Dakarmidi -Malgré les propos rassurants tenus à Saré Bamol (Tambacounda) par le président de la République sur l’inexistence de menaces sur la démocratie sénégalaise, il faut reconnaître que la situation politique nationale est préoccupante. Rien que le tourbillon politico-médiatique autour du Président et de sa famille biologique est révélateur de l’imbroglio politicien, duquel la vie politique sénégalaise n’a jamais réussi à s’extirper depuis les débats épiques sur la troisième candidature avortée du Président Wade et la dévolution monarchique du pouvoir.
C’est en cela que les gesticulations des personnalités politiques issues de la galaxie wadiste n’aident pas à clarifier le jeu politique. La thèse de l’innocence des dignitaires libéraux qui, pendant plus d’une décennie, nous en ont fait voir de toutes les couleurs ne tient pas la route. En effet, malgré les insuffisances liées au fonctionnement de la Crei, la culpabilité de l’ex-prince héritier, figure emblématique de la mal-gouvernance wadiste – ayant servi de bouc-émissaire – a été établie par la justice sénégalaise.
Quelle peut alors être la cohérence d’une coalition dans laquelle le Parti démocratique sénégalais jouerait les premiers rôles, alors que c’est précisément le manque de rupture du pouvoir apériste par rapport aux pratiques malsaines du précédent régime libéral qui pose problème ?
A preuve, l’invocation par le gouvernement apériste de l’article ministériel pris par le dernier ministre de l’Intérieur de Wade, loin d’être un cheveu dans la soupe, est venue simplement confirmer la continuité des options politiques entre le Président Sall et son ancien mentor, ce dont témoigne largement la libération de Karim Wade dans les conditions obscures que l’on sait. Et que dire du débauchage effréné de politiciens de la majorité libérale sortante, de l’impunité accordée aux délinquants financiers du nouveau régime qui serait à l’origine de la défénestration de l’ancienne directrice de l’Ofnac ?
C’est pourquoi on peut dire que les nuages de gaz lacrymogènes ayant enveloppé la manifestation de la Coalition Mankoo wattu Senegaal et la confusion sur l’itinéraire de la marche sont symboliques de l’opacité qui entoure la vie politique sénégalaise. Et de fait, le Peuple sénégalais assiste, impuissant, à une déliquescence des institutions étatiques et à un recul démocratique d’autant plus inquiétants que notre pays doit relever des défis inédits en matière de gestion des ressources minérales nationales.
Les patriotes et démocrates de notre pays ne peuvent s’empêcher de ressentir un énorme sentiment de gâchis en voyant ce que la Coalition Benno bokk yaakaar, avec à sa tête Macky Sall, a fait des recommandations de la Cnri, issues des conclusions des Assises nationales dont l’application intelligente aurait pu nous épargner tout ce cirque politicien qui a vidé de sa véritable substance les avancées démocratiques tant attendues par le Peuple sénégalais.
Pis, en justifiant son reniement à réduire, comme il l’avait promis, la durée de son mandat par un avis consultatif du Conseil constitutionnel, le chef de l’Etat a davantage discrédité la fonction présidentielle, clé de voûte des institutions et qui était la seule à conserver encore un peu de sa respectabilité. Cela a conduit à une fragilisation généralisée de toutes les institutions étatiques, que ce soit l’Assemblée nationale synonyme depuis toujours d’une chambre d’enregistrement et la justice gangrénée par une corruption endémique.
Quand est-ce que le Peuple sénégalais va-t-il enfin rompre avec cette quadrature du cercle ? N’est-il pas temps de changer de paradigme ? Ne faudrait-il pas passer de la politique de large rassemblement sous forme de méga-coalition sans repères et ouverte à toutes sortes de délinquants financiers et autres politiciens mal famés à des regroupements basés sinon sur des accointances idéologiques, tout au moins sur des objectifs politiques concertés à court ou moyen terme ? Pour cela, il est incontournable qu’une nouvelle culture politique basée sur des accords programmatiques et des mécanismes éprouvés de redevabilité soit instituée.
Dans cette nouvelle démarche politique, l’éthique et la morale ne devraient plus être mises sous le boisseau. Il faudrait plutôt sortir du pragmatisme qui veut que la fin justifie les moyens. Des réalisations telles que la construction d’infrastructures, les chantiers du Pudc, l’autosuffisance alimentaire, la couverture maladie universelle… sont certes importantes. Elles ne devraient pas pour autant occulter quelques-uns des points d’accord ayant fait l’objet de consensus lors des Assises nationales tels que l’approche inclusive, l’exigence de transparence, l’éradication du clientélisme politicien, la consolidation de la démocratie participative…
Il est temps de mettre fin au mutisme des hommes politiques sur des enjeux aussi cruciaux que la refondation institutionnelle avec le rééquilibrage des pouvoirs, l’indépendance de la justice, le respect des droits humains, la lutte véritable contre la corruption…
Pour contrecarrer l’absence de lisibilité du jeu politique, il convient de promouvoir un compagnonnage vertueux de formations politiques reposant sur des valeurs communes et si possible sur un socle programmatique explicite. Les partis anciennement au pouvoir doivent rompre avec le négationnisme consistant à réfuter toutes les erreurs et fautes politiques commises au moment où ils géraient les affaires. Au contraire, ils gagneraient à pratiquer l’exercice de la critique et de l’autocritique pour espérer rebondir et repartir du bon pied. Quant aux partis supposés défendre la cause des masses populaires, ils doivent résister aux sirènes de l’électoralisme, du parlementarisme bourgeois et de la course effrénée vers les strapontins ministériels.
Toutes ces formations politiques ainsi que les acteurs de la société civile qui ont choisi de s’impliquer dans le jeu politique doivent élaborer des offres politiques cohérentes et intelligibles pour permettre aux citoyens conscients de procéder à des choix éclairés lors des prochaines consultations populaires.
Nioxor TINE