Dakarmidi – Ce weekend a été ponctué dans la capitale gambienne par le lancement d’une campagne internationale pour traduire en justice Yaya Jammeh et ses sherpas.
Le collectif des victimes du régime sanguinaire de Yaya Jammeh était en conclave dans un grand hôtel de Banjul pour trouver les voies et moyens afin d’amener l’ex-président à faire face à la justice un jour.
Pendant 72h, ce collectif épaulé par des organisations non gouvernementales dont Human Rights Watch, a écouté les experts de ces complexes questions juridiques, lesquelles il faudra désormais explorées. L’association a reçu le soutien de quelques avocats de renommé mondial dont Reed Brody et Benedict de Moerloose.
Solide soutien
Il s’agit d’un soutien non négligeable. Quand on sait le rôle que Reed Brody, ce célèbre avocat américain, surnommé le chasseur des dictateurs a eu à jouer dans le passé, notamment au Tchad pour le procès qui a abouti à la condamnation de Hissène Habré, l’ancien président tchadien.
Une prouesse judicaire encourageante pour la fin de l’impunité d’anciens Chefs d’Etat africains à plus d’un titre. En 17 ans, il a su mobiliser les victimes, rassembler des preuves pour juger et condamner en terre africaine ce despote. Un signal fort pour nos leaders contemporains, qu’il n’est plus possible en terre africaine de commettre des crimes les plus ignobles et s’exiler dans un autre pays du continent se mettre à l’ abri.
Cet exploit judiciaire et juridique nous servira de précédent et d’inspiration pour amener Jammeh devant la barre pour qu’il puisse témoigner devant l’opinion nationale et internationale les raisons de toutes ces turpitudes en deux décennies.
Revenons à ce « gros poisson » qui semble intouchable a priori. Primo, en fuyant la Gambie, il na pas choisi son pays d’accueil au hasard, la Guinée Équatoriale. S’exilant d’abord vers l’autre Guinée, plus proche et dont la législation semble plus défavorable. Notre déchu ne s’est pas fait prier pour aller plus loin dans un pays qui semble lointain et où la le système politique et judiciaire semble analogue à celui qu’il avait instauré durant son règne.
Une grande lutte vient d’être entamée donc pour pouvoir un jour inquiéter cet oppresseur hors normes qui, au fil des années d’exercice au sommet de l’Etat, s’est mué en monstre-tyran au goût sardanapalesque du pouvoir.
Moins d’un an après son tonitruant départ, les langues se libèrent, les exactions connues, les fausses communes découvertes. Le constat est sépulcral. Il n’est pas exagéré d’en faire un parallèle avec les goulags, le tristement célèbre camp Boiro de la Guinée de Sékou Touré ou les camps de concentration sous de l’Allemagne nazie.
Saisissants récits.
Ce samedi, certaines victimes rescapées ont narré leurs mésaventures dans une ambiance lourde d’émotions: une victime racontant la longue agonie de son oncle, empoisonné au crépuscule du magistère du boucher de Kanilai. Un guide religieux racontant sa descente aux enfers avec ses compagnons d’infortune. Ce prêcheur dans une mosquée de la capitale s’est vu enlever un soir de 2013. Il sera conduit et torturé par les agents de renseignement(NIA) dans un endroit inconnu pendant des mois avant de se voir libérer pour prendre le chemin de l’exil. Il raconte avoir eu un interrogatoire d’une rare violence, où on l’a enterré jusqu’au coup avant de l’inciter par la torture à déclarer les plus sordides et invraisemblables des complots. Une autre victime, non la moindre a passé 19 ans dans les geôles de Jammeh pour un imaginaire complot. Sa libération a été suivie à son tour d’un départ en exil forcé au Sénégal. La liste est loin d’être exhaustive.
Ce sont donc des vies, des rêves brisés, des histoires particulières pour chaque victime, mais des bourreaux connus: Jammeh et certains de ses acolytes.
De la liste de ces derniers, sont cités souvent Ousmane Sonko, l’ex-Ministre de l’Intérieur de 2006 à 2016. Aujourd’hui en détention en Suisse, il est poursuivi pour tortures et crimes contre l’humanité. Les autres mis en cause, les « Junglers », les membres de cette fameuse garde prétorienne, exécutants de basses œuvres ont suivi leur mentor et se coulent la douce en Équato.
Pire encore, la plupart des victimes aujourd’hui n’ont aucun suivi psychologique, livrés à eux-mêmes et naturellement traumatisés par ces nombreuses et indélébiles séquelles. La plupart vivent dans un dans un dénuement criant. Triste sort n’est-ce pas ?
Calendrier incertain
Mais ne rêvons pas et revenons sur terre pour dire qu’il est irréaliste de songer à un procès aujourd’hui dans la côte du sourire contre cet « ex-homme fort ». Non seulement, les priorités du pays sont nombreuses, celles économiques principalement. Les nouvelles autorités se cherchant toujours et tâtonnant face aux nombreuses attentes sociales. Mais aussi l’équilibre social étant encore fragile, [le pays reste toujours sous tutelle de la CEDEAO où son contingent, fût-il alléger, reste toujours visible dans la capitale].
Dans l’immédiat, il faut continuer à mobiliser les victimes à travers le pays et au sein de la forte diaspora, continuer la documentation, l’archivage des documents afin que les preuves ne soient pas délibérément détruites. Beaucoup de documents ont été incinérés selon des sources fiables durant son départ précipité. Il faut aussi Commencer à juger « les petits poissons », ces anciens compagnons arrêtés çà et là, en détention dans le pays.
Dans l’espoir qu’avec le temps, les pressions internationales, le lobbying de la société civile et l’alternance politique au pays de son hôte aidant, notre intouchable sera poursuivi et sanctionné à la hauteur de ses forfaits. Les victimes indemnisées. On espère cette échéance la moins longue possible. Toujours est-il que le scenario Habré est envisageable pour le juger dans un autre pays sur le continent.
En attendant un procès pour l’histoire, tâchons que notre satrape ne peut être tranquille psychologiquement où qu’il puisse être: les mémoires de ses nombreuses victimes à travers le monde le hanteront à jamais.