Dakarmidi – À la veille du scrutin, personne, ni même la Communauté internationale n’osait imaginer l’impensable, à savoir la fin d’une dictature sanguinaire qui aura duré 22 ans, au cours desquels un dictateur ubuesque sans foi ni loi a bafoué l’Etat de droit. Le peuple est au final toujours souverain et aucun régime politique, aussi cruel soit-il, ne peut résister à sa volonté de changement. Telle est la leçon extraordinaire que nous ont offert les quelques 886.000 électeurs gambiens qui se sont rendus aux urnes le 1er décembre pour élire leur prochain président de la République. La surprise, comme nous le savons, a été énorme. Et, la victoire du candidat de l’opposition. Adama Barrow, sans appel. Pour la Gambie, c’est une page historique qui se tourne.
À la veille du scrutin, personne, ni même la Communauté internationale n’osait imaginer l’impensable, à savoir la fin d’une dictature sanguinaire qui aura duré 22 ans. Plus de deux décennies donc, au cours desquelles un dictateur ubuesque sans foi ni loi a bafoué l’Etat de droit et les droits fondamentaux des Gambiens, mettant au passage à genou un pays dont l’économie est exsangue. Il revient désormais au nouveau président Barrow de faire renaitre la Gambie de ses cendres et restituer à son peuple un honneur perdu. Le chantier est immense. Aujourd’hui, le pays pointe à la 172ème place sur 184 en termes d’indice de développement humain (IDH), une bien triste statistique qui justifie à elle-seule la présence de plus de 500.000 gambiens à l’étranger, soit un quart de la population nationale. Et c’est probablement cette même diaspora qui a contribué à la chute de Jammeh, mais pas uniquement.
Le climat de terreur imposé par ce prédateur hors-pair de la presse locale aura marqué bon nombre d’esprits, ceux des journalistes comme Alagie Abdoulie Ceesay, des défenseurs des droits de l’homme tels que Isatou Touray, des opposants politiques, des représentants religieux et, bien entendu, de l’ensemble de la population gambienne. Qui pourra oublier la loi relative à l’information adoptée en 2013 par l’Assemblée nationale pour réprimer la liberté d’expression au nom d’une fantomatique sécurité nationale ?
Qui pourra ignorer les effets de la loi sur l’immunité promulguée en 2001 et dont le seul but était celui de dissuader toute démarche visant à obtenir réparation de la plupart des victimes de violations des droits humains ? Que dire des disparitions forcées et des arrestations arbitraires? Enfin, quel bilan peut-on dresser des relations (exécrables) que la Gambie a entretenues avec le Sénégalces vingt dernières années et bien résumées dans un récent dossier publié par Sud Quotidien ?
L’héritage de celui qui souhaitait il y a à peine quelques mois envoyer « Amnesty International et Ban-Ki-Moon en enfer ! » est très lourd. Cet héritage, le Groupe des Socialistes et Démocrates auquel j’appartiens, l’avait dénoncé dans une résolution commune adoptée en mai 2016 à l’unanimité par le Parlement européen pour exprimer« ses plus vives inquiétudes face à la détérioration rapide de la situation de la sécurité et des droits de l’homme en Gambie ».
Fort heureusement, il n’y aura pas de cinquième mandat pour Jammeh. Ce miracle, si de miracle doit-on parler, n’est certainement pas le fruit du hasard. En votant pour Barrow, les électeurs Gambiens ont récompensés la volonté des acteurs de l’opposition, de la société civile et de la diaspora de s’unir autour d’un candidat qu’ils ont jugé crédible. Ce choix démontre que lorsque les ambitions individuelles laissent la place à l’intérêt collectif, et en premier lieu celui des citoyens, tout est possible.
Le vote du 1er décembre doit sans conteste servir d’exemple dans tout le continent africain, c’est aussi un rappel à l’ordre brutal pour ces présidents prêts à violer leur Constitution et réprimer leurs opposants pour rester au pouvoir. Je pense évidemment à la République Démocratique du Congo et au chef de l’Etat, Joseph Kabila, dont la volonté de prolonger son dernier mandat après la date d’expiration du 19 décembre risque de mettre ce géant de l’Afrique à feu et à sang. Plus que jamais le continent africain est à la croisée des chemins. Ses leaders n’ont pas réussi a profité des deux décennies de croissance économique pour lutter efficacement contre la pauvreté, favoriser l’industrialisation et mettre en place des institutions solides. À force de ne pas répondre aux attentes des citoyens – et en particulier des jeunes -, ces derniers trouvent tôt ou tard le moyen de sanctionner. Bien qu’extraordinaire, la Gambie n’est pas un cas isolé. La révolution Burkinabé, fruit d’une insurrectionpopulaire menée par la jeunesse, a démontré que les dinosaures n’ont plus leur place en Afrique et qu’il faut écouter le peuple, le seul à détenir le pouvoir souverain.
Cécile Kyenge, originaire de RDC, est députée européenne du Groupe des Socialistes et Démocrates et ancienne ministre italienne de l’Intégration. Elle a été chef de la mission d’observation de l’Union européenne pour les élections au Burkina Faso (2015), et en Zambie (2016), et membre observatrice de la délégation du Parlement européen pour la présidentielle de 2016 au Gabon. Elle est par ailleurs Vice-Présidente de l’Assemblée Parlementaire Paritaire ACP-UE.
PAR CECILE KYENGE,
Député du Groupe des Socialistes et Démocrates au Parlement européen