Second semestre de l’année 2015. Le Président Macky Sall est aux commandes de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest : CEDEAO. Le dossier épineux et jamais épuisé de la crise politico-institutionnelle de la Guinée-Bissau est sur sa table. Comme il était en bonne place dans l’agenda de ces prédécesseurs, à la tête de la CEDEAO. Soudain, un coup voire un roulement de tonnerre retentit dans le ciel de la Transition accouchée aux forceps mais chargée d’espoir du Burkina Faso. Le scénario redouté par une poignée d’observateurs avisés se produit : le connétable Gilbert Diendéré donne un coup d’arrêt à la Transition, par un coup de force militaire. Des capitales africaines s’émeuvent, le peuple burkinabé se révolte et Macky Sall débarque à Ouagadougou. On connait la suite et, surtout, on en retient une médiation dangereusement déraillée, au point de promener le Burkina au bord d’un ravin ayant toutes les caractéristiques d’un tombeau pour la Transition, pour les Forces armées du Burkina et pour le « Pays des hommes intègres ».
Le « Plan Macky Sall » est mort-né dans la douleur, la déception et la colère. En revanche, les traumatismes, les séquelles et un brin de rage issus de cette médiation déraillée, sont encore vivaces dans les mémoires, les propos et les postures de certains segments du peuple burkinabé. Les manuels d’Histoire dévoileront, un jour, les identités des inspirateurs, des conseillers et des souffleurs de ce schéma de sortie de crise, plus proche du salut du Général Diendéré que du sauvetage d’une Transition chère au peuple révolté et tombeur de Blaise Compaoré. Certaines sources indexent un richissime homme d’affaires plus apte à capter et à capitaliser des fonds (il maitrise son métier) qu’à passer au rayon X, les arcanes de la politique, la température des casernes, les manœuvres du Landernau et les coups fourrés du Gotha ouagalais. C’est à se demander également, si les rapports, les notes et les analyses de Mme l’ambassadeur du Sénégal au Burkina, avaient bien fouillé et nettement répercuté sur Dakar, les contours de la conjoncture à laquelle la médiation de Macky Sall allait être sérieusement confrontée.
Aujourd’hui, second et sinistre anniversaire du putsch pro-Blaise de 2015, l’heure est à la « redynamisation », pour reprendre un mot employé, deux fois, dans le JT de la RTS, du 13 octobre. Autrement dit, le Président Sall remet la rame sur les rails des retrouvailles confiantes puis redémarre la locomotive de la coopération bilatérale qui, elle-même, reste indissociable de l’impérieuse concertation sous régionale. En effet, l’ambiance infernale en prévalence dans le Sahara-Sahel commande et dicte la diplomatie des blocs forts et solidaires, face à un terrorisme déstabilisateur. Du coup, la Sainte-Alliance justifie toutes les marques de considération, tous les assauts d’amabilité et tous les actes officiels de renforcement des relations entre les deux Etats logés à la même enseigne géostratégique. Ainsi, trois documents (deux accords et un protocole) ont été signés, et l’hôte burkinabé a été élevé à la dignité de Grand-Croix de l’ordre national du Lion. Autant de faits et gestes accomplis dès les premières heures de la visite du Président du Faso, Roch Marc Christian Kaboré. Bref, un rapprochement tous azimuts, adéquatement institutionnalisé et singulièrement étendu aux domaines essentiels que sont la sécurité, la justice et l’éducation.
Le succès de la visite au Sénégal, du septième Président de l’ex- haute Volta devenue Burkina Faso (après Maurice Yaméogo, Sangoulé Lamizana, Saye Zerbo, Jean-Baptiste Ouédraogo, Thomas Noel Isidore Sankara et Blaise Compaoré) suggère opportunément, une plongée propice dans le passé instructif d’un axe Dakar-Ouagadougou qui n’a jamais été en jachère. Bien au contraire. Sans remonter jusqu’à l’épopée des tirailleurs sénégalais (terme générique désignant les soldats issus de plusieurs colonies de l’AOF), on a enregistré sur la séquence d’un demi-siècle de souverainetés respectives (1960-2017) des moments marquants et, surtout, variés au gré des vicissitudes de l’Histoire. Avec des ambiances et/ou des stades contrastés que sont la léthargie, l’aversion, la tiédeur et la relance en cours, officiellement baptisée : « redynamisation ».
Dès l’aube de nos indépendances, la Haute-Volta – dirigée par des hommes ayant siégé comme élus au Grand-Conseil de l’AOF, à Dakar – a donné son accord d’adhésion à la naissante Fédération du Mali regroupant initialement le Sénégal, le Soudan et le Dahomey, futur Bénin. C’est l’Ivoirien Félix Houphouët-Boigny qui a torpillé l’Exécutif fédéral, en travaillant au corps les Présidents Maurice Yaméogo et Hubert Maga. Résultat : Ouagadougou et Cotonou ont tourné le dos à la Fédération du Mali puis intégré le Conseil de l’Entente porté, au même moment, sur les fonts baptismaux par Houphouët-Boigny et son ami Diori Hamani du Niger. Ce fut le début d’une longue léthargie dans les relations entre les deux Etats. Le degré zéro d’une coopération en pré-balbutiement. Aucun échange d’ambassadeurs entre Yaméogo et Senghor. Un consul honoraire est longtemps resté l’interlocuteur et le serviteur de la colonie sénégalaise à Ouagadougou. Il faut rappeler que le Président Léopold Sédar Senghor, en sa qualité d’inscrit chez les « Indépendants d’Outremer » au Palais-Bourbon, n’avait pas d’atomes crochus avec les élus voltaïques de l’époque, comme Ouezzin Coulibaly et autre Joseph Conombo, tous estampillés RDA. Son seul ami fut l’homme politique et écrivain Nazi Boni.
La léthargie bilatérale a prévalu jusqu’au renversement de Maurice Yaméogo par son chef d’Etat-major, le Général Sangoulé Lamizana. De légers frémissements ont, ensuite, ranimé l’axe. En 1973, le Président Lamizana a participé au sommet France-Afrique de Dakar, co-présidé par Giscard et Senghor. A la fin des années 70 (avant le putsch du Colonel Saye Zerbo) le Président Sangoulé a assisté à l’inauguration du siège de la BCEAO. Après la léthargie, bonjour la torpeur totale durant la courte parenthèse de Saye Zerbo, entre 1980 et 1982 ! Avec l’avènement mouvementé du collège des capitaines (Sankara, Compaoré, Zongo et le commandant Lingani) la météo diplomatique a vite et justement prévu un avis de tempête. Effectivement, c’est l’aversion qui a pris le relais de la torpeur. Une hostilité illustrée par le vif accrochage entre Thomas Sankara et Abdou Diouf, à Niamey. Ce dernier (le Président Diouf) s’est aligné sur la position du doyen Houphouët-Boigny qui a barré la route de la présidence en exercice de l’UEMOA, au capitaine anticonformiste Thomas Sankara.
Auparavant, le torchon avait brûlé entre l’Académicien Senghor et les idéologues du régime révolutionnaire établi à Ouagadougou. En effet, l’illustre grammairien avait récusé l’orthographe de l’adjectif « burkinabé », tiré du substantif : « Burkina ». Selon l’ex-Président Senghor, les citoyens et les citoyennes de ce pays sont des Burkinabais et des Burkinabaises. Et non des Burkinabés et des Burkinabées. Fureur dans l’entourage de Sankara où les idéologues Paulin Bamouni et Valère Somé fulminèrent de façon quasiment injurieuse contre Senghor, je cite : « Un académicien sous les Tropiques, de surcroit, un valet de la France ». Une réponse manifestement plus polémique et plus politique que savante. En privé, Senghor qualifiait Sankara de « patriote sincère mais écervelé et étourdi ». Le poids des mots et l’intensité des sentiments sont ben résumés. Enfin, l’arrestation musclée de Mohamed Diawara à Bamako, en pleine réunion des chefs d’Etat (sur insistance hystérique de Thomas Sankara) et, surtout, le long emprisonnement du Sénégalais Moussa Ngom, pour détournement de plusieurs milliards de francs CFA, au détriment de la défunte CEAO, n’ont point lubrifié les relations entre les Présidents burkinabé et sénégalais de l’époque.
Le 15 octobre 1987, la fin de l’ère Sankara est consacrée par une rectification sanglante de la révolution. Au Burkina Faso, la gouvernance est corrigée dans un sens moins romantique et moins aventureux. Blaise Compaoré – en dépit du péché originel qu’est l’assassinat de Sankara – a réussi la prouesse de donner au Burkina (longtemps introuvable dans le champ diplomatique) une présence significative et un rôle saillant, en Afrique de l’Ouest. L’embellie s’installe entre Dakar et Ouagadougou, mais le printemps ne viendra pas. L’arrivée d’un contingent efficace du Sénégal dans l’ECOMOG, au Liberia, dérange Blaise Compaoré (parrain de Charles Taylor) au plus haut point. Toutes les offensives de Charles Taylor sont enrayées dans les faubourgs de Monrovia par le Bataillon des Commandos et le 3ème Bataillon de Kaolack sous les ordres des Colonels Mountaga Diallo, Pape Khalil Fall et du Commandant Pierre Antou Ndiaye. La colère était, en 1992-93, très perceptible dans l’entourage du Président Compaoré, à Ouagadougou où je me trouvais.
Un soir, le capitaine d’artillerie camerounais Guerrandi Mbara, camarade de promotion de Blaise à l’EMIA de Yaoundé, Conseiller très spécial à la Présidence du Faso, opposant à Paul Biya, et, surtout, chef des opérations de la guérilla de Taylor sur le front libérien, me rendit visite à la rédaction du journal « Le Pays » et me parla longuement de la pomme de discorde sénégalo-burkinabée sur le dossier libérien. Le journaliste a bien écouté et beaucoup appris. Mais, n’étant pas un officiel sénégalais, j’ai été avare en commentaires. Coïncidence troublante : certains cadres du MFDC basés en Europe, étaient soudainement croisés ou aperçus dans les couloirs de certains hôtels à Ouaga. C’est la période où l’armée sénégalaise avait subi de lourdes pertes à Babonda, en Casamance.
L’élection du Président Macky Sall, en mars 2012, a décisivement donné le coup d’envoi au printemps qui a baigné et baigne encore l’axe Dakar-Ouagadougou, nonobstant les ressentiments et les grincements de dents consécutifs à la médiation désastreuse de la mi-septembre 2015. Ajoutons – pour être complet – que l’ex-Président Blaise Compaoré supportait mal le ton professoral du Président Abdoulaye Wade et, surtout, sa propension à donner des leçons aux chefs africains moins instruits mais plus anciens que lui, dans l’exercice effectif et non théorique du pouvoir. Tandis que les rapports Blaise-Macky frisaient la complicité. Procureur farouche et prompt fossoyeur du Sénat, au Sénégal, le Président Macky Sall avait, dans les médias burkinabés, été étrangement l’avocat éloquent de la même chambre (l’institution sénatoriale) prévue dans la nouvelle Constitution mort-née d’un Blaise Compaoré désireux de briguer un énième mandat.
« Les vertus de l’oubli en politique », bien étayées dans la pensée d’Ernest Renan, accompagnent et confortent parfaitement le réajustement, la relance et la redynamisation, en cours sur l’axe Dakar-Ouagadougou fortement compacté par le séjour du Président Roch Marc Christian Kaboré. Une visite dont l’incidence déborde visiblement du champ bilatéral. Il y a un air de braconnage diplomatique autour de la citadelle que forme le G5 Sahel. Le Sénégal désire-t-il y entrer par la porte ou par la lucarne burkinabée ? En tout cas, la visite du Président du Faso, intervient à un moment où le Sénégal retouche, à doses homéopathiques, le paradigme de sa diplomatie. C’est le retour aux « cercles concentriques » définis et appliqués, jadis, par le Président Senghor : d’abord le voisinage, ensuite l’Afrique et après le monde. Tels des cercles qui s’élargissent et se raffermissent progressivement. Sans se dissocier. Car, il n’existe pas de dichotomie entre les axes proches (Dakar-Conakry) et les axes lointains comme Dakar-Ryad-Ankara etc. La prospérité ne précède pas la sécurité qui, elle, pousse ses racines dans le voisinage où se nichent le potentiel et les facteurs de conflits.
Source – Dakaractu