Dakarmidi – Bientôt 26 ans que, dans le N° 236 du 12 août 92 du Cafard Libéré, nous invitions Amadou Mbaye Loum – Que Dieu l’accueille au paradis des gens généreux – sous cette rubrique, Le Profil, où passeront plus de 300 personnalités sénégalaises en 9 années. Bien sûr, nous étions en d’autres temps (et donc autres mœurs), nous nous honorions, en les honorant du coup, d’y inviter des confrères journalistes pour qui nous avions de l’estime, de l’admiration non feinte ou qui tout simplement, par leurs hauts faits professionnels, avaient forcé les portes d’une sorte de Cénacle où régnaient presque en maîtres, les politiques.
Aujourd’hui que Mbaye, tu nous laisse, tristes certes, dans cette « Vallée des larmes » les mots nous manquant pour dire les choses qui nous liaient, jusque dernièrement à Thiès où nous nous sommes retrouvés autour de notre ami commun, Ema Ciss, artiste dans l’âme à la sensibilité à fleur de peau qui m’apprit ton décès par un SMS, n’ayant certainement pas le cœur à m’annoncer cette chose horrible, mais inéluctable, à laquelle nous ne nous habituerons jamais. La mort d’un être cher. Alors nous sommes allés chercher des mots que nous avions déclinés à ton intention, dans cet élan confraternel décrit tantôt.
A ce texte ci-dessous (avec son titre d’origine, bien sûr), témoignage certes partiel, mais instructif sur ton parcours professionnel et humain, écrit en un temps où jeune et beau et enthousiaste, tu croquais la vie et le journalisme à pleines dents, ta mort, Mbaye, donne une allure évocatoire, un air d’absolution, peut-être … un je ne sais quoi qui me fait penser que, là où tu te reposes aujourd’hui, tu en souriras, comme tu en avais ri il y a 25 ans. Repose en paix cher ami.
Pape Samba Kane
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« Amadou Mbaye Loum
Tass dans l’ambiance
Revenant de Beyrouth, en route pour les hauteurs de la frontière israélo-libanaise dans un convoi militaire sénégalais, le jeune journaliste Amadou Mbaye Loum n’en revient toujours pas d’avoir eu pour première mission à l’étranger la couverture d’une guerre. Arrivé à Tyr en même temps qu’un contingent de l’armée française – fâcheuse coïncidence –, c’est le cauchemar : roquettes, obus et crépitements de mitrailleuses. Les Palestiniens avaient tendu une embuscade aux Français. Le chauffeur de la jeep dans laquelle se trouvait notre correspondant de guerre stagiaire y laissera la vie.
Les autres Sénégalais seront sauvés par leur uniforme, leur nationalité et, le lendemain, par le don de persuasion de certains chefs militaires palestiniens, partisans de leur libération. Les faucons qui voulaient les garder prisonniers s’étaient inclinés. On est en 1978, Mbaye ne sera pas le premier journaliste otage au Liban, la mode des otages sera inaugurée plus tard, en 1983. N’empêche, avec la mort de cinq membres de la délégation sénégalaise le jour de leur arrivée au Liban, cela faisait, en trois jours de présence, une demi-douzaine de morts et quelques frayeurs que Mbaye oubliera difficilement.
Peut-être avec l’âge…
Quand on demande à Mbaye Loum, ou Lindor (son petit nom affectif pour le caresser un peu) son âge, il répond « une quarantaine d’années ». Dont acte confrère, et chapeau pour la précision de l’information. Mais n’allons quand même pas trop vite, peut-être qu’il n’a pas, lui-même, l’information. Vous savez, dans certains bleds, il y a une quarantaine d’années, les « nés vers » étaient courants. Pourtant Mbaye Loum est né, il l’affirme, à Kaolack, chef-lieu de région. Il a cependant fait l’école primaire à Keur Madiabel : un bled. Ceci n’explique-t-il pas cette curiosité qui l’a pris très tôt, cette envie d’univers autres qui le poussait à rester des heures l’oreille collée à son poste de radio, à l’écoute du monde, ou bien le nez plongé dans toutes sortes de lectures : de Jules Vernes à Hergé ? Les informations qu’il collectait ainsi, Mbaye aimait tellement les partager avec ses camarades du lycée Gaston-Berger de Kaolack, en des séances où il bavardait beaucoup que ceux-ci le surnommèrent : TASS ! Vous savez, l’agence de presse soviétique ! Une vocation était née !
En tout cas, après son bac, obtenu en 1972, Mbaye rêve du Centre d’étude des sciences et techniques de l’information (Cesti). Mal informé, il n’avait pas prévu l’examen préalable d’entrée au centre, et devra aller ronger son frein en fac d’histo-géo, en attendant. L’année d’après, il ira étudier le journalisme et sortira du Cesti avec son diplôme en 1976, pour entrer à l’ORTS. Pigiste (payé à l’émission) d’abord, forfaitaire ensuite, il était entré dans le métier doucettement.
Mais il allait vite décoller ! Et pour rien moins que le Liban, en plein imbroglio politico-militaire, en compagnie du contingent de soldats du Sénégal, « Senbatt-L-1 », à la Force internationale des Nations unies pour le Liban (Finul) ! Ce baptême du feu, qui ne devait être que journalistique, fut littéralement militaire, on l’a vu.
Cependant, et vous ne le croirez peut-être pas, ce n’est pas ce qui a laissé à jamais une boule lourde de peur dans les tripes de Lindor. Ce que Mbaye traîne encore, c’est le souvenir physique de ce jour où, passant devant lui, le débonnaire Mamadou Abdoulaye Fofana, alors rédacteur en chef du JT, lui lança : « C’est toi qui fais le journal ». Il ne l’avait encore jamais présenté, ce journal, ce « vingt heures » qui fait rêver tout jeune journaliste de la télévision. Il doit courir chez lui, prendre une veste, revenir en sueur. Il présenta son journal, s’en sortit vivant, mais ne dormit pas cette nuit-là. Le trac après coup, il paraît que c’est plus terrifiant que l’autre. Il dut aller le noyer.
Les dés en étaient jetés et puisque Mbaye aime vivre libre, sortir, chahuter, il lui en est resté ce beau surnom : « Mbiance », comme ambiance.
Atmosphère… Passons ! Pour dire, tenez-vous bien, que Mbiance, après Tyr et son embuscade, retournera trois mois après au Liban puis, en revenant, s’arrêtera au Shaba, dans l’ex-Zaïre, où ça chauffait aussi. Il couvrira le débarquement sénégalais sur la Gambie, en 1981, et s’est déjà rendu deux fois au Libéria. Ne criez pas tout de suite au suicidaire, Loum est tombé sous cet étrange attrait de la chose militaire, quand on l’a vécu de près, et n’a qu’éloges à la bouche et admiration pour le « sens de la solidarité » chez les soldats.
Peut-être aussi qu’en l’envoyant sans préparation au casse-pipe d’une première présentation de journal télévisé, Fof lui avait-il à jamais donné le goût des sensations fortes.
Cet homme d’une quarantaine d’années dont le mariage (le premier) la semaine dernière, a donné l’occasion au pince-sans-rire du J.T, Malaye Diop, d’inventer l’OMS (Organisation des maris sages) par opposition à l’OCI (Organisation des célibataires invétérés) inventée par Le Cafard Libéré, n’a cependant, lui, aucun sens de l’humour. Et qu’il n’invoque pas sa timidité ! Un timide ne se jette pas sur l’entraîneur des « Lions » du football après leur élimination par le Cameroun lors de la Coupe d’Afrique des nations organisée à Dakar en 1992.
Claude Leroy l’a échappé belle grâce à Jérôme Diouf, un confrère de la RTS, mais qu’il ne garde aucune rancune pour Loum. Sa passion pour le foot est même à l’origine de son mémoire de fin d’études au Cesti. Thème : « L’exode des footballeurs sénégalais ». Déjà pointait son chauvinisme.
PSK
NOTES (NDA : ce texte est partie des quelques 80 portraits prévus pour paraître dans le tome 2 des Mémoires Correctives, d’où les notes d’actualisation suivantes, aujourd’hui elles-mêmes évocatoires : leçon de vie …)
Mbaye Loum est encore à la RTS, le Sénégal est moins présent sur des foyers de tension internationale et Mbiance vieillit, tout en gardant sa passion pour les soldats et leurs missions. C’est peut-être pourquoi on le voit plus souvent maintenant lors des défilés militaires et autres cérémonies de décoration ou de partance pour la retraite. Même si le terrain miné de la Casamance le reçoit encore, égal à lui-même, reporter spécialisé, courir derrière ses amis bidasses. Responsable des magazines, selon son titre à la RTS, le reporter dans l’âme qu’il est en profite pour produire des documentaires et grands reportages où la chose militaire prend une place importante. Un coup de fil au moment où j’écris ces notes m’apprend que Mbiance est depuis quelques semaines en Casamance pour une production. L’armée devrait vite nous le décorer
(Enquête)