Dakarmidi – « Lors d’un défilé militaire, le dernier soldat en queue de procession n’a qu’une seule chance de devenir le premier : au moment où le chef crie, demi-tour ! Changement de direction. Changement de perspective. Changement de cap ! Ceci pour dire que, si dans l’ordre actuel du monde l’Afrique est en dernière position, la seule option pour les africains est la suivante : faire demi-tour ! »
C’est avec cette parabole pleine de sens, d’autres diraient de naïveté, que l’un de mes vieux amis suggère à l’Afrique et aux africains de se ressaisir et de reprendre leur destin en mains. Cela fait plus de trois siècles que notre continent est dépossédé de son sens de l’initiative. Réservoir d’esclaves, « taillables et corvéables à merci », l’Afrique a été humainement saignée à blanc au profit du développement de pays qui aujourd’hui nous endettent et nous narguent.
Nos terres maintenues en friches et notre sous-sol en réserve, les pays riches se sucrent depuis plus de trois siècles sur notre dos. La rhétorique paternaliste et condescendante en prime. Des pays qui, aujourd’hui, ferment leurs frontières à notre jeunesse en quête de labeur justement rémunéré alors que leurs ancêtres étaient embarqués par la force, en guise de main d’œuvre… gratuite, pour labourer leurs plantations et bâtir leur prospérité.
Et ça nous proclame l’universalité des droits de l’Homme…. Quels hommes ? Depuis quand d’ailleurs les noirs, surtout d’Afrique, sont-ils considérés comme des hommes ? Toutes les races se considèrent supérieures à la race noire. Une complicité intellectuelle tacite, fondée sur des clichés tenaces et des approximations « scientifiques » sujettes à caution, alimente le confort mental des esclavagistes, de toutes autres races, pour perpétuer une hiérarchie faciale inique, condamnable et par la raison et par la morale.
Il est temps pour les élites africaines de se ressaisir puis de remettre en question, fermement mais surtout collectivement le désordre actuel du monde. Profondément. Vigoureusement. Définitivement. Il est largement temps de nous affranchir des prêt-à-penser lénifiants qui castrent nos intelligences et limitent leur déploiement. Je parle des courants de pensées, prétendument humanistes et universelles, qui confortent en fait un ordre du monde qui fait désordre. Je pense à l’histoire, écrite par les vainqueurs du moment, et qui nous confine dans des rôles de perdants définitifs.
Elle nous fait mémoriser des histoires qui ne parlent que de nos défaites et qui ravalent les hauts faits de nos héros au rang de contes à dormir debout. Les médias les plus puissants contribuent à alimenter ce schéma, et à le sécuriser, en ne diffusant que nos contre-performances et nos difficultés. À chaque fois que l’on y parle de l’Afrique, notamment noire, il n’y est question que de pauvreté et de maladies.
En plus de la transmission savamment mise en scène de guerres interminables avec des morts atroces pour souligner la sauvagerie des protagonistes. Noirs bien évidemment. On ne voit pas les mercenaires blancs qui sillonnent l’Afrique depuis toujours… Tout cela ne relève pas de la fatalité. Encore moins d’une malédiction. Cela procède d’un ordre du monde pensé et voulu comme tel par des puissances d’argent dirigées par les fabricants d’armes : les seuls à vivre de l’industrie de la mort !
Si l’on a compris que les forces colonialistes, et impérialistes, qui dépècent le continent africain sont organisées autour d’un projet, et le conduisent sans états d’âme, l’équation devient simple. La question qui se pose désormais est, celle de savoir si les fils et filles de l’Afrique sont capables de mettre en œuvre une résistance intellectuelle résolue et puis d’engager le combat décisif, au besoin physique, pour déjouer les pièges tendus et entreprendre la libération de l’Afrique et sa reconstruction. Tout simplement. Cela ne peut se faire que par une véritable « mystique » pour ce continent, jaillissant d’un Amour viscéral pour ses populations, ses paysages magnifiques et son Histoire ante-coloniale prestigieuse. Mais surtout par un ardent désir d’offrir à nos enfants un avenir somptueux. Cela doit se faire par une exploitation judicieuse de notre énorme potentiel humain ainsi que de nos ressources naturelles inestimables.
Que nous manque-t-il alors ?
Il nous manque des élites politiques vertueuses et visionnaires. Il nous manque des élites économiques innovantes et pragmatiques. Il nous faut des populations éduquées et engagées. Tout cela est à notre portée si nous le voulons. Fortement. Collectivement. Mais d’abord, il nous faut remettre en cause et déconstruire le « système » ! Le système qui nous fait croire que développement rime avec occidentalisation. Le système vicié dans lequel la colonisation nous a installés. Le système que la plupart des gouvernants africains n’ont pas su ou pu remettre en question depuis les « indépendances” tronquées. Et pour cause : nos dirigeants sont éduqués par l’école coloniale qui, dès l’âge de cinq six ans, formate les esprits.
Du jardin d’enfants aux universités. Cela produit des « cadres » craintifs, timorés et quasi incapables de réfléchir hors du dispositif cognitif et mental implémenté durant une scolarisation longue, bien des fois improductive. Les déchets scolaires sont nombreux, en effet, qui contribuent à démontrer l’inadaptation du volet éducatif du système. Qui s’en préoccupe ? Personne ! Nos écoles et nos universités produisent des milliers de chômeurs. Qu’à cela ne tienne tant qu’on peut entasser les nouveaux bacheliers dans des structures éducatives alibis, personne ne se préoccupe vraiment de leur avenir.
Les gestionnaires du présent se contentent d’en jouir. Sans prospective. Sans perspective autre, par exemple, que « l’atteinte des OMD (Objectifs du Millénaire pour le développement !) ». Un des nombreux slogans creux mis au point pour mieux nous endormir. Pendant ce temps, nul n’anticipe sur les drames à venir. Les milliers de schizophrènes dégurgités annuellement par notre » système éducatif » se noient dans la consommation de produits hallucinogènes dévastateurs, sombrent dans la dépression et le mal vivre. Qui n’a connu dans son environnement immédiat le naufrage d’un jeune pourtant promis à un bel avenir ?
Pour parler à l’Afrique, mon Continent, je lui parle à partir du Sénégal, mon pays. Celui dans lequel je vis et espère mourir. Pour y être mis en terre. Tellement j’aime ce pays. Ses populations. Sa nature. Son tout. Un pays mal servi par des élites trop occidentalisées. Des élites si complexées et trop fascinées par le modèle colonial français, ses belles lettres et sa rhétorique. Son protocole et ses ronds de jambe. Des élites qui imitent les blancs presque à la perfection ! Des élites qui s’épuisent à rouler les « r » et à a-r-t-i-c-u-l-er des mots clés pour renvoyer au maître une image rassurante de subordination. Je le dis sans ambages : nos élites francisées sont l’alpha et l’oméga du mal Sénégalais et africain. Ne tournons plus autour du pot ! Regardons-nous dans une glace. L’image est sans appel : nous avons vainement singé les blancs. Hélas. Nous sommes devenus plus singes que blancs ! Demi-tour !
Et cela et d’autant plus urgent que notre pays va devenir un pays « riche ». Les guillemets s’expliquent par la fragilité de ce mot et sa dangerosité. Les ressources naturelles et minières qui se font jour au Sénégal peuvent en effet constituer une opportunité pour changer le cours de notre Histoire. Dessiner un avenir radieux pour nos enfants. À la condition de mettre les moyens obtenus au service d’une Vision généreuse et bienveillante pour nos populations. À l’inverse, ces ressources peuvent virer à la malédiction. Pour peu que des appétits féroces, affairistes et mafieux, claniques et familiaux, prennent le pas sur l’intérêt général. Combien de pays pétroliers africains sont plongés dans le chaos et la misère ? Ce n’est donc pas faire preuve de pessimisme que d’anticiper sur des scénarios catastrophes. Il s’agit juste d’une lucidité extrême face à la faculté humaine de porter ses instincts animaux au delà du pire. Que de charniers pour en attester !
Que de pays meurtris par la voracité de quelques individus ! Tirons donc les meilleures leçons du destin pétrolier de Dubaï versus celui du Congo Brazzaville et faisons le bon choix. Nul besoin de faire un dessin… Si certains esprits racistes affirment l’incapacité de l’homme noir à construire sa propre vie, la plupart des chefs d’Etats africains leurs donnent raison. Ils préfèrent posséder des biens à milliards dans les capitales occidentales que de construire des hôpitaux et des universités pour leurs populations.
La tragi-comédie commence lorsqu’ils sont réduits à payer, très cher, des avocats pour sauver ce qui peut l’être de ces biens mal acquis. Depuis qu’il est devenu de mode de les traquer. Des procureurs zélés sont lancés à leur trousse par…leurs tuteurs occidentaux. Suite à des dénonciations d’ONG qui chantent au rythme de la géopolitique des puissants. On ne traque pas partout. On sévit en Afrique. Comme depuis toujours. Inintelligence des élites politiques africaines ? Malveillance pour leurs populations ? En tous cas, voilà le résultat !
À y regarder de près, on se demande qui conseille nos Chefs d’Etat ? Si nous regardons, juste à partir de quelques exemples tirés de l’histoire récente de quelques pays africains depuis l’indépendance, on voit bien que l’enrichissement excessif des hommes politiques finit toujours mal. De Bokassa Premier au Président Mobutu, nous avons un échantillon représentatif de ce que bien mal acquis ne profite jamais.
Par ailleurs, les leaders africains que l’on chante, de Lumumba à Sankara, sont les purs. Les visionnaires. Ils ont une place dans le panthéon du cœur de chaque africain. Leurs exemples donnent des raisons d’espérer aux Nations et aux jeunesses africaines. Ils ont planté des graines qui jamais ne meurent ! Quant aux autres, ils ont rejoint les poubelles de l’Histoire.
Au vu de tout cela, il faut faire demi-tour pendant qu’il en est encore temps ! Refuser les tapes amicales sur le dos des aventuriers qui viennent, au mépris de nos valeurs, de notre identité et de nos intérêts, s’empiffrer sur notre dos. Le temps du pragmatisme éclairé est enfin venu. Soixante années après les « indépendances » il est temps de gommer les guillemets ! Impossible disent les pessimistes définitifs. À notre portée disent les optimistes raisonnables.
Le prix à payer étant un regain de courage et d’efficience. Mais surtout de profondeur dans la Pensée, puis de constance et de résolution dans l’Action. Dans la durée. Tout le contraire du système hérité de la colonisation. Un système qui a tropicalisé tous les défauts du système politique français et presque aucune de ses qualités. Pire, le jeu politique, tel qu’il se déroule dans la plupart des « démocraties » tropicales, tourne bien des fois à la bouffonnerie macabre. Nous avons en effet connu les Présidents à vie, les maréchaux auto proclamés et…l’empereur de triste mémoire !
Puis, pour donner le change, l’Occident a mis au point le système des « démocraties » au multipartisme débridé et nous l’a vendu comme la panacée. Or, ce système divise nos forces (près de trois cents formations politiques pour le Sénégal). Il réduit l’activité Politique à des palabres interminables. Tout se passe comme si la politique c’est simplement parler à qui mieux. Sans impact décisif ou transformationnel.
Les élections se suivent. Les messages de félicitations des grandes puissances étant le baromètre de leur succès. Les différentes institutions, vidées de leur substance ne sont que des caisses de résonance pour le pouvoir central. Pourvoyeur de fonds et de postes, le Chef de l’Etat élu ne pense qu’à rester le plus longtemps possible au Pouvoir. Il corrompt et soudoie toutes les tentations de ramer à contre-courant. Il finance un unanimisme de façade qui cède à la première déconvenue électorale et pousse à la transhumance le…bétail politique !
Pauvres de nous ! Le « jeu » politique n’est même plus…intéressant. Les acteurs vieillissants se jouent de l’impatience de jeunes acteurs aux dents si longues que les compromettre est aisé. Le système à donc de beaux jours devant lui. La corruption, la concussion, et tous les nouveaux mots savants qui disent la même chose, renvoient à des lendemains qui déchantent le mieux-être que nous devons à nos populations.
« L’utopie est simplement ce qui n’a pas encore été essayé. » Selon Théodore Monod.
Alors, demi-tour !
Pour renouer avec nos trajectoires initiales expurgées de toutes les valeurs négatives, anachroniques ou obsolètes, et enrichies par les « apports fécondants » de tous les souffles du Monde. Cela est possible. Cela est à notre portée. La parole phare de Frantz Fanon nous interpelle, et nous accuserait le cas échéant :
« Chaque génération doit, dans une relative opacité, trouver le sens de sa mission, la remplir ou la trahir « .
Remplir la mission ou la trahir…
Tout est dit !
Amadou Tidiane WONE