Dakarmidi – « (…) On entend souvent beaucoup de personnes dire qu’en la matière, tout est question de comportement personnel du juge. Mais en réalité, considérer que l’indépendance de la justice se résume à une question de comportement procède d’une approche très réductrice du sujet. Pour clarifier le débat, il me paraît important de distinguer l’indépendance de la justice prise globalement en tant que corps, de l’indépendance des magistrats, pris individuellement. Les magistrats, pris individuellement, sont dans leur écrasante majorité des hommes et des femmes épris de justice et à cheval sur les principes. Mais dans un Etat de droit, le plus important, ce n’est pas que des magistrats soient indépendants ; il faut aussi que la justice, en tant que pouvoir, soit indépendante des autres pouvoirs et en particulier de l’Exécutif. Et cela ne peut se faire que si le système judiciaire est organisé de telle sorte que l’exécutif ne puisse en aucune manière, l’instrumentaliser.
La seconde distinction qui me paraît fondamentale concerne d’une part, la reconnaissance formelle de l’indépendance du magistrat du siège à travers la constitution et la garantie de cette indépendance. Ces garanties sont d’ordre statutaire (c’est le cas du principe de l’inamovibilité) et personnel. La garantie essentielle de l’indépendance se trouve être le principe de l’inamovibilité qui protège le juge dans l’exercice de son office en le mettant à l’abri de toute mesure de représailles. Le juge qui rend sa décision doit avoir la garantie que, quelque soit le sens dans lequel il aura tranché, il ne pourra pas être ni déplacé ni muté. Lorsque cette garantie n’est pas effective, certains juges peuvent être tentés de se soumettre à la volonté de l’Exécutif. Dans un tel cas de figure, vous aurez beau avoir un nombre important de juges indépendants, l’Exécutif pourra toujours compter sur quelques magistrats pour instrumentaliser la justice. Il est donc essentiel que le principe de l’inamovibilité soit strictement respecté. Mais il est important de relever que les atteintes à l’indépendance peuvent provenir d’autres secteurs que l’Exécutif. Le juge peut, en effet, être soumis à des pressions venant de sa famille, de milieux religieux et même tout simplement, de l’opinion.
Pour ces formes de pressions, le seul véritable rempart en mesure de protéger le juge est sa conscience professionnelle et son sens de la responsabilité. Sous ce rapport, l’indépendance est, incontestablement, une affaire de conviction personnelle. Au total, on voit que l’indépendance ne peut se résumer à une question de comportement du juge. Car elle interpelle autant le magistrat que l’Etat. Elle exige du juge un sens élevé de responsabilité ; elle constitue aussi un devoir pour l’Etat qui est tenu de prendre les mesures destinées à rendre effectives les garanties statutaires prévues par les textes notamment par la constitution. Je tiens d’ailleurs à ajouter que la question de l’indépendance interpelle tous les citoyens, surtout les autorités politiques.
On a vu ici des députés voter une motion de soutien en faveur d’un Ministre qui avait décidé de ne pas appliquer une décision rendue par la plus haute juridiction nationale, en l’occurrence, la Cour suprême.»
Souleymane Téliko,
Président de l’union des magistrats du Sénégal (UMS)