prennent la voie parlementaire parce que « on reste entre soi » et peut être parce que l’on a peur que le peuple vote mal… [2]»
Cette citation nous donne une idée de la raison pour laquelle l’article 103 de notre loi fondamentale a été interprété dans le sens de bénéficier au parti présidentiel. La culture politique d’une assemblée, force ouvrière du régime présidentiel peut expliquer cette occurrence.
Ailleurs, notamment en France, les parlementaires ont six principes déontologiques qui s’imposent à eux. Bien vrai qu’ils soient issus des partis politiques, les députés de la République française tentent de respecter ces principes déontologiques que sont : l’intérêt général, l’indépendance, l’objectivité, la responsabilité, la probité et l’exemplarité.
A l’issue des travaux de la CNRI pour lesquels le peuple a contribué 700 millions, de nouveaux pouvoirs ont été donnés à l’Assemblée nationale de la République du Sénégal concernant le vote des lois et le contrôle de l’action gouvernementale. D’ailleurs un avis de recrutement de doctorants, pour assister les parlementaires sénégalais à plus d’efficience, a été publié récemment.
Malgré ces efforts du peuple sénégalais, beaucoup de députés préfèrent se comporter comme la force ouvrière du chef de parti. Dans le contexte sénégalais, la déontologie parlementaire française – portant sur l’intérêt général, l’indépendance, l’objectivité, la responsabilité, la probité et l’exemplarité – cède le pas à l’intérêt de la réélection du parti et aux actes de gratitude vis-à-vis du chef de parti, mêlant devoir de réponse, au nom de celui-ci, et même des invectives.
Toutes ces considérations du trio Chef de parti, Ingénieur Constitutionnel et Ouvriers parlementaires, nous font réaliser la quintessence des mots de Barack Obama selon lesquels l’Afrique a davantage besoin d’institutions fortes que d’hommes forts. Ainsi, nous ne nous faisons pas d’illusion sur un vote favorable au projet de loi sur le parrainage.
TRAORE Cheikh Tourad.