Qui de notre génération ne se rappelle pas la journée sanglante du 22 janvier 1987, « jeudi noir » inscrit dans l’histoire du mouvement estudiantin qui avait fini d’enterrer les franchises universitaires, chose sacrée à laquelle nos prédécesseurs et nous-mêmes tenions comme à la prunelle de nos yeux ?
En effet, c’était la première fois, à part peut-être mai 1968, que les forces de l’ordre que nous avions fini d’appeler « forces du désordre » envahissaient le campus social de l’Université Cheikh A. DIOP de Dakar pour massacrer des étudiants dont le seul tort était de revendiquer le paiement des bourses, qui à l’époque devait être payées le 13 de chaque mois. Las d’attendre, après un retard de dix jours, nous étions décidés, comme ce fut le cas des étudiants de l’UGB, d’investir les restaurants universitaires pour opérer à un « ngénté tubaab » qui consistait à manger sans bourse déliée.
Le retard de paiement de la bourse, faudrait-il le rappeler, n’est pas une chose banale, loin s’en faut. L’étudiant y compte pour régler ses besoins les plus vitaux : acheter ses tickets de restaurant, ses matériels pédagogiques, payer son transport… Alors tout retard pourrait être lourd de conséquences fâcheuses.
Ce jour-là, les violences étaient inouïes car ces forces étaient même montées dans les pavillons pour défoncer les portes des chambres et mater leurs locataires au point que rapidement des rumeurs avaient circulé pour annoncer la mort de deux étudiants, rumeurs qui, heureusement, n’étaient pas avérées.
La crise qui s’en était suivie fut très longue et on avait de très peu frôlé l’année blanche.
Depuis lors c’est un éternel recommencement, comme dans Le Mythe de Sisyphe, et on ne peine encore à trouver une solution durable à ce problème avec l’accroissement du nombre d’universités et d’étudiants.
Le comble est arrivé le 31 janvier 2011 avec l’assassinat de Balla GAYE, suivi de celui de Bassirou TINE le 14 août 2014.
La vase est devenue trop pleine avec les événements qu’on vient de vivre à l’UGB qui ont encore une fois abouti à la mort de l’étudiant Mouhamed Fallou SENE.
Alors trop c’est trop et on doit cesser de crier haro sur le baudet en incriminant de manière fort abusive et facile les étudiants qui- loin de moi toute idée de vouloir les dédouaner-, s’ils avaient reçu leurs bourses à temps, n’auraient pas besoin de tenir ces manifestations qui ont occasionné le drame et si on sait aussi que les masses sont toujours folles.
La notion d’imputabilité qui permet de situer clairement les responsabilités doit avoir un sens dans notre administration, défaillante à bien des égards pour ce cas précis.
Le Président de la République n’avait-il pas fait, dans une logique d’apaisement du climat social, la promesse aux professeurs d’universités et aux étudiants reçus après la mort de Bassirou Tine qu’il n’y aurait plus de retard dans le paiement des bourses ?
Depuis quatre années est-ce qu’une évaluation a été faite pour voir les avancées réalisées à ce niveau et les difficultés pour les corriger, le cas échéant ?
Même si la question des bourses est transversale à plusieurs ministères- celui des Finances et de l’Enseignement supérieur-, il convient de situer clairement les responsabilités des uns et des autres afin de faire en sorte que plus pareil cas ne se reproduise dans un pays où l’étudiant, comme aimait bien le rappeler Moustapha Diakhaté, l’ancien Président du groupe parlementaire de Benno Bokk Yaakaar, lors de nos chaudes assemblées générales au campus social de l’UCAD, est une « épargne pour ses parents » issus souvent de milieux très modestes et qui placent en eux de grands espoirs pour des lendemains meilleurs. Certains de nos camarades partageaient déjà leur maigre bourse avec leurs parents.
Alors sacrifier un pilier aussi important dans la famille relèverait un peu de l’absurde au sens « camuséen » du terme.
Devant ce défaut de rationalité qui devrait appeler à la démission des responsables qui vont se renvoyer chacun la balle, l’Etat devrait recourir à la sanction administrative ou disciplinaire pour ces fautes dont la gravité ne fait l’objet d’aucun doute.
Si l’erreur politique se paie cash chez nous, l’ex DAGE de la Présidence de la République ne nous démentira pas, lui qui a été immédiatement limogé pour des propos qui n’avaient rien de quoi fouetter un chat- n’a-t-il pas émis un simple avis sur la participation des militaires et paramilitaires à la vie politique ?- il n’en est pas de même pour les fautes administratives souvent impunies et dont l’impact négatif est sans commune mesure sur les citoyens.
Alors vive la sanction, positive ou négative selon les cas, et à tous les niveaux de la hiérarchie !
Fait à Dakar le 16 mai 2018
El Hadji Abdou WADE dit Mara.