« Quand j’aborde les questions des femmes, comme champ de la recherche sociale, je me situe résolument du côté scientifique, non pas que j’évacue la dimension idéologique, parce qu’elle est nécessaire, car il faut une vision pour bâtir un projet de société et la science est au service des projets de société. Mais les scientifiques ne sont pas neutres et l’objectivité c’est reconnaître sa propre subjectivité (je suis une militante de la cause féminine, de la justice et de l’égalité sociale), mais être scientifique c’est aussi avoir la capacité de la distanciation nécessaire par rapport à l’objet de recherche pour appréhender le réel ». Fatou Sarr, Le Genre dans la recherche scientifique.
Dans la conclusion de la lettre de félicitation que je lui adressais au mois de novembre 2013, alors qu’elle venait fraichement d’être distinguée par la prestigieuse université américaine de Boston, j’écrivais, de façon prémonitoire peut-être : « Femme engagée, dévouée et rompue à la tâche qui est sienne, soyez sûre et certaine que d’autres succès s’en suivront Inch’ALLAH ». En tenant de tels propos à l’époque, je n’étais certes pas dans le secret des dieux, mais non plus, dans une prédiction infondée. C’était juste une question de logique et de bon sens vu le travail remarquable qu’elle abattait déjà au profit de la communauté internationale, du Sénégal et de la femme en particulier. L’histoire me donne aujourd’hui raison puisque depuis lors, les consécrations et autres marques de reconnaissances n’ont cessé de saluer l’engagement volontariste d’une femme intrépide au parcours académique et professionnel déjà très reluisant.
Une femme au service de la science
Titulaire en 1998 d’un Ph.D en Travail social et Politiques sociales de l’Université canadienne Laval située dans la ville de Québec, le Pr. Fatou Sarr avait déjà soutenu une thèse de doctorat en Sociologie et Anthropologie du Politique en 1991 à l’Université Paris 8. Outre ces deux thèses de doctorats, obtenues avec les mentions « Très honorables » en sus des félicitations unanimes des jurys avec autorisation de publier, le Pr. Fatou Sarr a eu également deux DEA (Diplôme d’Etudes Approfondies) en Science de l’Environnement et en Sociologie du développement respectivement à l’Université de Dakar et à l’Université Paris 1 Sorbonne après une maîtrise en Economie du développement à la faculté des sciences économiques de l’Université Aix-Marseille II. Elle est également titulaire d’une maitrise en travail social obtenu à l’Ecole Nationale des Travailleurs Sociaux Spécialisés (ENTSS) de Dakar.
Ce parcours académique fort éloquent lui a très tôt ouvert les portes de l’enseignement supérieur après avoir travaillé, en tant que fonctionnaire de l’Etat du Sénégal, dans différentes institutions publiques comme travailleur social, cette profession initiale qu’elle ne cesse de revendiquer fièrement et partout, du fait justement de la mission exaltante dévolue à ce corps spécial. Ses premières années dans l’enseignement supérieur, elle les a capitalisées à l’Université de Namur en Belgique mais aussi à l’ENTSS de Dakar. Recrutée à l’IFAN en 1999 en tant que chercheure et socio-anthropologue, elle est constamment sollicitée par le département de sociologie de l’Université de Dakar pour la formation des étudiants notamment ceux préparant des recherches en rapport avec le genre. Ceci n’est rien d’autre la concrétisation d’un vœu longtemps nourri car, comme elle le disait lors du lancement des activités du Labo Genre en 2007 « le Labo genre se veut d’être un espace de convergence entre les universitaires et les spécialistes de terrain ». De même, elle a eu à animer beaucoup de séminaires, d’ateliers et de conférences pour le compte des autres universités sénégalaises notamment celles de Bambèye et de Saint-Louis.
Au plan international, le Pr. Fatou Sarr intervient couramment au Centre d’Etude Africaine de Madrid de l’Université LLeida, à l’université de Granada en Espagne, à l’Institut des Hautes Etudes Internationales pour le Développement (IHEID) de Genève entre autres hautes institutions d’enseignement supérieur. Elle a eu également à animer de nombreux séminaires et conférences dans des universités nord et sud-américaines mais aussi à participer à des symposiums, colloques, journées scientifiques entre autres rencontres regroupant des sommités mondiales dans leurs domaines respectifs de travail.
Quid du Laboratoire Genre et recherche scientifique ?
Le Laboratoire genre et recherche scientifique de l’IFAN Cheikh Anta Diop a été créé dans un contexte marqué particulièrement par une entrée timide voire infractionnelle du Genre dans l’espace universitaire sénégalais. Ce contexte était également marqué par une demande de plus en plus forte et pressante de la part de nombreux intervenants, publics comme privés, de l’intégration du genre dans certains projets et programmes de développement. A l’époque, il avait été également noté une absence réelle de spécialistes, chose qu’il faille d’abord régler. C’est dans ce contexte que le Laboratoire Genre et Recherche Scientifique a été créé en 2004 par le Pr. Fatou Sarr, après avoir convaincu scientifiquement les réfractaires à l’implantation du genre dans l’espace universitaire sénégalais. Le directeur de l’IFAN à l’époque, le Pr. Djibril Samb pour ne pas le nommer, intellectuel rigoureux et chevronné, lui avait alors demandé de lui démontrer l’intérêt voire, la pertinence d’institutionnaliser le Genre à l’Université à travers une démonstration scientifique plausible.
Un exercice scientifique aux allures d’un défi sur lequel s’était alors penchée le Pr. Fatou Sarr qui ne tarda pas à publier la même année, dans le Bulletin de l’IFAN, un article fort remarquable intitulé Le Genre dans la recherche scientifique. Elle y démontre, après avoir circonscrit les contours idéologiques et scientifiques du concept de Genre, l’intérêt d’intégrer cette approche nouvelle dans la recherche sociale car, au-delà d’être théoriquement une notion abstraite sujette à de nombreuses confusions et autres controverses, reste tout de même (i) un concept opératoire, (ii) un outil d’analyse et surtout (iii) un enjeu fondamental de développement. Par conséquent, si la scientificité d’une discipline se jauge à l’aune du triptyque Objet – Méthode – Outils alors rien ne s’oppose plus maintenant à l’institutionnalisation du genre dans l’espace universitaire, puisqu’il a non seulement un objet d’étude qui lui est spécifique (les relations hommes-femmes) mais aussi un cadre conceptuel et théorique qui découle du paradigme de l’égalité des sexes et enfin un outil de diagnostic, de mesure et d’analyse des inégalités. Cet exercice rigoureux de démonstration scientifique a fini par convaincre les plus sceptiques à accepter l’entrée officielle du Genre dans l’espace universitaire avec l’ouverture, en 2004, du Laboratoire genre et recherche scientifique de l’IFAN Cheikh Anta Diop. Le laboratoire a depuis lors formé de nombreux experts et spécialistes dans le domaine spécifique du genre, renforcé la capacité de beaucoup d’acteurs sur l’approche genre, accompagné des projets et programmes en renseignant les indicateurs genre en amont et en aval des interventions alors que ses travaux ont rigoureusement contribué à une meilleure connaissance de la situation des inégalités et disparités de genre au Sénégal. Au-delà de ses activités régaliennes, le Labo Genre a encadré et financé des cohortes d’étudiants, produit une vingtaine d’ouvrages, une trentaine d’articles scientifiques et de nombreux rapports d’études sur les questions de genre et développement.
Les reconnaissances
Militante active et assumée de la cause féminine, le Pr. Fatou Sarr, outre ses charges d’enseignante et de chercheure, est depuis 1998 experte pour les institutions des Nations Unies dans une vingtaine de pays d’Afrique et des caraïbes pour la formation en genre, l’évaluation et la formulation de programmes et budget sensible au genre (Haïti, RDC, Rwanda, Togo, Gabon, Burundi, Ile Maurice, Congo, RDC, Cameroun, Cote d’Ivoire, Mali, Mauritanie, Niger, Tchad, Togo, Maroc, Djibouti, Sao Tomé et Principe etc.). Au plan international, elle a récemment élaboré la stratégie genre de l’Union Européenne. Toutes choses par ailleurs qui lui valent aujourd’hui des reconnaissances, consécrations et autres titres honorifiques à l’instar de cette légion d’honneur décernée par la République française.
Elle a rendu de nombreux services à son pays, non seulement en tant que fonctionnaire, mais aussi en tant que militante de la cause féminine et simple citoyenne soucieuse du développement socio-économique de son pays. Elle s’est impliquée, en tant que médiatrice, dans la résolution de nombreux conflits et a participé à divers mouvements œuvrant pour un apaisement du climat social. Entre autres services rendus à son pays, le Pr. Fatou Sarr a été membre de la commission de réforme du secteur de l’enseignement supérieur en 2013 ; de la commission de concertation nationale de la santé et de l’action sociale en 2012 mais aussi du HCA (Haut conseil de l’audiovisuel) de 2001 à 2006 pour ne citer que ceux-là en guise d’exemple. Le Sénégal est également reconnaissant de ses efforts en la nominant, dès 1999, Chevalier de l’Ordre National du Lion puis Officier de l’Ordre national du Lion en 2015. Outre ces distinctions républicaines, le Pr. Fatou Sarr est également distinguée par d’autres grandes structures et institutions nationales. Citons-en juste quelques exemples
Prix de la Grande figure citoyenne en 2015 de Ressource / Sunnunet pour son œuvre et son engagement républicain ;
Mentor de la Grande Rentrée Citoyenne 2015 organisée par Intelligences Magazine ;
Cauris d’Or du Meilleur manager femme en 2014 décerné par le Mouvement des entreprises du Sénégal (MEDS) en sa qualité de Présidente du Réseau Africain pour le Soutien à l’Entreprenariat Féminin (RASEF) ;
Nominée Eminente éducatrice en 2008 par le Comité exécutif du Forum des Educatrices Africaines (FAWE).
Décerner la Légion d’honneur de la France au Pr. Fatou Sarr en guise de reconnaissance de son engagement citoyen et militant ainsi que pour ses travaux scientifiques en tant que chercheure, au-delà d’être un mérite, est aussi une consécration dédiée à toutes ces personnes, hommes comme femmes, qui luttent jours et nuits pour une société plus égalitaire, gage d’une véritable justice sociale. Distinguer le Pr. Fatou Sarr, c’est aussi saluer le travail de toutes ces femmes pionnières qui ont su impulser et dynamiser, dans un contexte particulièrement difficile, le mouvement social féminin sénégalais au lendemain de l’accession de notre pays à la souveraineté internationale. Honorer le Pr. Fatou Sarr, c’est enfin encourager tous ces jeunes intellectuels sénégalais engagés à consolider les acquis et à accompagner cette dynamique de transformation sociale en vue d’arriver à une société où homme et femme jouiront des mêmes droits fondamentaux et bénéficieront aussi, de façon équitable, des mêmes opportunités pour espérer arriver à l’émergence tant chantée.
Toutes nos félicitations Professeur !
————————
Abdoulaye CISSE,
Sociologue-Chercheur,
Psychologue-conseiller,
Membre permanent du Labo Genre de l’IFAN.
abdoulayecissesam@gmail.com