En effet, premièrement, les indicateurs généraux sont aux rouges et les signes de tension sont visibles avec le premier indicateur qui est le niveau d’endettement avec une hausse du service de la dette de 140% en 5 ans (347 milliards LF-2012 à 839 milliards LF-2018). La dette est à plus de 85% de nos capacités d’endettement (60% sur les 70% autorisés). Ainsi à plus de 60% du PIB, le service de la dette absorbe prés de 40% des recettes. Le Sénégal est donc endetté, n’ayons pas peur des mots et tout bon financier serait conscient du risque de liquidité et de gestion d’où l’interpellation du FMI et de la Banque Mondiale.
Deuxièmement, on ne peut plus augmenter une pression fiscale déjà à 20% sur les entreprises, car les critères de compétitivité de l’UEMOA sont fixés à 18% et la côte d’ivoire est à 16%.
Troisièmement, les services de la douane subissent depuis quelque mois une pression inégalée et le port vient d’augmenter ses tarifs de 4 à 6 millions le conteneur. Justement, car les recettes fiscales n’augmentent qu’à 10% par an depuis des décennies et ce régime s’endette à plus de 23% par an depuis son arrivé. L’écart de 13% est retranché sur nos liquidités, sur la politique de santé, d’éducation, du monde rural et du cadre de vie.
Enfin les retombées de la croissance ne sont pas au rendez-vous, car le taux de croissance de 6% sur 4 ans est dopé par l’État via un endettement maintenant au bord du tarissement. Et comme nous le savons, une croissance captée par les entreprises étrangères n’a jamais un impact positif sur le budget. Depuis 5 ans, le budget de 3 000 milliards est essentiellement porté par l’emprunt qui représente prés de 900 milliards sur le budget. Au même moment, les exonérations et le service de la dette réduisent fortement la capacité opérationnelle de l’état. Comprenons bien que toute dette, justifiée ou non, se traduit par des versements réduisant la trésorerie de l’État. Ainsi, le paiement de la dette (839,8 milliards contre 347 milliards en 2012), le personnel (633 milliards) et le fonctionnement (785 milliards) représentent 2257 milliard, soit 97% des recettes évaluées à 2 328 milliards sur un budget 2018 complété par 237 milliard de dons et 921 milliards d’emprunts. Et j’affirme que les dons des pays ne servent qu’à imposer leurs entreprises : la France avec le TER et Alstom.
Voilà l’enjeu et le danger de l’endettement inopportun d’un État dont l’allergie à la planification se traduit par une mauvaise maitrise du financement des projets qui plombe toute prévision budgétaire. Prenons l’exemple de L’AIBD qui passa d’une évaluation de 229 milliards à 430 milliards, soit une marge d’erreur de 87% sur le financement avec 5 ans de retard et des avenants. Avec les mêmes carences et incohérences, le projet de TER va subir les mêmes dépassements avec déjà un coût réel caché dépassant les 568 milliards annoncés. Alors, quand on prend conscience que le portefeuille de prêt, à 60% du PIB, est concentré dans des infrastructures dont la marge d’erreur en terme de maitrise du coût et de maitrise d’ouvrage peut aller à 87% du coût initial, on comprend l’étendue des risques de tension de trésorerie, d’arbitrages sur des situations d’urgences et donc d’ajustements de la structure budgétaire.
Ma conviction est que le développement de l’économie d’une nation est la résultante d’une société ayant consenti à des changements profonds en terme de leadership, de culte de la planification et de l’organisation. Ma vision est qu’une politique d’infrastructure doit intégrer des plans de planification territoriale qui soutiennent une stratégie d’émergence incubée depuis nos territoires. La logique de planification étatique et le dispositif de maitrise d’ouvrage doivent bonifier l’impact économique des infrastructures et en assurer le respect de la prévision budgétaire. Ainsi, sans une maitrise de l’impact financier, le recours à des ajustements de la structure budgétaire est inévitable et se fera au détriment, encore et toujours, de la politique de santé, d’éducation, du monde rural, du cadre de vie et de notre souveraineté. Il est, cependant, encore temps de sortir de la politique du bilan matériel, pour nous recentrer sur une stratégie d’émergence portée par le tissu économique de nos territoires. L’émergence de notre économie, montrant ainsi la voie à l’économie africaine, ne se fera que par l’émergence du vrai type de sénégalais. Pour ce faire, il nous faut bâtir des Sénégalais entreprenants, mieux formés et mieux préparés à être des acteurs du changement, dans des cadres et des milieux de vie planifiés et stimulants. Car on ne peut pas changer le Sénégal sans changer les Sénégalais et cette transformation sociale commence avec un leadership qui incarne lui-même le changement qu’il aimerait voir s’opérer dans sa nation. Mahatma Ghandi ne disait-il pas « Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde » ?
Moussa Bala Fofana
Ancien conseiller technique du Gouvernement du Sénégal
Banquier / Développement des Entreprises au Canada
Expert en Planification, Développement Territorial & Ingénierie urbaine.
ctfofana.matcl@gmail.com