Dakarmidi – Peut-on être journaliste et communicant en même temps ? Y a-t-il collision ou collusion entre le journalisme et la communication ? Ces questions ont été au cœur de la première édition des journées professionnelles de la communication organisées par l’Ecole supérieure de journalisme, de la communication et des métiers d’internet avec les professionnels des deux domaines d’activité.
Cette initiative intervient dans un contexte où on note une irruption de personnes non formées dans les métiers de la communication, en premier lieu les journalistes. D’ailleurs bien que cette rencontre soit dédiée à la communication, il était impossible de ne pas évoquer le journalisme puisque comme le dit le rédacteur en chef de Africa Check, Assane Diagne, « les journalistes sont un maillon incontournable dans les stratégies de communication des communicants ». Cela montre clairement comment les deux professions ont besoin l’une de l’autre. Aussi le journaliste a-t-il besoin du communicant pour avoir du contenu et surtout les sources primaires d’information. Toutefois, les participants ont souligné la nécessité pour chacun de se cantonner dans son domaine.
Le premier panel intitulé «Chargé de com, conseiller en com, communicant, des professions en débat» a permis aux panélistes Armelle Nyobe et Fabrice Marell (communicants) d’une part et Sahite Gaye, enseignant-chercheur au CESTI , d’autre part d’expliquer dès l’entame les nuances. Pour Mme Nyobe, les termes de l’intitulé du panel recouvrent plus ou moins une même réalité, mais l’on a tendance à les envelopper d’un mythe. Par contre, pour le théoricien de la communication qu’est Sahite Gaye, ce n’est qu’en action que l’on peut savoir si une personne est conseillère en communication, chargée de communication, « relationniste » ou autre parce qu’il arrive qu’une personne cumule la plupart de ces taches.
Les panélistes et les intervenants notent que dans le domaine de la communication, beaucoup s’y infiltrent sans avoir la formation requise. Ce qui constitue un problème parce que les praticiens de la communication sont des techniciens dans leur domaine. De ce fait, cela impose forcément une formation. Ce que la plupart des communicants au Sénégal et dans d’autres pays d’Afrique n’ont pas. En premier lieu de ceux qui s’improvisent chargé de communication, conseiller en communication ou autres, il y a les journalistes. Mais en vérité, cette tendance à une histoire.
L’origine du mal
Il faut d’abord se rendre compte de ce que les spécialistes de la communication sont en nombre limité en Afrique aussi bien les théoriciens que les praticiens. Ce que l’on peut comprendre, puisque la communication elle même est une science récente, y compris en Occident. D’ailleurs, la quantité de thèses encore limitée dans les sciences de l’Information et de la communication en est une preuve. D’après le politologue Amidou Bâ, on dénombre seulement 382 thèses en Afrique francophone ces 30 dernières années. Aussi, il y a très peu d’études comparées dans le domaine. Poursuivant son diagnostic, il relève que la plupart des ouvrages de référence utilisés en communication chez nous, y compris les dictionnaires sont généralement produits en France, aux Etats-Unis ou encore en Angleterre.
Cela étant, au moment où le besoin de communiquer se faisait sentir, des organisations internationales et ONG venaient avec leurs stratégies toutes faites de l’étranger pour essayer de les appliquer en Afrique. Mais très vite, elles se sont rendues compte que cela ne fonctionnait pas. Parce que la communication doit prendre en compte le contexte sociologique et culturel du milieu où elle doit être déroulée. C’est ainsi que ces organisations ont essayé de changer d’approche. Dans la foulée, elles vont tenter de se rabattre sur les journalistes.
Faute de communicants professionnels, les institutions estimant que les journalistes seraient à même d’exercer cette fonction de communicants, ont commencé à faire appel aux journalistes. C’est le point de départ de cette relation incestueuse entre journalisme et communication. Sauf que malheureusement, ça ne marche pas forcément parce que la formation en journalisme et la formation en communication sont deux domaines différents même si les deux se côtoient.
Dans les discussions, la suspicion persistante qui pèse sur les professionnels de la communication a refait surface. C’est l’idée que la communication, c’est manipulation, du mensonge. Ce qui se traduit par des expressions du genre « c’est de la com’». Parfois elle est même réduite à l’organisation d’événements. En tout cas, les communicants récusent ces préjugés. «L’image de la communication n’est pas très positive », relève Fabrice Marell de l’ACC.
Selon lui, le communicant est un technicien et indépendamment d’organisation des événements et des théories, il doit maîtriser le budget, savoir gérer des projets, les différentes parties prenantes. Aussi, le communicant doit être constamment à l’écoute du monde qui l’entoure, à l’écoute des tendances, se former continuellement. Il doit être curieux de tout, pouvoir répondre au stress, à la pression quotidienne. Abandonnant dans le même sens, Sahite Gaye explique que c’est un domaine transversal. Partant, il est important que le spécialiste de la communication ait des connaissances en économie, en droit, en sociologie, entre autres.
Soit journaliste, soit communicant… jamais les deux en même temps
Le journalisme et la communication peuvent ils aller ensemble ? Sur cette question les positions sont divergentes. Pour les uns, il ne faut absolument pas mélanger le journalisme et la communication. Les deux métiers doivent plutôt être dans une démarche de collaboration. En conséquence, le journaliste ne peut pas être communicant concomitamment, et vice-versa. Une fois qu’on adopte une casquette, il faut abandonner l’autre. Cette position est largement partagé par presque tous les participants et panélistes pour les autres, comme le professeur Dominique Hado Zidouemba, il ne faut pas mettre «une barrière étanche» entre les deux professions. Il récuse cette position consistant à faire une séparation nette entre les deux. Selon lui, on peut faire les deux activités parallèlement. Mais la position sur laquelle tous s’accordent ceux que l’on puisse avoir la formation dans distinctement dans les deux domaines.
Pour Sellé Seck, enseignant chargé de cours d’éthique et de déontologie au CESTI, la collision entre journalistes et communicants est de fait puisqu’il y a une circulaire sous le défunt régime libéral qui dit clairement qu’au bout d’une dizaine d’années de pratique, le journaliste peut devenir communicant sans avoir besoin de faire une formation spécifique en communication.
Cette rencontre d’échange entre les professionnels des deux secteurs qui se côtoient va se poursuivre ce jeudi 28 juin à Ejicom.
Noël SAMBOU