Dakarmidi – La disparition tragique, dans les profondeurs de l’océan, de jeunes Sénégalais candidats malheureux à l’émigration clandestine apparaît comme une aubaine pour les pratiquants du business de l’émotion.
Surfant sans scrupule sur la douleur collective, des bonimenteurs et autres marchands d’illusions, tels des vautours autour d’une carcasse, se querellent la capitalisation de la tragédie, de la douleur des familles touchées et de l’émoi des populations.
On diagnostique un prétendu échec de la politique d’emploi du gouvernement, on parle de mauvaise gestion des ressources publiques, on parle de détournement de fonds qui auraient dû servir à lutter contre l’émigration clandestine…
Le but est de jeter les gouvernants en pâture à une opinion bouleversée.
Ce discours d’incrimination est structuré autour d’arguments populistes qui entretiennent l’illusion d’un monde parfait où tout serait disponible et où tout serait comme on en rêve, un cadre de vie édénique dont l’accès serait obstrué par l’incurie et l’absence de probité des dirigeants.
On occulte le fait que l’émigration clandestine est actuellement une crise mondiale n’épargnant aucune région du globe avec son lourd bilan macabre partout.
Diversité et complexité caractérisent les motivations à la base de cette fièvre migratoire pandémique qui incite des jeunes de différents coins de la planète, ne subissant aucune persécution, aucune menace et pouvant compter un tant soit peu sur la clémence et la solidarité de leur environnement d’origine, à s’engager dans une aventure aussi périlleuse avec des perspectives de réussite particulièrement faibles.
Le justificatif lié à l’emploi n’est valable que partiellement, l’expérience avec certains profils qu’on retrouve souvent parmi les candidats le démontre régulièrement.
Au Sénégal, certains se sont interrogés sur l’usage qui a été fait de financements étrangers destinés à lutter contre l’émigration clandestine. On semble ignorer que les mécanismes de la coopération internationale ne permettent plus de détourner impunément des ressources provenant des partenaires financiers. Ceux-ci se réservent le droit d’encadrer et de suivre l’ensemble du processus d’utilisation de leurs financements et n’hésitent pas à prendre des mesures en cas de déviance. On peut donc être certain que si le Sénégal a reçu des fonds pour lutter contre l’émigration clandestine, l’argent a été utilisé à cette fin.
On a entendu Ousmane Sonko réagir à cette récente tragédie en mer en indexant un échec de la politique d’emploi du Président Macky Sall. Pourtant, sa propre expérience dit autre chose. Il a fait de bonnes études qui lui ont permis de devenir haut fonctionnaire de l’État, dans un des corps les plus prestigieux et les plus convoités de la fonction publique. Révoqué pour faute professionnelle, il n’a pas pris le chemin de l’émigration. Il avait senti que l’environnement national lui permettrait de gagner sa vie avec ses compétences, sans être agent de l’État. Depuis 4 ans qu’il a perdu son statut de fonctionnaire, on ne peut pas dire qu’il vit dans la précarité car il parvient à conserver un niveau de vie privilégié et même à financer ses activités politiques. Et il n’est pas le seul haut fonctionnaire à avoir quitté le service de l’État au cours de ces dernières années, sans se retrouver ensuite dans l’obligation d’émigrer pour pouvoir mener une vie décente. On en a connu d’autres, des magistrats, des énarques, d’autres catégories de cadres civils et militaires… Au point que le phénomène a suscité des questionnements relayés par les médias. La réponse à ces questionnements est simple. Le cadre institutionnel et l’environnement socioprofessionnel se sont assez bonifiés au Sénégal pour offrir des alternatives intéressantes à tous ceux qui disposent de compétences, de talent, de sens de l’initiative.
Dans la vidéo d’un entretien accordé à une site d’information, l’artiste Kilifeu, une des figures du mouvement « Y’en a marre », appelle les gouvernants « à restituer l’argent qu’ils ont volé à l’État » afin que celui-ci s’en serve pour créer des entreprises qui offriraient des emplois aux jeunes. L’hérésie consistant à préconiser dans le contexte mondial actuel la création d’entreprises d’État pour résorber le chômage des jeunes, est révélatrice de l’indigence intellectuelle et idéologique des porte-drapeaux de la mouvance activiste sénégalaise qui parlent de tout avec autant de désinvolture que d’ignorance, pourvu qu’ils aient le sentiment d’avoir bluffé les populations. Mais Kilifeu avait un excellent exemple à travers sa propre expérience à montrer aux jeunes tentés par l’émigration clandestine pour les inciter à rester au pays. A l’opposé de Ousmane Sonko, lui n’a pas de parcours scolaire. A un certain moment, il s’est retrouvé dans la même situation que ces jeunes non diplômés, sans aucune qualification professionnelle, confrontés donc à un problème d’employabilité. Pour autant, il n’a pas baissé les bras, ni choisi de s’embarquer dans les pirogues de la mort. Il est resté au pays. Faisant preuve d’audace et de foi en sa personne, il a su trouver sa voie dans l’art. Aujourd’hui, il n’a pas à envier ses anciens camarades d’école qui avaient connu une meilleure fortune que lui sur les bancs. Pour en arriver là, il n’a pas attendu que l’État crée des entreprises pour qu’il y trouve un emploi comme il le réclame pour les jeunes. En jeune leader, icône d’une certaine jeunesse contestataire, il aurait pu évoquer cette expérience pour démontrer aux jeunes que chacun peut réussir dans son pays. Ils sont nombreux les Sénégalais qui, comme lui, gagnent bien leur vie ici au pays sans études ni diplôme, sans être employés par l’État ou par une entreprise et il y a encore assez de place pour beaucoup d’autres.
Vouloir ramener la problématique de l’émigration clandestine à une simple question de qualité de gouvernance des pays que tentent de déserter les candidats à cette dramatique aventure, relève soit de l’étroitesse d’esprit soit de la mauvaise foi.
Les détracteurs de la gouvernance de nos pays, le Sénégal et les pays africains en général, ne sont que les relais communicationnels du discours afro-pessimiste développé par certaines élites occidentales qui n’ont pas encore compris que de la même manière que le Japon, la Chine et l’Inde sont 3 réalités sociopolitiques qui n’ont en commun que de partager un même univers géographique, les États africains également n’ont en commun que le continent qu’ils partagent. Il n’existe pas une Afrique politique, culturelle ou sociologique. Ce paradigme erroné d’uniformité civilisationnelle et morale est à la base de tous les mythes et tous les fantasmes développés par certains Occidentaux sur la prétendue mauvaise gouvernance caractéristique du continent noir et repris à leur compte par des activistes locaux mercenaires idéologiques et des politiciens en quête de positionnement.
Et pourtant, la réalité quotidienne ne cesse de malmener ces clichés biaisés. Au mois de septembre dernier, un chercheur français considéré comme un spécialiste de l’Afrique, analysant la vague d’inondations qui venait d’éprouver les pays du Sahel, mettait tout sur le compte de la corruption des dirigeants qui détourneraient les ressources devant servir à doter leur pays d’infrastructures et d’équipements de protection contre un tel phénomène. Cet expert a occulté le fait que ces inondations sont venues de l’extrême orient de la planète et ont sévi durement partout où elles sont passées, qu’avant de touche le Soudan, le Tchad ou le Niger, elles ont d’abord frappé le Japon où près de 3 millions de personnes ont été déplacées, la Corée du Sud aussi et d’autres pays qui sont souvent cités comme des modèles de bonne gouvernance. Mais surtout, une semaine après cette lecture bancale du phénomène, ce chercheur s’est retrouvé confronté dans son propre pays et en Italie voisine, à des inondations plus destructrices que ce qui a été observé dans la plupart des pays africains. Ni lui, ni personne d’autre n’a déclaré qu’en France et en Italie, pays beaucoup plus riches et beaucoup plus anciens que les États africains, les inondations sont liées à de la mal gouvernance.
Au début de la pandémie de Covid-19, on prédisait l’hécatombe en Afrique et on fondait cette prévision sur la faiblesse des systèmes de santé qu’on disait victimes d’une prétendue mal gouvernance qu’on rattache au Continent. Après 10 mois de crise sanitaire, c’est dans les pays qui dispensent des leçons de bonne gouvernance qu’on a observé des errements notables dans l’action des pouvoirs publics, des carences graves dans l’acquisition et le stockage de matériel, des tiraillements puérils et déroutants entre sommités médicales sur tout et sur rien, des systèmes de santé débordés et ébranlés dans leurs fondements, des populations au bord de la révolte. Si cette situation chaotique avait été observée en Afrique, on aurait parlé d’incompétence, de corruption, de prédation de ressources publiques.
Les États unis, pays le plus riche et le plus puissant du monde, accordent 17% de leur Pib à leur système de santé et malgré cela, on dénombre jusqu’à 45 mille personnes qui meurent chaque année faute de pouvoir accéder à des soins de santé. Une situation similaire, en Afrique, susciterait forcément des interrogations sur la destination réelle de l’argent déclaré être utilisé pour financer la santé. Très vite, on franchirait le pas pour parler de mal gouvernance et de détournement des ressources publiques.
Au Sénégal, le moindre fait divers sert de prétexte pour flétrir les politiques publiques de sécurité, avec toujours les mêmes questions sur l’usage fait de l’argent qui aurait dû… Pendant ce temps dans les pays de référence, où le seul budget destiné à la sécurité dépasse de loin le budget de l’État du Sénégal, on constate que la délinquance devient de moins en moins complexée avec dans le quotidien des populations, des exécutions publiques à l’arme à feu, des échanges de tirs entre bandes rivales, des braquages et des enlèvements en plein jour.
La société idéale du discours populiste n’existe nulle part. Le monde a ses réalités parfois implacables auxquelles aucun pays ne saurait échapper, y compris le Sénégal.
Oumar Khatab FALL
Expert en marketing et management des projets